Pour un recadrage du débat sur l’affaire du mariage annulé
par EL MOUSSAOUI
mercredi 4 juin 2008
Suite à l’annulation du mariage civil d’un couple musulman au motif de la non-virginité de l’épouse par le tribunal de Lille, la polémique enfle depuis quelques jours. Des politiques de tous bords, des associations, des intellectuels crient à une « fatwa » contre la liberté et l’émancipation des femmes. Après avoir soutenu le jugement du tribunal de grande instance de Lille, la garde des Sceaux, Rachida Dati, a demandé que le Parquet interjette en appel, sous la pression générale, notamment de la part de l’Elysée et de Matignon. Un revirement provoqué par des réactions plus émotives qu’objectives. L’observation de réactions aussi démesurées révèle certains amalgames qui empêchent de répondre de manière adéquate au problème posé.
Le premier des amalgames dans cette affaire est fait entre le mensonge et son objet. Si le fait que le mari estime la virginité comme qualité essentielle de sa future femme est tout à fait discutable, celle-ci n’a pas le droit de mentir sur sa virginité lorsqu’elle sait d’avance que c’est un critère déterminant pour la pérennité de leur union conjugale. Imaginons un instant qu’avoir une femme expérimentée est une qualité essentielle pour ce mari et que sa femme lui avait assuré avant le mariage qu’elle l’était. Seulement, lors de la nuit de noces, le mari s’en aperçoit et demande l’annulation du mariage. L’exigence du mari est discutable, mais sa demande d’annulation du mariage pour mensonge sur une qualité essentielle ne l’est pas. Le même raisonnement tient si, avant le mariage, un homme avait assuré à sa future femme être en mesure de lui faire des enfants sachant qu’il est stérile. La femme aurait le droit d’annuler son mariage si avoir des enfants est essentiel pour elle, même si son exigence est discutable. Chacun a le droit de mener le projet de couple qui lui convient avec la personne qui lui convient. Les juges ont déjà annulé un mariage dans un cas où un conjoint avait caché qu’il avait déjà été marié ou un autre qu’il avait été condamné dans une affaire de droit commun ; dans d’autres cas, on a retenu que l’un des conjoints avait trompé l’autre sur sa nationalité ou sur son aptitude à avoir des relations sexuelles normales. Le problème qui a été posé au tribunal de Lille n’était pas le jugement de la virginité comme critère d’une vie conjugale, mais le mensonge sur une qualité essentielle, peu importe la nature de celle-ci du moment où elle est admise par les conjoints et où son absence rend la vie conjugale impossible. La virginité n’est pas une qualité essentielle en soi, mais le devient à partir du moment où elle est l’objet d’un accord mutuel entre les deux futurs époux.
Le second amalgame concerne les allusions faites, à travers des termes comme la « fatwa », à l’origine musulmane des deux époux. Pis, Christine Boutin a la conviction que le problème c’est l’islam. A cet égard, le Coran stipule que : « celui qui n’est pas chaste, ne peut prétendre à une femme chaste ». La chasteté est une exigence mutuelle, c’est-à-dire qu’à partir du moment où l’un des deux époux ne respecte pas cette contrainte son droit d’exiger la chasteté de sa femme tombe. Le problème est donc dans la tradition et non pas dans la religion. Toute personne de bon sens conviendrait que l’exigence de virginité incombée uniquement à la femme est une hypocrisie totale et une injustice insupportable à l’égard des femmes car, pour perdre sa chasteté, il faut être deux.
A côté de ces amalgames, et au nom de la liberté des femmes, plusieurs intervenants semblent, par oubli ou inconscience, remettre en cause deux autres libertés fondamentales. D’abord, la liberté de la justice d’émettre ses jugements en toute indépendance. Ainsi, il est étonnant que l’Elysée et Matignon aient exigé de la garde de Sceaux de demander au Parquet de faire appel pour que le jugement ne fasse pas jurisprudence. Ensuite, la liberté pour les deux parties du couple de définir ce qui est essentiel pour elles. Si l’on enlève la virginité du répertoire des qualités essentielles de la personne, cela reviendrait à décider à la place des sujets concernés ce qui doit être important dans leur relation de couple. Si le législateur impose ce qui est qualité essentielle et ce qui ne l’est pas, cela revient à abolir le droit de lubie. Autrement dit, un mari ou sa femme ne va plus pouvoir annuler son mariage s’il s’estime trompé sur la qualité de son partenaire. Son seul recours serait la tortueuse et coûteuse procédure de divorce. Ce serait une atteinte encore plus grave à la liberté de choix car cela remet en cause le droit d’avoir une conception individuelle et autonome de son projet de couple. La société n’est pas habilitée à juger le projet d’un couple, tant que celui-ci est légal et fondé sur un consentement mutuel. En revanche, elle peut juger le mensonge au moment de la conclusion du contrat de mariage. Décider ce qui est bon ou pas pour un couple reviendrait à instaurer un certain dirigisme matrimonial. Or, la vie d’un couple est une interaction libre entre deux personnes sur la base d’un consentement mutuel. Si la femme dont le mariage a été annulé a contesté la décision ou s’il s’est avéré qu’elle était menacée ou forcée, la décision du juge aurait été contestable.
Que serait-il passé si le tribunal avait rejeté la demande d’annulation de mariage ? Ne serait-il pas choquant de créer un re-mariage forcé contre la volonté des deux époux ? Dans une telle perspective, un divorce serait inéluctable. Certaines voix se sont élevées, notamment le conseiller politique de Nicolas Sarkozy, pour supprimer carrément le droit d’annulation de mariage et laisser le divorce comme seul « bon de sortie ». Mais quelle différence y a-t-il entre une annulation de mariage pour non-virginité et un divorce pour la même raison. Nadine Morano, secrétaire d’Etat à la famille, proposait que l’on retire la virginité comme qualité essentielle du répertoire des motifs d’annulation de mariage car les hommes et les femmes sont inégaux devant la contrainte de virginité. C’est vrai, mais dans ce cas il faudrait retirer de la liste le motif d’impuissance sexuelle qui a justifié plusieurs annulations de mariage. Car, dans ce cas de figue, ce sont les hommes qui sont défavorisés par rapport aux femmes. Il faudrait d’arrêter les tentatives de faire entrer la justice dans une sorte de moule politique malléable selon le consensus ambiant. Ce qui est choquant, ce n’est pas la décision de la juge, mais c’est la démarche du mari, deux choses complètement différentes même si l’association entre les deux est tentante. Le débat doit donc se situer sur le terrain de la société et non sur celui de la justice. Celle-ci doit rester tout simplement indépendante.