Pour en finir avec le mot « Chômage »

par Léonel Houssam
jeudi 8 décembre 2016

Cela fait des années que le chômage de masse s’est imposé comme une variable d’ajustement économique et sociale majeure en France. Pourtant les discours sont perpétuellement les mêmes : ou moralisateurs et méprisants, ou compassionnels et misérabilistes. Ces deux regards sur ce phénomène et ceux qui en sont atteints est souvent une manière de refuser une vérité : chacun et particulièrement les employeurs sont responsables de cette situation. Sans cesse reprocher à l’état de ne pas mener les politiques efficaces est aussi une façon de se dessaisir, pour les entreprises, de l’efficience de leurs méthodes de recrutement et de leur capacité à doter leurs équipes d’effectifs adaptés. 

A longueur de journées, nous entendons « les chômeurs les pauvres », « les chômeurs ces feignasses », « les chômeurs les victimes », « les chômeurs ces assistés »… Entendons-nous bien, et je le dis sans langue de bois, bien sûr, il y a des demandeurs d’emploi qui abusent du système, il y a des paresseux, il y a des fraudeurs, il y a des misérables, des gens malades, des victimes. Il y a tout ça, mais il y a surtout des millions de personnes qui s’activent pour retrouver une activité, qui respectent totalement les règles de l’indemnisation (qu’il est tout de même très compliqué de détourner), qui avancent, qui souffrent parfois, qui d’autres fois saisissent ce moment de leur vie pour optimiser leur avenir.

 

Des programmes politiques punitifs contre les demandeurs d’emploi.

Et dans la foulée, nous voyons les lois punitives s’installer, les projets présidentiels promettant de « tabasser » administrativement et recadrer ces « chômeurs » (en réalité, ce sont des actifs en recherche d’activité professionnelle salariée ou non salariée), les éditorialistes, experts nous raconter qu’il faut de la dégressivité - et pourquoi pas de l’agressivité tant qu’on y est - qu’il faut réformer, alléger les charges, les contraintes pour les employeurs… L’idée générale de l’establishment est de promouvoir une structure du marché de l’emploi équivalent à celui de l’Angleterre ou de l’Allemagne, sans préciser que l’illusion du plein emploi tient au fait que le travail précaire, à temps partiel y est massif (contrairement à la France) et que les actifs en recherche d’emploi, sévèrement radiés des listes des Jobcenters disparaissent des statistiques par tranches de centaines de milliers de personnes. 

Et bien parlons-en des employeurs. Par un étonnement vrillage des postures politiques et de l’idéologie libérale archi-dominante (et despotique virant à l’autoritarisme)dans l’establishment (médias nationaux, régionaux, politiques, intellectuels, experts, consultants, patrons de Grands Comptes et d’organisations syndicales -CGPME et MEDEF- et même la plupart des sièges nationaux des syndicats), on cesse de parler négativement des patrons, des recruteurs, des DRH (« ressources humaines », une formulation qui contient ses intentions quant à la marchandisation du salariat mondial), des managers, des petites, moyennes et grandes entreprises qui sont pour l’essentiel d’intenables incompétents concernant le recrutement, obsédés par des diplômes, des écoles, mais pas que. Trop souvent, les recruteurs considèrent les inscrits à Pôle Emploi comme des truands du système parfois infiltrés par de « rares bons profils ». Les recruteurs ne cherchent jamais à optimiser leurs effectifs, ils veulent tout, tout de suite, ils pressurisent, ils exigent, ils déploient des egos énormes pour pallier leur incapacité à faire correctement leur travail. Ils ne tiennent pas compte du professionnalisme du demandeur d’emploi mais de son statut au regard de la société. La cooptation, le réseautage et les pistonnages en tout genre sont l’apanage des professions dites supérieures (Cadres) et intermédiaires, mais pour les autres, point de salut ni de miracle, il faut se coltiner le processus aléatoire de recrutement des entreprises.

 

Le chômage, un levier.

Les personnes exclues de l’emploi sont en réalité la graisse de moteur qui permet de faire fonctionner l’ensemble. Si vous rencontrez des recruteurs à longueur de journées, vous vous rendez surtout compte de leur incompétence, leur lâcheté(parfois), leur incapacité à faire les bons choix (si souvent) mais aussi leur vacuité professionnelle tant ils fonctionnent selon des process appris par cœur. Ceux qui ont participé ou fait du recrutement, s’ils ne sont pas malhonnêtes, ne pourront qu’appuyer mon propos. Les recruteurs (y compris dans le secteur public ou associatif) sont parasités, et même gangrénés par la doxa libérale qui considère l’humain comme un levier de croissance et/ou de régulation économique comme les autres. Ne nomme-t-on pas les employés par le terme politiquement mielleux de « collaborateurs » (si l’on exclue la lourde charge de son sens historique durant la Seconde Guerre Mondiale) ?

Pour un recruteur, l’échec d’une embauche qui aboutit à mettre un salarié dehors au terme d’une période d’essai et même au-delà a un coût estimé en fonction du poste de 20 000 à 200 000€. Bien entendu, ce recruteur mettra toujours la faute sur celui qui ne faisait pas l’affaire. Faux. Le déni est général chez les RH professionnels ou « amateurs » (ceux qui recrutent peu ou qui remplacent le DRH pendant ses congés, etc.). La posture, y compris menée avec empathie, est toujours descendante et même condescendante, teintée d’une forme de sentiment de supériorité affirmé ou refoulé. Les recrutements sont parfois mauvais parce que les candidats sont médiocres ou peu adaptés au besoin, mais il faut l’admettre, ils sont aussi le résultat d’un manque de probité et de clairvoyance des recruteurs.

Le point ici traité n’est que rarement développé dans les médias parlant du chômage. La victime ou le coupable est perpétuellement le recruté potentiel. C’est faux. Combien de recruteurs sont incapables d’utiliser correctement les outils numériques mis à leur disposition (réseaux sociaux, progiciels, entretiens à distance, etc.) ? Une flopée ! Combien d’ego surdimensionnés ? Combien de DRH en état de pré-burn-out, combien de chargés de recrutement ne fonctionnant plus qu’avec des dogmes d’écoles de commerce ?

Il n’est pas utile de dire qu’il faudrait remettre de l’humain dans tout ça. Cette formule-bateau qui ne dit rien mais qui laisserait entendre qu’elle a du sens, est une pure prouesse narrative pour contourner le problème : le recrutement n’a pas besoin de plus d’humain, il a besoin de moins d’humains formatés.

 

Il n’y a pas de chômeurs, il n’y a que des actifs en recherche d’activité.

Il faut donc sortir de cette vision manichéenne du moins clivante sur le sujet du chômage. D’ailleurs, le terme de « chômeur » est inapproprié puisque il induit une notion de passivité, de laisser-aller. De plus en plus de français passent par la case « Pôle Emploi » et comprennent dès lors que le point de vue qu’ils portaient sur cette période particulière de leur vie était faussée, malsaine, moraliste. L’assurance chômage ou « Allocation d’aide au Retour à l’Emploi » est une assurance, et non une aide sociale. Chacun cotise et les employeurs paient beaucoup plus parce qu’ils sont les principaux porteurs du risque. On ne touche pas l’assurance chômage parce qu’on est chômeur, mais parce qu’on a subi sa perte d’emploi (licenciements économiques, pour faute grave, rupture conventionnelle, etc.).

Pour être plus clair, j’utilise un exemple précis : chacun paie une assurance logement et personne n’a en tête qu’il s’agit d’une aide sociale, mais bien d’une protection. Si vous décidez de mettre le feu à votre logement et que l’enquête le prouve, vous ne toucherez pas l’assurance. Dans le cas contraire, si vous avez subi l’incendie, qu’il a été causé accidentellement, l’assurance se déclenchera. C’est exactement la même chose pour l’assurance chômage dont le financement est obligatoire dès qu’on a un emploi salarié et dès que l’on emploie des salariés. Cette mise au point s’impose afin que l’on cesse en France de stigmatiser les « chômeurs », que l’on cesse de s’en servir comme levier démagogique aux discours des candidats et que l’on cesse dans les services recrutements de considérer un inscrit à Pôle Emploi comme un parasite.

Il est important de re-dire tout ça car c’est cette vision faussée, moraliste et même méprisante du demandeur d’emploi qui amène des milliers de recruteurs à jeter les CV de candidats sans emploi depuis quelques mois. Et pourtant parmi ceux-ci, il y a des personnes motivées, assoiffées de vie sociale, de réussite et d’implication pour leur activité professionnelle, quel que soit le niveau. Les DRH, les patrons, les syndicats de patrons s’arrangent parfaitement avec le discours moralisateur ambiant sur la question.

 

Pour conclure, je veux l’affirmer, si les dirigeants d’entreprises, d’associations et de services publics ne recrutent pas, trouvent difficilement chaussures à leurs pieds, c’est avant tout du fait de leur seule incompétence et des œillères de préjugés qui entravent leur capacité à reconnaître les bons profils.

 

Léonel Houssam


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