Pourquoi la propagande moderne marche-t-elle si bien ?

par Georges
mardi 31 janvier 2012

L'expérience constitue à peu près le seul procédé efficace pour établir solidement une vérité dans l'âme des foules, et détruire les illusions devenues trop dangeureuses. —— Gustave Le Bon (1895)

Propaganda is to a democracy what the bludgeon is to a totalitarian state. (La propagande est à la démocratie ce que la matraque est à l'état totalitaire.) —— Noam Chomsky (1997)

Journalism is printing what someone else does not want printed : everything else is public relations. (Le journalisme consiste à dénoncer ce que quelqu'un d'autre préfèrerait garder secret : le reste n'est que relations publiques.) —— George Orwell ( 1950 ?)

Vous-êtes vous déjà demandé pourquoi la spot de publicité en heure de pointe coûte si cher ? Vous-est-il déjà arrivé de rester scotché devant une émission que vous jugeriez stupide, mais dont vos yeux ne peuvent se défaire ? Avez-vous déjà remarqué des incohérences dans des dicours officiels, la seule façon pour vous de le justifier étant « c’est comme ça que fonctionne le monde » ?

Cet article se propose dans un premier temps de définir la propagande, et de l’introduire dans son sens usuel, à savoir l’obtention du soutien moral d’une population en temps de guerre. Bien que cet art soit utilisé depuis les débuts de la civilisation, quelques récentes découvertes sur le fonctionnement de l’homme ont considérablement contribuées à étendre et renforcer le concept ; on se propose donc ici de s’intéresser à certains travaux à l’origine de la propagande moderne, à savoir la psychanalyse et l’étude de la psychologie des foules. Quelques références sont fournies afin de permettre au lecteur intéressé par les concepts d’en acquérir une conaissance plus précise que ce qu’en présente ce billet.

Qu’est ce que la propagande ?

Évolution historique du concept

Propagande est issu du latin propaganda, gérondif de propago, qui traduit l’idée de propager, perpétuer, répandre, étendre. Au cours du XVIIème siècle, la création de la Congregatio de propaganda fide (« congrégation pour la propagation de la foi ») met davantage le mot en rapport avec l’échange d’idées.

L’évolution dans l’art de la propagande se ressent par la consonnance négative que le mot acquiert pendant la première guerre mondiale : il est à cette époque utilisé pour décrire les informations inexactes, volontairement transmises par l’ennemi. Il pourrait sembler paradoxal qu’une large diffusion du concept ait été possible malgré le sens péjoratif que le mot garde encore aujourd’hui. En fait, comme on le verra plus tard, l’idée a été subtilement déchargée de son lourd passé historique par l’intermédiaire de nouveaux mots et expressions : la création du terme « relations publiques » ou le changement de sens de « publicité » en sont des exemples type.

Pendant ce premier conflit interplanétaire, La désinformation est une arme aux avantages multiples, permettant d’un côté de convaincre la population d’un État qu’elle dans le Bien, et d’un autre côté, de justifier des engagements armés aussi déraisonnables soient-ils. À titre d’exemples, citons les larguages boches de cargaisons de sucreries empoisonées à destination de nos chères têtes blondes, ou l’attaque allemande du navire Lusitania, alors chargé de civils, au pretexte qu’il contenait armes et troupes ennemies.

Pendant que les pays européens se distrayent en se disputant quelques vulgaires morceaux de terre, la position des États-Unis sur la nécessité de participer à la discussion est duale. D’une part, le gouvernement de Thomas Woodrow Wilson défend qu’une intervention est indispensable, alors que d’autre part, l’opinion publique américaine campe sur ses positions, en restant farouchement pacifique et opposée à une quelconque attaque.

En raison de la profondeur de ses convictions, et face à l’attitude de son peuple, le gouvernement des États-Unis est contraint d’agir, et met finalement en place la Committee on Public Information. L’objectif principal de la CPI est simple : engrainer la population dans une attitude bélligérante, en la convaincant du bien-fondé de la participation des États-Unis à la discussion. L’attaque de Lusitania est l’élément déclencheur permettant de faire fleurir ce point de vue, point de vue que les médias se chargeront d’arroser jusqu’à la fin de la guerre. Six mois de propagande en temps de paix auront suffit à faire passer les convictions de la population du tout au tout.

Falsehood in War-time du politicien anglais Lord Ponsonby récapitule moultes supercheries mises en place à cette époque par les différents protagonistes pour justifier la violence des combats. L’historienne Anne Morelli puise ici entre autre les Principes élémentaires de propagande de guerre, qu’elle énonce sous la forme de dix commandements :

Un lecteur ayant connaissance de ces règles, même s’il n’est confronté qu’aux informations dispensées par les médias classiques, est à même de comprendre comment ses décisions peuvent être influencées. Les conflits récents en Irak, Lybie en sont des exemples flagrants ; en vrac :

Bien entendu, des interêts économiques et stratégiques sont les seuls vraies raisons justifiant ces conflits, mais la population n’est pas à même de pouvoir en saisir les finesses et la justesse, on lui donne donc d’autres causes et raisons afin de la distraire.

Contributions scientifiques

Le succès des actions entreprises par la CPI repose sur plusieurs approches scientifiques du comportement humain ; ce paragraphe s’articule autour de deux travaux ayant joué un rôle majeur dans cette épreuve de persuasion : la psychanalyse, et l’étude du comportement des foules.

Psychanalyse

À la fin des années 1800/début des années 1900, le médecin autrichien Sigmund Freud inaugure un nouveau concept, servant à modéliser le comportement psychique de l’homme. Au travers de deux « topiques », c’est-à-dire en quelque sorte, des cartes de l’esprit humain, Freud met en lumière plusieurs régions régissants le fonctionnement du psychique. Ces régions diffèrent par la façon dont l’énergie libidinale, le désir, y est traitée.

La première topique définit trois pôles : le conscient, le préconscient et l’inconscient. Selon ce schéma, le système conscient/préconscient permet de définir la conscience et la mémoire, autrement dit, de définir la connaissance qu’un être humain a de lui-même et de son environnement. Le désir peut-ici être accumulé, et c’est de cette accumulation qu’est crée la conscience. Les pulsions peuvent y être maitrisées, ce qui permet la constitution de de la mémoire et de l’attention. La quantité et la circulation restreinte du désir contribuent finalement à créer les émotions. Dans le système inconscient, l’énergie circule librement, la pulsion s’exprime sans ambages, et n’est en aucun cas soumis à un travail de refoulement.

La seconde topique se superpose à la première, et met en évidence trois nouvelles entités : le Moi, le Surmoi et le Ça.

Le Ça, situé dans l’inconscient, est un espace déconnecté de la "réalité", au sein duquel les pulsions s’expriment librement.

Le Surmoi est en quelque sorte un « gendarme intérieur », dans le sens ou il sert à réguler la circulation de l’énérgie et l’assouvissement ou le refoulement des pulsions.

Le Moi peut alors être vu comme une partie organisée du Ça, dont l’ordre est régit par les divers messages issus de l’environnement externe. C’est la partie du psychisme chargé de trouver des compromis entre les pulsions libres du Ça et les injonctions du Surmoi.

Ce qui va nous intéresser dans la suite est surtout la façon dont l’inconscient s’exprime. Le moment le plus propice à son expression, en dehors de la consommation de substances psychotropes, est le rêve. Le sommeil est une période cruciale pour un être humain, l’importance des périodes de sommeil chez l’enfant, et le temps non négligeable qu’y passe tout adulte peuvent être vu comme des confirmations de ce fait. Freud considère les rêves comme une manifestation de l’inconscient, et il définit les différents symboles qui y sont présents comme une façon pour l’inconscient de s’exprimer. Ces symboles résulent s’arrangent selon nos expériences personnelles, et proviennent soit de notre quotidien, soit d’éléments ayant marqués l’évolution de l’homme.

Psychologie des foules

À la même époque, le médecin et sociologue français Gustave le Bon s’attache quant-à lui à essayer de comprendre le fonctionnement d’un groupe d’homme.

Au moment où le Bon écrit, la destruction des croyances religieuses, politiques et sociales d’où dérivent notre civilisation, la création de nouvelles conditions d’existence de de pensée suite aux découvertes scientifiques et à l’industrialisation sont autant de facteurs qui font entrer l’humanité dans ce que l’auteur appelle « l’ère des foules ». Les civilisations d’antant reposaient sur une aristocratie intelectuelle, mais la progression de la démocratie et le pouvoir obtenu par les foules semble changer la donne.

Le Bon définit une foule comme un être provisoire, possédant une « âme collective », résultant de la somme d’un élément commun au psychique de chaque individu la composant : l’inconscient. Les aptitudes intellectuelles, autrement dit la capacité de raisonnement logique, ainsi que l’individualité, s’effacent lorsque plusieurs hommes se regroupent. La foule est par ce statut d’inconscience peu prompte à raisonner, mais toujours prête à agir et à suivre celui qui aura le courage de se présenter en « leader ». Elle est constamment en attente d’un évènement externe pouvant être associé d’une façon ou d’une autre à l’objet de son action.

Deux caractères essentiels contribuent à l’effacement de la conscience dans une foule :

Au sein d’une foule, les individus les plus sensibles aux stimilus externes (eg. enfants, femmes) constituent des « points d’entrées » pour faire y passer des idées. La puissance du nombre et la sensibilité accrue de l’individu en foule y favorisent alors grandement la propagation d’idées.

Les foules ont une imagination très puissante, et l’image peut permettre d’influencer celle-ci avec brio : « les foules, ne pouvant penser que par images, ne se laissent impressioner que par des images ». Plus que les faits, c’est la façon dont ceux-ci sont présentés à la foule qui va frapper l’imagination populaire, et faire pénétrer les idées en profondeur.

Deux facteurs determinent les opinions et les croyances des foules : les facteurs dit lointains, qui la rendent capable d’accepter certaines convictions et incapable d’en accepter d’autres, et les facteurs proches, qui se superposent aux précédents, permettant ainsi l’éclosion d’une idée.

Les facteurs lointains cités par Le Bon se rapportent essentiellement aux traditions, à la culture ou encore à l’éducation. Mais ces facteurs peuvent aussi se créer ou être crées, en suggérant progressivement et constamment des idées similaires à une foule : « La chose affirmée arrive, par la répétition, à s’établir dans les esprits au point qu’ils finissent par l’accepter comme une vérité démontrée. » La position actuelle de l’opinion publique vis-à-vis de l’Iran est par exemple travaillée depuis un certain temps, avec une intensité croissante, et visiblement destinée à convaincre la population qu’un conflit est nécessaire. De même, la guerre froide avait comme effet de bords de convaincre chaque pôle que l’autre était dans le mal, un effet visible est que proner une démocratie (dêmos : peuple, kratos : gouvernement) du peuple, par le peuple, pour le peuple, vaut d’être affublé du sobriquet « communiste » à l’Ouest.

Les leaders dans un groupe peuvent alors être vu comme des psychologues, plus ou moins conscient de l’état d’attente de la foule. Bien qu’il soit impossible de raisonner celle-ci avec des arguments logiques, ils peuvent tout de même tenter quelques suggestions pour divertir la foule de son centre d’interêt, ou au contraire, renforcer son état courant. Si par malheur, quelqu’un tenterait de contrarier de force la foule de son objectif, il la mettrait dans un état de fureur : incapable de comprendre la présence d’un obstacle l’empêchant d’atteindre son objectif, elle niera l’obstacle avec force et violence.

En guise d’exemple, la politique de Nicolas Sarkosy supposée bien connue du lecteur est particulièrement bien décrite par Le Bon : « Pour convaincre les foules, il faut d’abord se rendre bien compte des sentiments dont elles sont animées,
feindre de les partager, puis tenter de les modifier au moyens d’associations rudimentaires , savoir revenir au besoin sur ses pas, deviner surtout à chaque instant les sentiments qu’on fait naître. ». Un article paru sur lemonde.fr cite quelques morceaux choisis d’un discours de Sarkozy, illustrant parfaitement ce qui vient d’être énnoncé :

"Il a fallu que je m'y mette pour comprendre les valeurs ce qu'il y avait derrière l'engagement qui est le vôtre. Le Web n'est pas simplement une technologie, c'est aussi une façon d'être."

"Moi-même, je me suis trompé quand je parlais de régulation. J'ai pris le risque de crisper un univers qui est fondé sur le partage et sur la liberté"

"Nous avons corrigé des choses avec l'e-G8, pour faire comprendre que l'absence totale de règles met en cause votre idée de la liberté et du partage. Le Web ne peut pas être perverti par des gens qui ne partagent aucune des valeurs du Web et pourraient faire n'importe quoi", [...] et Nicolas Sarkozy juge désormais qu'il "vaut mieux que les Etats jouent le jeu sur l'accès aux données publiques plutôt que d'essayer de résister".

Résultats

Ces deux théories modélisent assez justement le fonctionnement de l’esprit humain, mais il serait imprudent d’avancer qu’elles sont parfaites. De la même façon que mécanique newtonienne donnait une image satisfaisante mais imparfaite du monde, elle a dès le début du XXIème siècle, a été profondément remise en cause par les physiciens avec la création de la physique quantique, il y a fort à parier qu’on découvre de nouvaux modèles dans les années à venir.

Mais malgré la vision « bancale » ainsi offerte, la mise en commun des divers éléments de ces théories se révèlent éminemment efficace. Lors des opérations de la CPI, des personnalités comme Edward Bernays, un neveu de Freud, ont utilisé ce mélange pour convaincre la population américaine. L’un de ses collègues, Walter Lippmann, avait quant-à lui découvert avec stupeur l’un des revers du concept de liberté pris dans son sens le plus absolu : le bien commun est « une notion qui échappe à l’opinion publique », et le comportement chaotique qui en résulte peut aisément mettre à mal la pérénité, la stabilité d’un système démocratique. De ce fait, seuls quelques intellectuels bien éduqués sont à même de pouvoir déterminer le bien du mal, et ont en quelque sorte la responsabilité morale de « fabriquer le consentemment » de l’opinion publique. Ce point de vue prolonge donc la façon dont les sociétés sont conçues et entretenues à l’ère des foules : elle ne peuvent ni ne doivent prendre en main leur destin, elle en sont de toutes façon bien incapables.

Cette incapacité provient du fait qu’un groupe n’est pas guidé par un sentiment de rationalité. Il n’y a qu’à regarder l’attitude d’une foule dans un stade, lors d’un quelconque évènement culturel ou sportif

ou encore, l’hystérie collective qui vient frapper de plein fouet un magasin le premier jour des soldes pour se convaincre qu’effectivement, c’est ici le côté « animal » de l’homme qui l’emporte sur sa raison :

Il est bien entendu inconcevable d’essayer d’éduquer la population, il est tellement plus facile de profiter de cet état.

À la fin de la guerre, plusieurs personnes dont ces deux bonhommes vont donc se pencher sur un moyen d’intégrer cette nouvelle propagande au sein de la démocratie. Cependant, le terme propagande ne pouvait évidemment pas être utilisé : la notion de « relations publiques » est alors inventé par Bernays pour combler ce manque, et instaurer en toute légitimité un appareillage d’orientation de l’opinion publique au sein du gouvernement des États-Unis. « […] le premier devoir de l’homme d’État véritable est de changer les mots sans, bien entendu, toucher aux choses en elles-mêmes, ces dernières étant trop liées à une constitution héréditaire pour pouvoir être transformées » écrit Le Bon.

Le mot publicité qui avait déjà pour sa part perdu son sens premier, qui de « ce qui est publique », s’est transformé progressivement en « susciter le désir [pour vendre] ». Loin d’être secrète et cachée, cette maxime va jusqu’à être enseignée à l’école, sans que quiconque ne s’en offusque, et s’il vous venait l’idée de la remettre en question, il vous serait retorqué qu’il est grand temps de devenir adulte, et de cesser de poser des questions aussi enfantines : c’est comme ça que le monde fonctionne.

Dès lors, ces techniques vont se démultiplier avec force, notamment avec l’apparition des instituts de sondages, la publicité massive et la télévision, dont les terreaux fertiles sont la progression de l’industrialisation, des communications, et un système de production/consommation de masse.

Quelques exemples

Un archétype publicitaire : l’industrie du tabac

En 1929, un tabou grandissant autour de la consommation de tabac chez la femme provoque une forte diminution du nombre de fumeuses, et le fait de fumer pour le sexe faible devient alors honteux. De peur de voir leurs chiffres d’affaires divisé par deux, les grandes compagnies de tabac font donc appel à Bernays. La psychanalyse lui apprend alors que la forme phallique des cigarettes ainsi que l’acte de fumer, qui en soi excite la zone orale, sont à l’origine du rejet de la « femme fumeuse ». S’il devient alors possible de faire passer la consommation de tabac chez la femme comme une tentative de bousculement du pouvoir masculin, alors le tabou tombe. Il décide enfin de lancer un coup médiatique : il recrute plusieurs jeunes femmes, et leur demande d’allumer une cigarette en public, lors d’une parade à New-York, devant des photographes. Il prévient aussi quelques journalistes présents sur place, qu’un groupe de demoiselles s’apprête à allumer des « torches de la liberté ». Le lendemain, le New-York Times imprime "Group of Girls Puff at Cigarettes as a Gesture of ’Freedom’", ce qui contribue entre autre à faire écho à la scène. En leur trouvant un substitut de pénis, Bernays s’assure que les femmes se remettent à fumer aux yeux de tous.

Dans les années 1930, Lucky Strike fait de nouveau appel à Bernays : les ventes sont en baisse. Une étude de marché révèle que le vert des paquets de cigarettes est à la l’origine de cette dégringolade, particulièrement chez la gente féminine. L’attachement de la marque à son blason rend difficile un changement d’emballage, et Bernays est alors contraint à contourner le problème : si l’on ne peut changer la couleur, il faut remettre celle-ci au goût du jour, en jouant par exemple sur la mode, en parler dans les buffets et les salons mondains, et faire rappeller par un psychologue que le vert est la couleur de l’espoir, de la renaissance et de mère nature.

La guerre fournit finalement le prétexte nécessaire pour se débarasser de cet affreux vert. En effet, entrait dans la composition de l’encre verte et de la bordure dorée du paquet du cuivre et du chrome. L’industrie de guerre en avait effectivement besoin, ce qui permit alors de changer l’apparence du paquet, et de vendre le produit en faisant passer l’entreprise comme un moyen pour la population d’exprimer son patriotisme, utilisant donc un facteur lointain, à savoir une allégence sans faille au drapeau étoilé

Les célébrités peuvent être utilisées en tant que stimulus externe : les foules, en recherche constante d’un leader auquel s’identifier sont prêtes à accepter son autorité, et à copier son comportement. La reconnaissance de la population se faisant et se défaisant au fil des années, ce n’est plus l’actrice Claudette Colbert qui assure la publicité de la marque et de son vert caca d’oie

mais la très célèbre actrice/chanteuse Marlene Dietrich qui se charge d’assure la promotion de Lucky Stricke et de ses nouveaux paquets. Notons de plus la présence de tests « scientifiques », effectués par des « laboratoires indépendants » pour convainre les acheteurs potentiels de la qualité du produit qu’ils désirent déjà. La science est toute puissante, et n’a pas besoin d’être explicitée par d’ennuyeuses preuves.

Dans les années 1950, deux chercheurs viennent à nouveau troubler le repos de l’industrie du tabac, en publiant un article qui établit un lien entre la consommation de cigarette et le cancer du poumon. Les grands de ce milieu se retrouvent donc en petit commité, et lancent deux mesures principales :

Et pour finir, le monde d’aujourd’hui étant plus que jamais porté sur le gadget inutile donc indispensable, Lucky nous propose des cigarettes au goût changeant, dans un emballage aux couleurs et à la police « modernes » :

Rappellons enfin qu’après avoir aidé l’industrie du sucide collectif à long terme à se sortir de ses coups durs, Bernays a dans les années 1960 aidé plusieurs campagnes de lutte contre le tabac, ce qu’un grand optimiste pourrait interpréter comme de timides regrets à peine esquissés, et un pessimiste comme un manque total de scrupules, ou comme une action engagée sous contrainte.

Mais à vrai dire, il y a fort à parier que ce soient les mêmes personnes qui se situent aux deux extrémités : ces deux articles on ne peut plus semblables sur le contenu, situés sur des sites de ventes de cigarettes en ligne, font référence à un certain Howard Reed. Ce dernier a écrit un article justifiant l’augmentation des taxes sur le tabac par la baisse de la consommation qu’elle entraîne. L’article est trouvable aussi sur ash.org.uk, un site dédié à la lutte contre le tabac. C’est aussi un exemple d’utilisation d’utilisation de l’informatique : ce média permet une automatisation du traitement de l’information. Pour être automatisée, celle-ci doit avoir une forme régulière et répétitive : la propagande en est donc un candidat idéal.

Influences sur la vie moderne

À la fin de Propaganda de Bernays, celui-ci évoque les possibilités pouvant être offerte par le cinéma, média fonctionnant quasi uniquement sur l’image, et dont le potentiel de persuasion est particulièrement fort : « Le cinéma a le pouvoir d’uniformiser les pensées et les habitudes de vie de toute la nation. ». Son successeur direct, la télévision, est donc par essence un véhicule de propagande jouant un rôle capital dans l’exportation de la culture.

Neil Postman évoque dans Se distraire à en mourir l’influence que peut avoir un mode de communication sur la nature des messages transmis : « le média est le message » résume bien sa pensée. Ainsi, il démontre comment le passage d’une culture basée sur l’orale à une culture basée sur l’écrit a changé la nature même des messages étant transmis. Dans l’amérique littéraire, la population s’exprimait à l’oral comme elle s’exprimait à l’écrit. Et la boîte à images a aussi modifié la façon dont les hommes communiquent : les apparences sont devenues la norme ; la possibilité offerte par le média pour suggérer et divertir son auditoire ne nécessite plus de faire appel à un quelconque argument rationnel, le message tombe en désuétude devant l’image.

Mais cet état de divertissement n’est pas imposé au peuple, c’est lui-même qui le demande, préférant de loin recevoir des informations vêtues d’un costume de fiction : du son, des lumières et du mouvement pardi ! Pourquoi une chaîne de télévision n’offre que très rarement des débats rationnel en plan fixe ? Tout simplement car, armé de sa zapette, le spectateur ainsi ennuyé aurait tôt fait de changer de chaîne. Après avoir passé une journée entière dans l’environnement éprouvant que constitue généralement son lieu de travail, si celui-ci regarde la télévision en rentrant, c’est avant tout pour se distraire.

La distraction est aussi un moyen de détourner l’opinion publique de certaines questions. Chomsky évoque entre autre dans une interview la question de Guantanamo. Alors que les médias décrient les traitements inhumains subit par les prisonniers, il explique le positionnement stratégique de la prison : elle restreint le développement de Cuba à l’Est, et souligne donc le blocus économique imposé à l’île pour avoir eu l’audace de se débarasser de l’impérialisme américain. Enfin, n’étant pas sur le territoire américain, elle n’est soumis à aucune réglementation particulière, ce qui donne une marge de liberté importante aux geôliers.

Les États-Unis, dont l’un des leitmotivs est « la sécurité par l’expansion » depuis sa création, se sont retrouvés dans une situation particulièrement avantageuse à la sortie de la WWII. Pour éviter qu’une situation financière désastreuse ne conduise à nouveau à des excès hitleresques, il exportèrent leur modèle socio-économique au travers de diverses manœuvres financières et culturelles. Dès lors, l’Europe, puis rapidement une grande partie du monde, se voit adopter ce modèle de communication et de fonctionnement sociétal. La propagande ainsi déguisée dictera l’évolution socio-économique du siècle précédent, et constitue encore de nos jours l’une des composantes majeures de la ligne directrice de la politique occidentale, voire mondiale.

Donc, la propagation de l’organisation sociale américaine, majoritairement basée sur la propagande, s’est exportée dans ses colonies à travers le cinéma, la radio, l’économie, puis la télévision, tout en façonnant la façon de penser des peuples conquis. Enfin, leur poids important a permis l’expansion d’un outil de pensée majeur, à savoir une version éducolorée de l’anglais, contribuant davantage à faire évoluer la pensée des peuples. Tout ceci peut-être assimilé à une forme de lavage de cerveau, ne reposant pas sur des chocs physiques, mais seulement sur l’exploitation des caractèristiques du fonctionnement du psychique humain.

Cette uniformisation s’est encore accélérée avec la chute de l’URSS, et semble bien être la norme aujourd’hui. Les manifestations populaires contre le phénomène de mondialisation ont été vite entérées par l’introduction d’un nouvel ennemi commun : le terrorisme international. La peur est un excellent stimulus pour une foule : la poursuite de la sécurité à tout prix et l’état de choc provoqué par les attaques terroristes permettent de distraire la population et de faire passer des textes de lois liberticides sans qu’aucune voie s’élève.

Ces articles quelque peu prophétique comprennent un nombre édifiant d’exemples de propagande moderne, et donnent une vision plausible des buts poursuivis par nombre de propagandistes.

Pour conclure

Dans le monde d’aujourd’hui, ce ne sont pas les exemples qui manquent : pratiquement chaque discours, chaque manoeuvre politique, n’importe quelle publicité, émission de télévision, de radio ou coupure de journal utilise abondamment les techniques sus-cités. Pour tester sa compréhension de ces concepts, regarder la presse ou observer le comportement de ses congénères constituent des exercices simples, réalisables de chez soi comme de l’extérieur, à n’importe quel moment.

Il est fort probable que ce type de comportements deviennent plus courants avec le temps. En y réfléchissant bien, c’est même déjà le cas : le nombre de personnes en ayant conscience a considérablement augmenté avec le temps. L’approche scientifique du phénomène a contribué à élargir ce cercle auparavant réservé aux personnalités « fortes » (eg. grands empeureurs, comme César, Napoléon ou encore Hitler). Le fait qu’un individu lambda possède généralement une connaissance moindre de son fonctionnement qu’un propagandiste peut être renversée par la sensibilité scientifique acquise au cours des derniers siècles. Encore faut-il que la science ne soit pas présentée comme mystérieuse et magique, ou pire, ennuyeuse, mais seulement pour ce qu’elle est : un outil de modélisation des phénomènes qui nous entourent, un moyen d’acquérir de la connaissance.

L’on entend bien souvent dire que nous ne sommes plus en démocratie, que seuls les grands magnats de la finance dirigent le monde. Mais il faut bien garder à l’esprit que c’est le peuple, par son comportement, qui apporte de l’eau au moulin.

Références

Amusing ourselves to death —— Neil Postman (audio, en, cartoon, en)

Politics and the english language —— Georges Orwell (en)

Propaganda —— Edward Bernays (fr, en)

Psychologies des foules —— Gustave le Bon (fr)

The century of the self —— Adam Curtis (documentaire, en)

The spectacular achievements of propaganda —— Noam Chomsky (fr, en)


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