Pour Todd, seule compte l’origine

par Orélien Péréol
mardi 12 mai 2015

Emmanuel Todd fait partie des esprits forts qui ne s’en laissent pas compter par les événements. Ils ne les reçoivent pas tels qu’ils leur parviennent, ils les jugent. Le bien d’un côté, le mal de l’autre, lui du côté du bien.

Emmanuel Todd est géographe-démographe-historien. Il superpose des cartes et lit la permanence des comportements, attitudes et opinions. Vous croyiez que la grande manifestation rassemblant 4 millions de Français contre les tueries de Charlie et de l’Hyper Cacher de Vincennes représentait une adhésion à des valeurs républicaines ? Vous vous trompiez. L’origine des manifestants montre qu’il s’agit d’une hystérie du catholicisme zombie.

Il faut dire qu’il a de bonnes raisons personnelles de faire confiance à l’origine des individus. Emmanuel Todd est fils d’une famille bourgeoise-bohème avant le mot, un grand-père écrivain (Paul Nizan) un père journaliste (Olivier Todd), un grand-cousin anthropologue, (Claude Lévi-Strauss !). Pas de femme de ménage ni de garagiste dans la famille.

La manifestation du 11 janvier aurait, selon Todd, une signification absolument contraire à celle dite et crue par les participants. Elle serait là « pour dire que caricaturer la religion des autres est un droit absolu - et même un devoir ! » Ce serait « une perte de sang-froid, une pure et simple imposture ». Le pauvre Emmanuel en a honte d’être Français. Que faire pour lui ?

E. Todd fait comme beaucoup d’intellectuels, il donne son opinion, appuyée sur son expertise, un peu comme les critiques de cinéma ou de théâtre argumentent leurs ressentis d’une meilleure connaissance du cinéma ou du théâtre que la plupart des gens. Cela ne fait pas de la science.

Il ne parle que des manifestants ; dans les manifestants, il parle surtout de leur origine, laquelle les rend semblables au cours du temps, clones les uns des autres et ne pouvant tenir qu’un seul, permanent et même discours. Tout est là, pour lui. Il ne regarde pas les événements qui ont amené cette manifestation.

Il y a beaucoup d’impossibilités, d’à-peu-près, de faussetés dans ce regard porté de façon hémiplégique sur les manifestants. Il y a peu de faits, surtout des procès d’intention : les manifestants ne seraient pas venus de leur plein gré, ils seraient manipulés. Les faire passer pour ce qu’ils ne sont pas, voilà l’entreprise de Todd. Ils ne savent pas ce qu’ils font. Ils ne se rendent pas compte.

Autre procès d’intention : ils ont défendu le droit au blasphème, et même le devoir de blasphémer, personne n’a défilé parce qu’il y a eu des morts pacifiques, tués par des hommes armés déterminés, à la suite d’autres attaques de ce type à Montauban, Toulouse…

Côté origine clonant sans fin les individus, beaucoup de palinodies : Paris et l'Ile-de-France étaient des bastions du « système égalitaire » dans des travaux antérieurs de Todd et ils ont défilé en masse. Mais pour Todd « Je suis Charlie » vient de la périphérie Alsace, Rhône-Alpes… Lyon, capitale de la Résistance, est dite catholique, cette fois.

« Si on renvoie tout le temps les musulmans à leur origine, on doit renvoyer tout le monde à son origine, c'est un acte de justice ». C’est la base de son anthropologie, qu’il applique au Président : « Le père de Hollande est un catholique d'extrême droite, sa mère une catholique de gauche. Valls vient d'un milieu catholique catalan ». Ils sont ainsi discrédités pour tout ce qu’ils font et disent et pour tout le temps.

Todd va très loin dans le mensonge : « La France aux commandes (celle de « Je suis Charlie »), c'est celle qui a été antidreyfusarde, catholique, vichyste ». Et qui l’est resté, donc. Les bras vous en tombent.

Ce n’est pas ce livre qui compte. Le phénomène qu’il représente n’est pas dans le peu de valeur de sa démonstration. Ce peu de valeur suscite, à juste titre, beaucoup de discours d’indignation. Il est en effet nécessaire et même fondamental de ne pas laisser filer une telle haine de la République, de la Démocratie et de mener le « débat » fortement. Todd a l’air de considérer que le nombre de réactions à son livre est un succès en soi et un gage de la valeur de ce livre !

On ne peut détacher la manifestation des tueries de Charlie et de l’hyper cacher. La question est : comment continuer à faire société quand des membres de cette société se font justice eux-mêmes, dans une dissymétrie des peines qui viole même la vieille du Talion, qui viole le renoncement à la peine de mort, le renoncement à la vengeance (se faire justice soi-même) ?

La France est pliée en trois (en gros) : les Charlie (comme ci-dessus) ; les « oui mais » (on devrait tous être musulmans, au moins sur ce point de dogme qui interdit de représenter le prophète) ; les esprits forts, (le vrai est le contraire de ce que l’on voit).

L’honnêteté intellectuelle, le refus de l’insulte, seraient nécessaires. L’argumentation devrait être la seule méthode. Il faudrait peut-être juger les actes et non les origines. Emmanuel Todd, et les éditions du Seuil, portent un coup pénible à la démocratie et à la République.

Photo perso sur bombage rencontré par hasard
C’est faux ; bien sûr, nous ne sommes pas tous noirs. Nous ne sommes pas tous Berliner... etc.

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