Qu’est-ce que la pauvreté en France de nos jours ?

par Eliane Jacquot
mardi 26 novembre 2019

La pauvreté est l'une des inégalités les plus visibles et offre des visages très différents allant des mères seules aux accidentés de la vie, des jeunes sans qualification à des personnes âgées. Au cours de cet automne trois contributions bienvenues publiées par l'Observatoire des Inégalités, le mouvement ATD Quart Monde et le Secours Catholique, organismes indépendants porteurs de qualités d’accessibilité et d'objectivité sont venues éclairer le débat.

Ces rapports nous interpellent sur les fractures françaises et l'invisibilité de ceux qui n'accèdent pas aux normes minimales de consommation, de santé, de logement et d'éducation et ne font plus partie du projet économique des classes dirigeantes. Leur objectif est aussi d'élargir le débat au delà de sa dimension purement monétaire à l'ensemble des sciences économiques et sociales.

 Les faits et les chiffres de la précarité

 C'est l'indicateur monétaire qui est aujourd'hui le plus couramment utilisé. En France, il s'agit du « taux de pauvreté » qui correspond à la proportion de personnes ou de ménages ayant un niveau de vie inférieur au seuil de pauvreté. C'est ainsi qu'en France en 2018, on compte 9,3 Millions de personnes vivant en dessous du seuil de pauvreté qui est de 1015 Euros par mois selon l'INSEE, toutes ces personnes étant en situation de précarité monétaire. Ce taux a augmenté de 0,6 points en 2018 et représente 14,7 % de la population contre 14,1% en 2017. Fin 2017, 1,88 million de foyers bénéficient du Revenu de Solidarité Active ( RSA). Si l'on ajoute les conjoints et les enfants à charge, c'est 3,82 millions de personnes qui bénéficient du RSA, soit 5,7% de la population. Cette précarité touche aussi les étudiants, un cinquième d'entre eux vivant sous le seuil de pauvreté et d’après le Ministère de l'Enseignement supérieur 37% d'entre eux bénéficient d'une bourse sur critères sociaux.

Le Secours Catholique constate un taux d'activité en recul pour les individus rencontrés par ses équipes. Alors que pour la population résidant en France en 2018, la répartition est de 56% pour les actifs et 44% pour les inactifs, elle a fortement augmenté pour les personnes suivies par ses bénévoles, de 11 points en quatre ans, pour atteindre 54,4% en 2018.

Face à cette situation préoccupante, le gouvernement supprime dès cette année l'Observatoire de la pauvreté et de l'exclusion sociale (ONPES) qui depuis vingt ans, diffuse en toute indépendance des études pour mieux lutter contre l’exclusion, sa disparition remettant en cause un des acquis majeurs de la loi de 1998 de lutte contre les exclusions. De plus la mise en application de la réforme de l'assurance chômage va priver d'indemnisation un certain nombre de personnes dès ce mois de Novembre. A partir de Janvier 2020, les aides personnalisées au logement (APL)seront calculées sur la base des revenus des douze mois précédents et seront réévaluées chaque trimestre. Un système qui va pénaliser les personnes ayant tout juste commencé à travailler selon l'Union nationale pour l'habitat des jeunes. Alors que le cœur de la question reste le maintien de l'emploi, la suppression récente des contrats aidés a aggravé la pauvreté des jeunes. Enfin, les pouvoirs publics flexibilisent la main d’œuvre au moment où les travailleurs pauvres subissent le temps partiel et le développement des emplois sous payés à la tâche. L'objectif est-il de détourner le regard à l'encontre de la solidarité ?

 « Les hommes politiques ne connaissent la misère que par les statistiques, on ne pleure pas devant les chiffres. »

 La pertinence du constat de l'Abbé Pierre nous incite à rester dans le registre de l'indignation.

Non, les premiers de cordée ne tirent pas tout le monde vers les sommets, image inappropriée. Non, si l'on reste « en bas » cela n'est pas parce qu'on le veut bien et l'argent ne ruisselle pas de haut en bas, allégation légère et mensongère jamais théorisée. Non, les pauvres n'ont pas choisi d'être des assistés et les aspirations de la plupart d'entre eux est de pouvoir contribuer à la production, leur permettant de bénéficier de protection sociale, certains d'entre eux voyant leurs compétences déjà acquises plus reconnues, femmes et hommes devenus inutiles et inaudibles.

Oui, être pauvre, c'est souvent être isolé, dans des conditions de précarité extrême, dans un état de fragilité sociale, de dégradation de la santé physique et mentale, et même privé de droits. Oui, ce qu'ils redoutent, c'est la verticalité des décisions de politique économique et des paroles venues « d''en haut ». Oui, les chiffres de la précarité atteignent un niveau scandaleusement élevé dans une France qui est encore la septième puissance mondiale et voit le nombre de ses chômeurs décliner. Oui, une meilleure répartition des richesses rendrait la France plus juste et permettait d'en finir avec la fracture territoriale, politique et sociale.

 Est-il utile ici de rappeler qu'au delà des frontières du 1%, le groupe des 10% les plus aisés bénéficient de 23% des revenus et de 50% du patrimoine, ainsi que d'éducation, de surreprésentation politique et de capacité à contrôler le fonctionnement des institutions scolaires ?. L'INSEE, organisme gouvernemental officiel nous alerte ce 20 Novembre sur le fait que « Les mesures socio-fiscales mises en œuvre en 2018 font augmenter le niveau de vie beaucoup plus fortement pour les 10% de personnes les plus aisées que pour le reste de la population. » Les classes dominantes et les catégories supérieures de la population, les professionnels de la parole publique ont en commun de mettre à distance les plus modestes, avec condescendance et laissent dans une grande indifférence un grand nombre de citoyens sur le bord de la route.

 


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