Prostitution : lettre ouverte à Mme Maud Olivier

par Hermes Lejuste
mercredi 27 novembre 2013

Mai 1968, la révolution est en marche. A Paris, la gauche libertaire lance des pavés sur les CRS et des slogans subversifs à la bourgeoisie : interdit d'interdire, jouissez sans entrave. Novembre 2013, la gauche a vieilli, s'est embougeoisée, est devenue moralisatrice et liberticide. Elle cherche à sauver les prostituées, enfin pourrait-on dire ! Mais en agissant sans discernement ni mesure, elle s'immisce dans les libertés individuelles de chacun. Constat d'une perversion démocratique.

Madame la Députée,
 
Vous vous apprêtez à défendre devant l'assemblée nationale le projet de loi relatif à la prostitution. On ne peut que se réjouir d'une telle initiative, tant les chiffres rapportés à ce sujet paraissent effarants : il y aurait 20000 à 40000 prostituées en France, la plupart sous la coupe de réseaux mafieux. Pire : ce phénomène n'est pas nouveau, et on ne s'en étonne guère lorsqu'on apprend que seules 600 à 800 affaires de proxénétisme sont traitées chaque année en France. Au vu de ces chiffres, on peut légitiment s'interroger sur l'(in)action passée des gouvernements et politiques.
 
L'ampleur du phénomène, ainsi que la complexité du sujet méritent un débat de qualité. Malheureusement, les informations glanées dans les quotidiens et hebdomadaires dits "de référence" ne laissent pas d'inquiéter. Il est à craindre que l'on s'achemine vers un pseudo débat partisan, porteur d'idéologies et dogmes, au service du but poursuivi.
 
L'incroyable passion déchaînée autour du mariage gay en est sans doute le meilleur exemple. A part les franges les plus radicales de la population, une écrasante majorité des français se souciait de l'union des homosexuels comme de la dernière déclaration de la première dame. Si le gouvernement avait proposé une union offrant les mêmes droits que le mariage, nul doute que la France aurait pu s'honorer d'un consensus général sur ce sujet. En choisissant délibérément la voie du "mariage pour tous", ses partisans eurent beau jeu de stigmatiser leurs opposants. Ils étaient forcément "contre l'égalité" et pire que tout, "homophobes".
 
Mais les français ne sont pas dupes : le mariage n'est qu'un cheval de Troie dans la perspective future de la PMA et la GPA. La question n'est en effet pas de savoir quand elles seront autorisées, mais quand. Les associations les plus actives dans la défense du mariage gay ne s'en cachent pas. Et certains militants, faiseurs d'opinion, n'ont pas hésité pas à user de leur puissance médiatique en ce sens (si vous avez pensé à Pierre Bergé, vous pensez bien). Quant à leur message : "louer son ventre ou ses bras à l'usine, quelle différence ?" Chosification et marchandisation de la femme, mais peu d'indignation. Relativisme subjectif ?
 
En ce qui concerne la prostitution, la démarche est similaire quoiqu'un peu plus subtile. Cela commence par la convocation d’associations féministes, peu portées sur les discours équilibrés, mais plutôt vindicatifs sur fond de misandrie mal assumée. Haro sur le mâle nécessairement persécuteur et violent ! Ces féministes aimeraient tant que le client de la prostituée puisse être incriminé pour viol, jugé devant les assises. Je frémis à l'idée que certain(e)s juges puissent aussi militer dans ces associations très (trop) virulentes.
 
Faut-il donc ne rien faire ? Bien sûr que non, et tel n'est pas mon propos. Simplement, cette vision est tellement caricaturale vis à vis d'un problème qui l'est moins, que l'on ne peut qu'espérer un minimum de discernement de la part des députés.
 
Viennent ensuite les associations de terrain. Il convient de rendre hommage à leur travail quasi humanitaire, et de s'incliner devant les témoignages poignants qu'elles donnent à connaitre. Pour autant, ces associations sont avant tout les témoins des formes de prostitution les plus répandues. La prostitution de rue bien sûr, mais aussi les bars à hôtesse, une nouveauté ? Cela n'existe que depuis quelques dizaines d'année. Rien n'a donc été fait contre ces établissements depuis tout ce temps ?
Il y a cependant d'autres formes de prostitution. On ne voit que ce que l'on regarde. Ainsi, si vous vous rendez dans un hôpital, vous n'y trouverez que des malades et des médecins. Faut-il en conclure que l'ensemble des français doivent être soignés et qu'il convient de transformer la France en hôpital géant ? La réponse est évidente.
 
Enfin, incontournable, la figure de l'expert, psychanalyste de surcroît. Souvent engagé. Capable, à partir de réalités constatées et incontestables, d'extrapoler une théorie globalisante : les hommes qui ont recours à la prostitution ne peuvent vivre leur sexualité que dans la domination, l'asservissement et la violence. Pourquoi pas, mais un contre-exemple suffit pour invalider une théorie. Monsieur le psychanalyste sera alors surpris d'apprendre que certains clients sont de vrais gentlemen. Certes, ils sont sans doute minoritaires.
 
Ce cadre posé avec une pointe d’ironie, n'enlève rien à la nécessité de venir en aide aux prostituées victimes des réseaux mafieux. Il vise simplement à aborder les réalités du monde réel avec discernement. Car "la" prostitution n'est pas "une" : elle est multiforme.
 
Savez-vous par exemple que des hommes rémunèrent des prostituées pour se faire insulter, humilier, voire violenter ? Dans ces milieux (SM), bien que consentants, il n'est pas illégitime de s'interroger sur la notion de victime. Le client ou la prostituée ? L'expert psychanalyste ne pourrait-il s'en inquiéter ? Pire encore, certaines femmes sans scrupules usent de la faiblesse/détresse/perversité d'hommes plus à plaindre qu'à blâmer : vous pourrez utilement vous renseigner sur les "money slave". Qu'en pensent les féministes les plus extrémistes ?
 
Vient enfin le cœur du débat, finalement la seule vraie question sur le sujet : la prostitution choisie. Fantasme ou réalité ? Vision machiste ou choix assumé de femmes responsables ?
 
La question est simple, la réponse l'est assurément beaucoup moins.
 
Certains psys défendent l'idée qu'une femme qui revendique ce type de choix subit malgré elle des contraintes dont elle n'a pas conscience. Théorie rassurante (davantage pour le psy que la "patiente"), qui devrait cependant être étayée. La convocation de l'inconscient peut être utilisée pour défendre une théorie et son contraire. Autre contrainte souvent évoquée : la contrainte économique. Évidente dans certains cas (les annonces "logement contre services" (sic) réservées bien sûr aux étudiantes). Plus difficile à cerner dans d'autres : une étudiante un peu libérée, talentueuse et pas idiote peut vite comprendre que ses charmes lui permettraient de gagner en une soirée autant qu'au MacDo en un mois. Mais une étudiante a-t-elle la maturité nécessaire pour vraiment assumer ce "choix" ?
 
Une digression s'impose à propos de la contrainte économique : le projet de loi se base sur une approche systémique de la prostitution ("le système prostitutionnel"). C'est original, mais à double tranchant : si des femmes sont amenées à se prostituer pour des raisons économiques, en déroulant le fil de l'approche systémique, on aboutit bien vite à la situation économique. En France, actuellement, ce n'est pas vraiment rose, bien que les socialistes soient au pouvoir. Au-delà des considérations d'appareil politique, les gouvernements, et plus généralement les politiques, n'auraient-ils pas une responsabilité dans la situation économique ? Oui ? Mais alors, ils feraient indirectement partie du "système prostitutionnel". Vont-ils être sanctionnés ? Non ? A quoi servent-ils alors ?
 
Continuons à dérouler la pelote "systémique". Nous voilà arrivés au volet répression. Quels moyens les gouvernements, et plus généralement les politiques, ont donné aux forces de l'ordre et à la justice pour traquer les proxénètes ? Fin 2013, le grand patron de la gendarmerie, auditionné en commission, explique qu'il ne pourra bientôt plus payer les loyers des casernes. Ni faire le plein des véhicules. Pas facile de pourchasser les réseaux mafieux dans ces conditions, ne croyez-vous pas ?
Les mauvais esprits en seraient presque amenés à se demander si cette approche par le "système prostitutionnel" ne serait qu'une manœuvre visant à faire rentrer coute que coute la clientèle dans le "système" pour mieux la pénaliser. Ou pire, que la France soit en état de roumanification avancée, et que les clients sont tout de même bien plus faciles à attraper que les proxénètes.
 
Fin de la digression, dernier élément sur la possibilité que la prostitution puisse être choisie. Que penser de femmes adultes, responsables et éduquées qui font effectivement ce choix ? Et qui l'assument ? Car ne vous en déplaise, elles existent. Elles sont bien sûr minoritaires. Et talentueuses. Et sélectives. Et gagnent très correctement leur vie. Et leurs clients, parties d'un éco-système équilibré dans un intérêt mutuel bien compris, ne se permettraient pas de comportements inadéquats (exception faite, peut-être, de certains traders sous cocaïne, footballeurs intellectuellement limités, ou directeur d'institution financière internationale).
 
Revenons dans la rue, avec un dernier élément troublant : le STRASS a manifesté pour défendre le droit des travailleurs et travailleuses du sexe. C'est une réalité visible et bruyante. Ce syndicat se rappellera peut-être à votre bon souvenir mercredi. Est-il instrumentalisé ? Ou l'idiot utile des proxénètes ? En tout état de cause, cela ne peut manquer d'interpeller. Au point que le débat sur cette loi devrait dépasser les clivages politiques habituels, preuve de la complexité et de la gravité du sujet.
En 1968, la jeunesse de gauche manifestait dans les rues de Paris pour une société nouvelle, hurlant "il est interdit d'interdire", et jetant des pavés sur les CRS. Par une ironie dont seule l'histoire a le secret, près de 50 ans plus tard, vous allez, Madame la Députée, défendre au nom d'une gauche devenue moraliste un projet de loi nécessaire, mais mal ficelé, manichéen, liberticide et hypocrite.
 
Mal ficelé, car il porte en lui ses propres contradictions et limites : ce projet devrait aussi supprimer le délit de racolage passif. Les prostituées auront donc la possibilité d'exercer leur activité devant les églises, les écoles, les hôpitaux, etc. sans être inquiétées ? Ce projet est aussi limité, car il ne renforce ni les peines envers les réseaux mafieux, ni les moyens dédiés à leur éradication. Le client, par contre, va bénéficier de toutes les attentions du législateur.
Manichéen, car l'expression des problématiques qu'il soulève a été pollué par du militantisme péremptoire, issu de politiques ou du milieu associatif, qui au lieu d'éclairer le débat, a polarisé les opinions. Il reste à espérer que les députés s'honoreront à prendre un peu de hauteur. Manichéen également, car vous, Madame la Députée, êtes capable d’affirmer une chose dans une phrase, et son contraire dans la suivante (le projet ne vise selon vous pas du tout à stigmatiser le client, mais une belle contravention, ou une séance de rééducation, lui sera tout de même infligé).
 
Liberticide, car il va conduire à interdire et pénaliser les relations intimes entre deux personnes adultes, responsables et consentantes, sans qu'aucun tiers ne soit concerné. Les politiques, particulièrement depuis l'élection de M. Hollande, aiment à se draper dans les oripeaux des valeurs républicaines. Fort bien. Ils se rappelleront, ainsi que vos collègues députés, la devise inscrite au fronton des bâtiments publics. Son premier mot en particulier : LI-BER-TE. Gageons qu'ils sauront être cohérents avec eux-mêmes. Si nécessaire, ils pourront utilement se référer à l'article IV de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
 
Hypocrite au regard du point précédent : le projet ne va pas interdire la prostitution. La vente de services intimes sera donc légale, mais leur achat sera illégal ! Certainement une première en France, et un bel imbroglio juridique en perspective. Vous pourriez appliquer ce principe à bien d’autres sujets tout en préservant l’apparence de la liberté (l’alcool par exemple, 45000 morts par an, ah mais vous comprenez Mme Michu, vous ne pouvez pas dire que c’est la prohibition, la preuve, les supermarchés vendent de l’alcool légalement, mais gare à vous si vous en achetez !). D'autre part, un cadre subsistera pour la monétisation de services sexuels : la production pornographique, qui n'est pas concernée par ce projet de loi. Son contenu est très varié et certaines actrices font commerce de prouesses qui défient la physiologie humaine. C'est l'exposition mondiale d'une sexualité dévoyée, produite notamment sur le territoire national, bien pire qu'une relation banale entre deux adultes consentants.
 
Le temps est venu pour un peu de prospective. Que risque-t-il de se passer une fois que ce projet sera mis en application ? Voici un scénario possible :
Si vous êtes arrivée jusqu’ici, Madame la Députée, je vous en sais gré. Sincèrement.
 
Je me permets aussi de vous donner quelques éléments autobiographiques : je vais bientôt avoir 40 ans (je pourrais presque être votre fils). Et je suis client régulier d’une prostituée (tous les deux mois en moyenne) depuis bientôt deux ans. Elle a à peu près mon âge, est française, indépendante, éduquée, responsable, et très douée dans les relations humaines. Je dois lui rendre grâce pour ce qu’elle m’a apporté : souffrant d’un handicap psychique important, par certains aspects proche du spectre autistique, elle m’a redonné l’humanité que je n’ai jamais pu trouver dans la vie courante. Il faut vous imaginer vivre dans une sorte de prison mentale, rendant toute relation sociale impossible, alors que la pensée rationnelle et structurée fonctionne plutôt bien. 10 ans de psychiatrie et 3 psychiatres différents n’ont rien pu y changer, malgré les différentes thérapies et médicaments testés (monsieur l’expert psychanalyste évoqué au début, je me comporte en gentleman, théorie invalidée…). Le bon côté des choses est qu’au lieu de m’amuser pendant mes études, j’ai étudié plus que les autres et suis tant bien que mal arrivé à une bonne situation professionnelle. Je suis toutefois obligé de changer d’entreprise tous les deux ou trois ans, en raison de mon handicap mal compris. Dans la vie courante, le handicap psychique fait peur et ne bénéficie pas de la même empathie que le handicap physique. C’est ainsi.
 
Vous comprendrez aisément, vu la teneur de cette lettre, mon souhait de rester anonyme. Un suicide social ne résoudra rien.
 
Sincèrement votre.

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