Procès Colonna : « le goût amer de l’injustice »

par Olivier Bonnet
mardi 25 août 2009

"Pourquoi ces écoutes judiciaires ne sont-elles pas au dossier ? Pourquoi attend-on aujourd’hui pour apprendre leur existence ?", interrogeait Maître Gilles Simeoni durant le procès Colonna en mars dernier. Les écoutes en question concernaient l’un des membres du commando condamné en 2003, Alain Ferrandi, livrant des conversations qu’il avait tenues avec Yvan Colonna, le père et le frère de ce dernier. "Elles pourraient accréditer la thèse des avocats du berger de Cargèse, selon laquelle son nom a été « soufflé » aux membres du commando", résumait à l’époque un article de 20 minutes. Aussi la défense avait elle porté plainte pour "destruction, soustraction, recel ou altération d’un document public ou privé de nature à faciliter la découverte d’un crime ou d’un délit, la recherche des preuves ou la condamnation des coupables". Résultat ? Plainte "classée sans suite. La nouvelle est tombée dernièrement en toute discrétion", nous apprend le site de la radio corse Alta Frequenza. En toute discrétion, c’est le mot : seul ce média s’en est fait l’écho ! La sœur du berger de Cargèse, Christine Colonna, réagit sur son antenne : "Ça confirme de toute façon l’attitude qui est celle de l’État et celle de la justice antiterroriste (...) de refuser tout ce qui est remise en cause du travail effectué dans ce dossier. C’est-à-dire uniquement à charge, on l’a dit plusieurs fois. Dissimulation de preuves, c’est quand même quelque chose de très grave. Théoriquement, une justice indépendante aurait dû se saisir de cette plainte et au moins aller jusqu’au bout de la démarche. Ça n’est pas le cas, donc c’est dans la continuité du procès du mois de mars. (...) Plus la défense marque des points, plus la défense avance dans la démonstration de son innocence et plus en face la justice resserre les rangs, est solidaire envers et contre tout d’une procédure qui a été complètement bafouée et qui est insupportable en termes de démocratie et de réelle justice." Fin juillet, la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme avait rendu son rapport sur l’affaire, téléchargeable ici. L’une des trois observateurs qu’elle avait mandatés, l’avocate tunisienne Alya Chammari, n’avait pas craint d’affirmer clairement, elle aussi sur les ondes d’Alta Frequenza : "En tant qu’observatrice de ce procès, je ne pense pas qu’il ait été équitable". S’exprimant à propos de ce rapport, André Paccou, membre du comité central de la Ligue des droits de l’Homme, a publié une tribune sous le titre de  Le goût amer de l’injustice  : "Procès Colonna : la justice antiterroriste dans l’impasse  », tel est le titre, sans équivoque, du rapport de la mission d’observation au procès en appel d’Yvan Colonna que vient de publier la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (...). Premièrement, il jette un doute absolu sur le caractère équitable du procès d’Yvan Colonna. «  À l’issue de six semaines de procès, la question du caractère équitable de ce procès est clairement posée  ». «  L’absence de toute preuve matérielle impliquant Yvan Colonna dans l’assassinat du Préfet Erignac, les rétractations de sa mise en cause par les membres du commando, la mise en cause d’autres personnes qui n’ont pas été arrêtées, les témoins oculaires qui n’ont pas reconnu Yvan Colonna, sont autant d’éléments qui pourraient être de nature à laisser subsister un doute quant à sa culpabilité ». Deuxièmement, les auteurs du rapport analysent les raisons qui conduisent ainsi à l’erreur. Ce procès «  a été une parfaite illustration des dérives que permet la législation antiterroriste en France par rapport aux obligations nationales et internationales de celle-ci en matière de droits de l’Homme  ». (...) Cette législation, «  porte ouverte à l’arbitraire  », explique les dérives et le déséquilibre entre les nécessités de l’accusation et les droits de la défense dans cette affaire depuis l’enquête jusqu’au jugement en passant par l’instruction. Plus particulièrement, relevons une interrogation lourde de sens sur le bien fondé d’un procès public à l’issue de l’instruction. «  Au moment du règlement de la procédure, la décision de renvoi d’un accusé devant la Cour d’assises suppose la vérification de l’existence de charges suffisantes, à défaut desquelles le non lieu est prononcé… Il est permis de se poser la question de savoir si le renvoi d’Yvan Colonna devant la Cour d’assises spéciale de Paris par les juges d’instruction a eu lieu sur la base d’un dossier qui permettait d’apprécier l’existence de telles charges  » . (...) Ce rapport conduit donc le lecteur à penser que la Cour s’est plus attachée à sauver le dossier contestable de l’instruction antiterroriste qu’à faire émerger la vérité."

En finir avec les lois antiterroristes

"Les juges d’instruction vont-ils remettre un peu d’ordre dans ce désordre policier ? En fait, ils vont aggraver la situation. Notamment en ouvrant un dossier poubelle qui leur permettra de mettre tous les éléments considérés comme non utilisés dans le dossier de mise en examen d’Yvan Colonna. Parmi ceux-ci, des écoutes téléphoniques pourtant essentielles mais auxquelles les avocats de la défense n’auront pas accès malgré plusieurs demandes systématiquement rejetées. «  Ces refus illustrent le pouvoir considérable des juges d’instruction antiterroristes. Ces derniers sont le plus souvent plus attentifs aux arguments de l’accusation qu’à ceux de la défense, alors qu’en principe, défense et accusation devraient disposer des mêmes armes  ». «  Par ailleurs, les juges d’instruction n’ont pas procédé à une reconstitution des faits, tel que le permet le Code de procédure pénal, alors que cette mesure est systématiquement ordonnée en matière criminelle... particulièrement lorsqu’il s’agit de crimes graves comme ceux que la Cour avait à juger à l’occasion du procès d’Yvan Colonna  ». À son tour, la Cour d’assises d’appel refusera la reconstitution «  alors que dans les circonstances du procès, il n’est pas contestable qu’elle était devenue essentielle pour la manifestation de la vérité  ». À l’issue de ce deuxième procès, il reste donc des incertitudes sur la taille du tireur et le nombre d’agresseurs le soir de l’assassinat ainsi qu’une absence de confrontations entre les membres du commando et les témoins oculaires, une empreinte digitale non attribuée aux personnes impliquées dans l’opération de Pietrosella, trois témoins oculaires directs de l’assassinat ne reconnaissant pas Yvan Colonna, les rétractations réitérées dans le cadre de ce procès de ceux qui l’avaient accusé, une discordance chronologique de l’opération de l’assassinat du préfet à travers l’analyse de la téléphonie, pièce maîtresse de l’accusation, la déclaration de l’un des membres du commando avouant qu’il était l’assassin ! Mais au-delà de ces nombreuses zones d’ombre, il demeure une vérité qui n’a pas été dite et son corollaire, le spectre de l’erreur judiciaire. Il demeure le goût amer de l’injustice car le doute devait profiter à l’accusé. Un doute qui, pour Yvan Colonna, s’est transformé en son contraire, une condamnation pour la totalité des chefs d’inculpation et la peine la plus lourde ! Mais il existe aussi une certitude, il faut en finir avec les lois antiterroristes. «  La gravité des incriminations ne saurait justifier la remise en cause des procédures de droit commun qui garantissent les droits fondamentaux. La quasi-totalité des atteintes à des droits caractérisées dans le présent rapport ainsi que celui de 1999 sont le produit de la législation spéciale de 1986 et des années suivantes  ». Pour sortir de l’arbitraire, il faut donc supprimer l’incrimination fourre-tout « d’association de malfaiteurs en relation avec un entreprise terroriste  », rétablir l’égalité des armes entre défense et accusation, remettre en cause les pouvoirs centralisés de quelques juges, garantir la présomption d’innocence en mettant un terme aux détentions provisoires aux durées excessives… Comme le demandent la LDH, la FIDH et le comité CALAS, il faut abroger les lois antiterroristes. (...) Ce combat porte en lui une charge d’Universel dès lors que les luttes menées ici et maintenant contre l’antiterrorisme sont des luttes pour l’équité et l’égalité devant la loi bien au-delà de la Corse comme certains en prennent conscience aujourd’hui avec l’affaire de Tarnac. L’antiterrorisme n’est pas une fatalité. Il est un déni de justice. Le combattre, c’est faire oeuvre d’intérêt général."

Signez la pétition pour l’abrogation des lois antiterroristes.


Lire l'article complet, et les commentaires