Projet de loi DADVSI : mes préconisations pour sortir de l’impasse

par Philippe Astor
mercredi 22 février 2006

Que pourrait donc bien inventer la France, mère patrie du droit d’auteur et de l’exception pour copie privée, comme nouvelle exception culturelle à même de nous sortir de l’impasse actuelle dans l’examen du projet de loi DADVSI, de nous permettre de transposer la directive EUCD sans nous laisser pour autant enfermer par elle ?

C’est à un exercice extrêmement difficile, qui mobilise actuellement cabinets ministériels, groupes parlementaires, lobbies industriels, associations de consommateurs et autres représentants des ayants droit ou de la société civile sans beaucoup de résultats, que j’ai décidé de me livrer ici. En essayant de répondre à la question suivante : comment transposer la directive EUCD dans le droit français sans se laisser enfermer par elle ?

Une directive EUCD à vocation purement marchande

Ma première observation portera sur la directive EUCD elle-même, qui ne laisse pas beaucoup de marge de manoeuvre aux parlements nationaux pour ce qui est de sa transposition. Cela tient pour une grande part à sa philosophie et à son principal objectif, celui de faciliter l’ouverture et le bon fonctionnement du marché intérieur de la propriété intellectuelle, ce qui passe par une harmonisation de la législation sur le droit d’auteur et ses droits voisins à l’échelle européenne, en tenant compte de l’impact des nouvelles technologies de l’information sur l’exercice et la protection de ces droits. En dernier ressort, la philosophie de cette directive est donc purement marchande, ce qui peut être problématique, s’agissant de légiférer sur un droit qui, ne serait-ce que par sa composante morale inaliénable (le droit moral des auteurs sur leurs oeuvres), échappe largement à la seule sphère marchande, seule l’exploitation de sa composante patrimoniale et de ses droits voisins pouvant donner lieu à la création de marchés, comme celui des phonogrammes. Mais son droit principal vise justement à protéger la création artistique et la culture de toute dérive marchande.

Or c’est à cette sphère marchande que la directive EUCD réduit l’examen de ce que doivent être le droit d’auteur et ses droits voisins dans la nouvelle société de l’information. Il est essentiellement question de permettre « la libre circulation des services et des marchandises qui comportent des éléments relevant de la propriété intellectuelle ». Et pour ce faire, la directive réduit purement et simplement la propriété intellectuelle à une marchandise, en lui accordant le statut de « propriété » à part entière, ce qui fait pencher dangereusement le droit d’auteur continental hérité des Lumières vers la philosophie du copyright anglo-saxon, qui lui est beaucoup plus défavorable. Le copyright privilégie en effet considérablement les droits marchands des producteurs, qui ne sont finalement que des droits voisins du droit d’auteur, lequel relève d’autres considérations que purement mercantiles. C’est ce que rappelle Franck Laroze en introduction au rapport publié par le PS au début du mois, en précisant pourquoi la notion de « propriété intellectuelle » est toute relative, et commande de s’en remettre toujours, en dernier lieu, à ce qu’est le droit de l’auteur.

Le droit d’auteur inféodé à ses droits voisins les plus mercantiles

D’aucuns verront, dans cette tentative de déplacer le problème de la protection du droit d’auteur vers celle de ses droits voisins les plus mercantiles, l’inspiration américaine - économiquement libérale et politiquement répressive - de cette directive européenne. Et ils auront bien raison. C’est de cette réduction du problème à la seule sphère marchande que découle tout un édifice législatif qui base la protection du droit d’auteur sur celle, via les fameuses mesures techniques de protection (MTP), des produits dérivés de l’oeuvre ; c’est-à-dire sur celle de ses droits voisins, dont les principaux bénéficiaires, pour ce qui est du domaine de la musique enregistrée, sont les producteurs. On est complètement dans la logique américaine du copyright, et on s’éloigne d’autant plus de l’esprit qui est au fondement du droit d’auteur continental. Cet édifice législatif, soit dit en passant, n’accouche in fine que d’une protection « technique » du droit d’auteur et de ses droits voisins ; une aberration dont le texte de la directive s’accommode en rajoutant une couche juridique : l’interdiction de contourner lesdites MTP.

Et de confier à des acteurs privés, dont les intérêts ne sont pas nécessairement en phase avec l’intérêt général - et qui ne sont pas bénéficiaires à titre principal du droit d’auteur -, la mise en oeuvre de ces MTP et le mandat d’exercer, par leur intermédiaire, une sorte de police privée de la propriété intellectuelle. D’une certaine manière, c’est faire rentrer les marchands dans le temple du droit d’auteur et dans celui de la vie privée, par la grande porte, sans s’émouvoir de déléguer un pouvoir séculier de l’État - l’exercice de la police - au secteur privé, ni du fait qu’on prend un sérieux risque de donner les moyens à un certain nombre de monopoles ou d’oligopoles de fait de se consolider, d’accentuer leur mainmise sur le marché et d’exercer un certain contrôle sur la société civile, pour ce qui est de son accès à une culture cadenassée par une pléthore de « propriétés » intellectuelles privées. Dois-je citer le nom des principaux bénéficiaires de ce blanc-seing ? Microsoft et le cartel des majors du disque, bien sûr... mais également tous ceux qui convoitent une part de ce marché européen unique, libre, ouvert et complètement dématérialisé de la propriété intellectuelle, dont la directive EUCD veut favoriser l’émergence - et dont les projections sont mirifiques, ne serait-ce que pour ce qui concerne la distribution de musique sur Internet et sur les mobiles.

Pour une nouvelle exception culturelle : celle de l’accès privé

Dès lors, que pouvons-nous faire ? Il nous faut bien transposer : la légalisation des MTP comme l’interdiction de les contourner. Que pourrait donc bien inventer la France, mère patrie du droit d’auteur et de l’exception pour copie privée, comme nouvelle exception culturelle à même de nous sortir de l’impasse, de nous permettre de transposer la directive EUCD sans nous laisser pour autant enfermer par elle ? Ce serait d’autant plus salutaire que, comme le souligne le député PS Patrick Bloche, cette directive date de 2001 et est déjà dépassée par l’évolution des usages et des technologies. Elle en devient presque obsolète, avant même d’avoir été transposée.

Puisqu’il s’agit de donner mon avis, je ferai cette suggestion : inscrivons dans le texte de loi une «  exception pour accès privé », qui recouvre et comprenne l’actuelle exception pour copie privée . La directive EUCD prévoit que sa transposition ne doit pas compromettre l’exercice des exceptions existantes déjà prévues par les États membres, comme celle pour copie privée en France, et rien n’interdit à l’un de ces États, dans le droit européen, de profiter de l’occasion pour mettre à jour le champ d’application de l’une de ces exceptions dans un souci d’adaptation à la nouvelle donne de la société de l’information. L’Assemblée nationale est donc tout à fait fondée, sans contrevenir à la directive, à étendre la notion d’« exception pour copie privée » à celle d’« exception pour accès privé ».

L’intérêt d’une telle initiative serait de pouvoir opposer à l’interdiction de contournement des MTP le fait de chercher à accéder, en toute bonne foi, par quelque moyen que ce soit et dans le cadre de la sphère privée, à un contenu auquel on a obtenu légitimement le droit d’accéder. Ainsi je ne tomberai pas sous le coup de cette interdiction de contournement si, sous couvert d’exception pour accès privé, je casse la protection d’un fichier WMA acheté sur Virginmega.fr pour le copier et le lire sur mon baladeur iPod ou sur tout autre appareil équipé de logiciels libres. De la même manière, l’auteur et l’éditeur du logiciel, libre ou non, qui m’aura permis de casser cette protection, pourraient faire valoir qu’il est voué essentiellement à un usage légitime, couvert par une exception pour accès privé, ce qui résout par la même occasion bien des problèmes soulevés par le projet de loi DADVSI en ce qui concerne la pérennité du logiciel libre.

D’une pierre deux coups : pérenniser le logiciel libre et favoriser l’interopérabilité

Plus globalement, l’exception pour accès privé anticiperait l’avénement d’une nouvelle économie de la musique, du cinéma et de l’audiovisuel qui serait basée essentiellement sur l’accès du plus grand nombre à des catalogues d’oeuvres très étendus, sur une base forfaitaire, et sur la commercialisation de nombreux services à forte valeur ajoutée. C’est un univers dans lequel la copie privée s’apparenterait de plus en plus à une « copie technique » et où la notion d’accès deviendrait prépondérante.

L’industrie de la création disposerait malgré tout de l’arsenal judiciaire et pénal prévu par la directive EUCD pour lutter contre le vrai piratage - celui qui déborde de la sphère privée et se pratique à des fins lucratives - et de la possibilité de mettre en oeuvre des mesures techniques de protection, elles-mêmes protégées juridiquement contre tout contournement, sauf exception pour accès privé. En contrepartie, le citoyen lambda pourrait opposer, au titre de cette exception, une fin de non-recevoir à toute velléité, de la part de l’industrie, d’intrusion dans sa vie privée ou de limitation de ses libertés civiles en matière d’usages et d’accès à la culture. Et la communauté du logiciel libre pourrait développer en toute quiétude des lecteurs multimédias universels capables d’interagir avec toutes les MTP, fût-ce au prix d’un contournement « technique » de ces dernières relevant de l’ingénierie amont (ou reverse engineering), qui serait couvert par l’exception pour accès privé.

Ce serait un excellent moyen, au demeurant, d’inciter le marché et l’industrie à aller vers une plus grande interopérabilité, dans la mesure où les citadelles techniques de protection érigées par des Apple ou Microsoft ne constitueraient plus de véritables avantages concurrentiels, ni des mesures techniques vraiment efficaces de protection de leurs marchés respectifs, ce qu’elles sont en réalité, avec pour principal inconvénient de prendre les consommateurs en otages.

Copie privée : contre une qualification de la source

Malgré tout, bien des questions resteraient encore en suspens. Celles posées par les échanges entre particuliers sur les réseaux peer-to-peer, notamment. En l’état, le Code de la propriété intellectuelle, parce qu’il ne qualifie pas la source de la copie privée, encourage les tribunaux à assimiler le téléchargement (download) à cette dernière. Une proposition d’amendement prévoit cependant de réformer l’exception pour copie privée en qualifiant sa source, qui devrait être désormais légitimement acquise. Qualifier de la même manière la source d’une exception pour accès privé serait tout aussi rédhibitoire. Ce serait limiter sciemment l’exercice de la copie ou de l’accès privés, et compromettre en même temps le développement d’une multitude de nouveaux usages et d’innovations. Le walkman aurait-il jamais vu le jour sans exception pour copie privée ou notion de fair use ? Et un logiciel de radio peer-to-peer comme Mercora sans disques durs blindés de fichiers MP3 téléchargés sur Kazaa ? Et des concepts comme la superdistribution, dont se gargarise aujourd’hui l’industrie de la musique, sans l’apparition de Napster, BitTorrent et consorts ? Et iTunes Music Store ou le iPod sans l’émergence des premiers baladeurs MP3, que l’industrie du disque américaine avait d’abord tenté de faire interdire ?

Cette proposition d’amendement est une une mauvaise solution parce qu’elle s’attaque au mauvais côté du problème, le bon angle étant celui de la mise à disposition des oeuvres, qui relève du droit d’autoriser de l’ensemble des ayants droit. De ce point de vue, la licence globale défendue par l’Adami apporte une solution concrète : l’instauration d’une gestion collective de cette mise à disposition. Mais elle n’est pas satisfaisante à plusieurs égards, comme je l’ai déjà exprimé, ne serait-ce que parce qu’elle hypothèquerait, à mon avis, le développement d’un certain nombre d’offres commerciales tout à fait légitimes, qui se cherchent encore et dont la nature et les modèles économiques sont susceptibles d’évoluer très rapidement dans le temps. Et je ne songe pas seulement aux offres existantes ou à celles que développent les principaux acteurs du marché, mais aussi à celles que sont susceptibles de proposer de nombreux nouveaux entrants indépendants et à peine émergents aujourd’hui, pour ne pas dire inexistants sur le marché français, qui auraient toutes les difficultés du monde à trouver des sources de financements et à développer un modèle économique viable, dans un environnement où l’essentiel des clients potentiels pourraient déjà accéder à l’ensemble des catalogues sous couvert de licence globale. Je ne crois pas que dans ces conditions, MusicMe aurait pu lever 3 millions d’euros pour financer le développement de son moteur de recherche sur abonnement.

Mise à disposition : comment réaffirmer le droit d’autoriser

Pour autant, je ne pense pas qu’il faille fermer définitivement la porte à cette licence globale. Une fois que la “nouvelle économie” de la musique aura permis l’émergence et la montée en puissance d’une multitude de nouveaux acteurs indépendants, qu’il s’agisse de labels ou de music service providers ; une fois que le marché se sera rééquilibré en faveur d’une plus grande diversité de l’offre musicale, que favoriserait une transposition plus souple de la directive EUCD prévoyant notamment une exception pour accès privé ; une fois que l’industrie et l’ensemble des acteurs de la filière musicale auront développé de nombreux services à forte valeur ajoutée et renoué avec une croissance qui a toutes les chances de redevenir exponentielle, comme en plein âge d’or du CD, alors il sera certainement opportun d’envisager l’instauration d’une telle licence globale, dans le souci de favoriser l’accès du public à la culture : celui, en particulier, de ces franges du public qui resteront défavorisées et exclues de l’accès au marché des nouveaux services de musique, comme ces jeunes ados en mal d’argent de poche à qui la copie privée permet de façonner leur culture musicale de futurs consommateurs payants. Mais instaurer la licence globale dès aujourd’hui, ce serait mettre la charrue avant les boeufs...

Que faire, donc ? Eh bien, rien du tout ! La directive EUCD ne nous impose en rien de légiférer sur la mise à disposition des oeuvres à travers les réseaux peer-to-peer. D’abord, le Code de propriété intellectuelle l’interdit purement et simplement, et les ayants droit disposent déjà des moyens juridiques de s’y opposer en faisant valoir leur droit d’autoriser, moyens juridiques que le projet de loi DADVSI promet de renforcer. Et puisque cette mise à disposition relève de leur droit d’autoriser, laissons ce droit d’autoriser s’exercer et ses bénéficiaires définir eux-mêmes, en concertation avec leurs partenaires fournisseurs d’accès, par exemple, les conditions et les modalités de cette autorisation, via des offres de services peer-to-peer sur abonnement, notamment. Les parlementaires français n’ont pas vocation à légiférer dans le détail là-dessus. Il vient quand même un moment où l’on doit laisser les forces du marché jouer, y compris cette pression qu’exercent les consommateurs sur l’industrie en brandissant le spectre de la gratuité.

Piratage en ligne : oui à la « riposte graduée », non à la police privée

A ce stade, il me reste encore à me prononcer sur une des composantes principales du projet de loi DADVSI : la « riposte graduée ». Je n’imagine pas qu’elle puisse s’appliquer au téléchargement lui-même, qui à mon avis doit continuer à relever, comme je l’ai exprimé plus haut, de l’exception pour copie privée étendue à celle d’accès privé. En revanche, c’est une idée qui me paraît louable, sur le principe, en ce qui concerne la mise à disposition. Au lieu de se retrouver directement devant un tribunal, l’internaute convaincu de mise à disposition illégale recevrait d’abord un avertissement, avant d’écoper le cas échéant d’une amende, proportionnelle à la gravité de ses actes, en cas de récidive.

Mais ce qui pose problème, c’est la mise en application de cette idée. Dans le projet de loi du gouvernement, cela revient à mettre en place une sorte de police privée et à supprimer, au bénéfice des ayants droit, une des étapes du Code de procédure pénale. C’est faire injure à deux fonctions régaliennes de l’État : celle de la police, qui dans une république n’a pas vocation à être privatisée ; et celle de la justice, devant laquelle nous devons tous nous trouver égaux. Or c’est de la mise en place d’une justice d’exception qu’il s’agit, comme si le piratage en ligne, à l’échelle d’un internaute qui met quelques centaines ou milliers de fichiers MP3 à disposition, était de même nature que le trafic de drogue ou le terrorisme.

N’oublions pas que l’industrie de la création disposera déjà de nouveaux moyens de limiter la mise à disposition illégale, grâce à la mise en oeuvre de mesures techniques de protection, elles-mêmes protégées juridiquement par une interdiction de les contourner à des fins de piratage, hors contexte d’exception pour accès privé. En outre, elle peut déjà obtenir d’un juge des référés que le fournisseur d’accès du contrevenant coupe son accès au réseau, au titre des dispositions de la loi sur la confiance dans l’économie numérique votée l’an dernier, qui transpose la directive européenne sur le e-commerce et définit la responsabilité des prestataires techniques et fournisseurs de services Internet.

S’agissant de réprimer les infractions commises sur les autoroutes de l’information, la mise en place d’un système d’amendes graduelles, comparable à celui qui sévit sur les routes de France, me paraît intéressante. De là imaginer l’installation de « radars automatiques », c’est une hypothèse qui soulève de nombreux problèmes éthiques, techniques et financiers et que l’Assemblée nationale devrait à mon avis faire l’économie d’examiner pour l’instant. En attendant, les moyens de faire constater ces infractions existent. Ils ne sont ni plus ni moins efficaces que ceux qui permettent de constater les infractions commises sur la route. Au-delà, il me semble que c’est à la police et à elle seule que revient de dresser des procès verbaux, sur la foi des données qui lui seront communiquées, de coller des amendes et de les encaisser.

Les webradios dans le colimateur

Je terminerai en évoquant le cas des webradios, dont le développement me paraît être une condition indispensable pour favoriser la diversité de l’offre musicale sur Internet et faire tomber un certain nombre de barrières à l’entrée auxquelles doivent faire face aujourd’hui la plupart des acteurs indépendants du secteur, qu’il s’agisse de labels, de distributeurs ou de pure players de l’Internet. Je ne suis pas un inconditionnel de la licence légale appliquée aux webradios. Mais je ne trouve pas acceptable de la leur refuser, alors que les grands réseaux radiophoniques hertziens en bénéficient dans les faits pour la diffusion de leur signal en simultané sur Internet (ce qu’on appelle le simulcasting). De deux choses l’une : ou tout le monde en bénéficie, ou personne n’en bénéficie. A défaut de changer la donne actuelle, il y aurait distorsion de concurrence et c’est un nouveau chèque en blanc que l’on signerait à un certain nombre d’oligopoles déjà en place.

Je n’évoque ici que le cas des webradios de flux n’offrant pas de fonctions interactives. Comme le constate le GESTE (Groupement des éditeurs de services en ligne), dans l’exposé sommaire d’une proposition d’amendement visant à les faire bénéficier de la licence légale, « le Code de la propriété intellectuelle restreint le champ d’application de [cette licence] selon un critère technique (la radiodiffusion et la cablo-distribution), obsolète au regard de l’objectif d’harmonisation de la directive européenne dite du “paquet télécoms”, [qui a] créé un cadre harmonisé pour la réglementation des services de communication électronique, des réseaux de communication électronique et des ressources et services associés. »

Je reviens brièvement sur l’un des arguments « forts » qui ont été invoqués par le gouvernement et le rapporteur du projet de loi pour obtenir que soit refusé un amendement défendu par le PS le 22 décembre dernier, et proposant d’instaurer la licence légale pour les webradios. En premier lieu, ont été évoqués ces logiciels qui permettent d’enregistrer les flux audio sur Internet et de les segmenter en fichiers MP3 distincts. D’abord, le fait d’enregistrer le flux audio des webradios pour les écouter ensuite sur un baladeur ou les graver sur un CD relève, de mon point de vue, de l’exception pour copie privée, fût-elle ou non étendue à l’accès privé. Le fait de récupérer des fichiers MP3 segmentés aussi, d’ailleurs. Ce qui n’est pas si alarmant, car en réalité, le résultat laisse largement à désirer, aucun de ces enregistreurs audio n’offrant, et il s’en faut de beaucoup, des fonctions de segmentation à la hauteur des ambitions affichées. Notons que le signal des radios hertziennes « simulcasté » sur Internet s’expose aux mêmes risques que celui des nouveaux entrants sur le Web, ce qui n’a pas empêché ces dernières d’être tacitement autorisées à «  simulcaster » sous couvert de la licence légale dont elle bénéficient sur le hertzien.

Légaliser les MTP, ce n’est pas les rendre obligatoires

Les mesures techniques de protection étant autorisées, rien n’empêcherait par ailleurs que des services de webradio sur abonnement à très forte valeur ajoutée, diffusant par exemple des oeuvres du répertoire jazz ou classique en qualité surround 5.1, puissent mettre certaines de ces MTP en oeuvre pour faire échec aux fonctions des enregistreurs audio et défendre leur modèle économique.

La tentation est grande, pour certains, et sans que cela soit même suggéré par la directive EUCD, de contraindre l’ensemble des webradios à mettre en oeuvre des MTP, ce qui à mon sens est suicidaire. Autant ne rien faire et laisser les choses en l’état. Cela reviendrait en effet à remplacer une barrière à l’entrée (l’absence de licence légale) par une autre (la nécessité de mettre en oeuvre des systèmes de DRM coûteux), voire à associer les deux ; et à compromettre de nouveau le développement du logiciel libre dans ce domaine. Toutes les webradios libres qui diffusent des flux MP3 sur Internet en s’appuyant sur le logiciel libre Shoutcast, évidemment dépourvu de tout système de DRM propriétaire existant, deviendraient instantanément illégales en France. Sauf qu’on ne pourrait pas empêcher les internautes français d’écouter des webradios Shoutcast étrangères, ni imposer des quotas de diffusion d’oeuvres françaises à ces dernières.

En même temps, ce serait créer un précédent qui compromettrait également par la suite le développement de nouveaux médias, comme les blogs musicaux et les podcasts audio et vidéo. Leur imposera-t-on aussi des MTP, au risque de tomber dans les mêmes travers ? Enfin, ce serait faire échec à l’exception pour copie privée en matière de webradios. Une discrimination supplémentaire ?

Faire avancer le droit d’auteur continental dans l’esprit des Lumières

Je conclurai en me disant convaincu qu’il existe un moyen de faire converger, plutôt que diverger, toutes les idées qui bouillonnent dans le débat public sur le projet de loi DADVSI, et de transposer la directive EUCD sans se laisser enfermer par elle, en faisant avancer le droit d’auteur continental et ses droits voisins dans le respect de l’esprit fondateur des Lumières qui est le leur, en résistant aux pressions visant à imposer la domination du copyright à l’américaine dans la nouvelle société de l’information, et en étant porteur d’une vision d’avenir innovante et pleine d’espoir, que j’espère avoir contribué à ébaucher ici.


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