Procès Colonna : explication de texte

par Roseau
jeudi 5 mai 2011

Cette troisième journée à la cour d'assise spéciale n'a pas un goût de déjà vu. Je ne reviendrais pas véritablement sur le "changement" d'Yvan Colonna pour deux raisons. La première, c'est que les journalistes des divers quotidiens qui couvrent le procès n'ont pas arrêté d'évoquer cet aspect. La deuxième est que je ne pense pas qu'il y ait un changement d'Yvan Colonna, mais plutôt une adaptation à des conditions différentes des deux précédents procès. C'est le procès de la dernière chance, et Yvan Colonna le sait. Le premier procès en appel méritait la rupture. Celui-là non. En tous cas pas encore, et, je l'espère, ne la méritera jamais.

Par contre, si l'on a évoqué la "stratégie" d'Yvan Colonna et de ses avocats, je ne crois pas qu'on ait évoqué la tactique des avocats des parties civiles. Pourtant, en cette troisième journée d'audience, on a vu une tactique qui m'a semblé assez efficace quoique sans gloire. Il s'agit tout simplement de toujours remettre en question les réponses du prévenu. On pose une question, le prévenu répond, l'avocat considère que la réponse ne vaut rien, et repose la question. Technique très simple pour pousser à bout l'homme, qui dans son box, après avoir donné 3 fois la même réponse, s'emportera sûrement.

C'est ce qui s'est passé avec Me Lemaire, l'avocat de la famille Erignac, qui a su mettre Yvan Colonna hors de ses gonds (quoique pas tant que ça).

Petit retour en arrière. Le Président Stephan demande à Yvan Colonna s'il a fait partie du groupe des anonymes. Colonna répond non. Le Président lui demande s'il connaissait son existence. Yvan Colonna (et c'est une première) répond "oui, j'ai su des choses à un moment donné". Puis il recadre un peu ses propos et explique qu'une personne lui a dit une fois certaines choses à ce propos. Le Président lui demande quoi. Et Yvan répond : "A ce stade des débats, je préfère ne pas répondre. Je préfère que cette personne (un membre du commando, tout le monde l'aura compris) dise elle-même ce qui s'est passé, et explique aussi pourquoi elle m'a mis en cause. Si jamais elle ne le dit pas, je vous jure que je le dirai moi-même. Mais je préfère que cela vienne d'elle." (Les membres du commando sont censés venir témoigner à la barre fin mai.)

Le Président tente de comprendre, Colonna s'explique : il sait que s'il le dit lui-même, on ne le croira pas. Comme on ne le croit pas depuis 13 ans. Il préfère que le témoin vienne, et s'il le faut il le questionnera lui-même pour lui faire cracher le morceau. Yvan lui-même n'a pas encore compris totalement pourquoi certains membres du commando l'ont mis en cause avant de se rétracter.

Il n'a pas vraiment tort, Colonna. On imagine bien que s'il annoncait une quelconque version nouvelle de l'incident, Maître Lemaire, ou Maître Chabert, l'accuserait encore de mentir, d'inventer pour "ne pas assumer ses responsabilités". Pour tout dire, c'est couru d'avance, c'est ce qu'ils feraient, c'est ce qu'ils ont toujours fait, dans un système bien rodé ou si l'accusé n'avoue pas sa culpabilité, c'est qu'il fuit ses responsabilités. Sauf qu'un accusé n'est pas forcément coupable... mais ça les avocats de la partie civile ne veulent pas en entendre parler. Nous y reviendrons plus tard.

La réponse d'Yvan Colonna a le mérite d'être claire. Mais en face, on fait semblant de ne pas comprendre. Et à tour de rôle, les avocats des parties civiles reposeront la même question à Colonna. Pourquoi ne veut-il pas répondre maintenant ? Pourquoi attendre plus tard ? Colonna fera à chaque fois la même réponse. En vain, personne ne l'accepte.

Jusqu'à M. Lemaire, qui insiste et reproche à Colonna de savoir les choses et de ne pas les dire. Et là Yvan Colonna s'emporte : "Non Monsieur Lemaire, je ne sais pas les choses, je ne sais pas pourquoi ils m'ont mis en cause, et j'attends qu'ils disent la vérité !". Le tout d'une voix qui fait trembler la salle, et laisse finalement un silence de plomb sceller ces mots pendant quelques instants. Lemaire balbutiera : "c'est du charabia"... Pourtant non, c'est clair. Mais il faut pouvoir accepter les réponses simples.

Alors une question m'a parfois tarabiscoté... Pourquoi ces avocats, qui sont certainement des hommes de bien, ont-ils une telle certitude (en tous cas pour Lemaire, je le pense) de la culpabilité de Colonna. Pour des aveux rétractés des membres du commando ? Impossible, pas un avocat qui se respecte n'accordera plus d'importance que ce qu'il faut à des aveux recueillis hors de la présence d'un avocat dans des gardes à vue sous pression, dont on sait qu'elles ont mené à tant d'abus qu'elles sont aujourd'hui illégales.

A part ces aveux ? Rien que des éléments à décharge depuis 2003. Eléments tellement nombreux et connus que je ne reviendrait pas dessus (témoins oculaires déclarant que ce n'était pas Yvan, expert balistique déclarant la même chose, absence absolue de preuves matérielles, nombreux éléments prouvant qu'il n'était pas à l'attaque de la gendarmerie de Pietrosella, etc.)

La personnalité du prévenu ? Non je n'y crois pas. Sans préjugés, on ne peut pas déduire de sa personnalité qu'il est le coupable. 

Alors je pense, je crois, j'imagine, que quelqu'un a du leur souffler que c'était lui. Quelqu'un en qui ils ont suffisamment confiance pour qu'ils n'aient plus à penser, plus à douter. Est-ce le même qui l'a soufflé à Madame Erignac ? Qui est-il ce quelqu'un ? Et qu'y gagne-t-il ? Ne pensez pas qu'on n'aura jamais la réponse à cette question. Les coups de théâtre, ça existe, et pas qu'au théâtre.

Quoi qu'il en soit, on ne sait pas de quoi la suite du procès sera faite. Mais imaginons un instant le jour où l'un des membres du commando passera à la barre, qu'il déclare, de lui-même ou poussé dans ses retranchements par Yvan Colonna, qu'un soir, il a vu Yvan, lui a parlé de son projet, même vaguement, invitant Yvan à se joindre au groupe des anonymes, et que Yvan a refusé, violemment et sans compromis ? Et si on apprenait qu'il y avait un peu de vengeance dans les dénonciations des membres du commando ? Ou juste que le fait de dénoncer Yvan, sachant qu'il était hors du coup, était une manière de gagner du temps, en se disant "de toutes façons il sera innocenté plus tard" ? 

Les parties civiles seront-elles prêtes à entendre ça ? Ou continueront-elles à refuser l'évidence ?

Si Yvan n'est pas coupable, alors il y a un grand vide à la place du tireur, et parfois, il est trop dur pour certains d'accepter qu'il y puisse exister une telle absence. L'espace fait peur, et Yvan Colonna coupable les a peut-être trop longtemps sauvé de la peur du vide pour qu'ils puissent revenir en arrière.

Une chose est sûre, le préjugé est tenace, mais la vérité, lorsqu'elle est dite, l'emporte.


Lire l'article complet, et les commentaires