Qui licenciera le président pour manque de résultats ?

par ddacoudre
vendredi 30 janvier 2009

La grève d’aujourd’hui m’a fait mentir, je ne pensais pas qu’elle réunisse autant de citoyens tant les déclarations d’hostilités au monde syndical s’étaient accrues. La misère du jour est d’entendre le gouvernement dire que ce ne fut pas une journée noire et que le plan de service minimum avait fonctionné.

Mais mon sujet n’est pas là, il se situe dans la suite de l’article précédent, dans lequel j’envisage un avenir pas très réjouissant ; indiquant la tendance de PDG qu’a notre président et d’en conclure que comme les entreprises ne sont pas démocratiques à vouloir leur ressembler nous la perdrons aussi, la démocratie bien sûr.

Chacun se rappelle la période où copiant les Etats-Unis et les Anglais, notre président s’est lancé dans la culture du résultat, imposant à ses ministres de répondre des leurs. Dans cet état d’esprit il faut bien en déduire que près de deux millions de Français dans la rue pour dénoncer l’échec de la politique de notre président, en est un, de piètre résultat pour lui. En toute logique, il devrait s’infliger ce qu’il préconise pour les autres. Il serait donc bien inspiré de donner sa démission avant que le peuple ne le démissionne. Et bien NON ! 

Nous sommes en démocratie et les français l’ont élu et doivent assumer leur vote jusqu’au bout. S’ils ne sont plus d’accord avec le mandat qu’ils lui avaient confié ,et bien la rue est là pour qu’il le dise. Mais il est vrai aussi qu’elle ne s’écoute que si elle représente suffisamment de pas qui défilent, sauf quand l’on est sourd comme l’ont montré à chaud les dirigeants interpellés sur ce mouvement.

Mais lui devrait s’appliquer ce qu’il voulait pour les autres et pour comprendre cela il faut comprendre ce qu’est la culture du résultat

La culture du résultat. : Cette formule que personne ne connaissait encore il y a deux ans a été choisie à l’Élysée, n’en doutons pas, à la suite d’une étude marketing. Le mot culture inspire le respect. La culture scientifique, la culture littéraire et bien d’autres cultures comportent des traditions communes à toute une société. C’est donc au niveau de la culture que de nouvelles idées peuvent s’imposer. D’autre part le mot résultat est simple, rassurant, à la portée de tous.

Chacun de nous, depuis l’école primaire, s’intéresse aux résultats. Les résultats, bons ou mauvais, ce sont des faits. La culture du résultat, en somme, ce serait du bon sens, ce serait simplement du pragmatisme.

Les idées suggérées par cette formule ont une portée plus grande qu’il n’y paraît. Un résultat implique généralement une sanction. Le bon élève a des félicitations. Le directeur commercial qui a décroché un gros contrat a une augmentation de salaire. Mais le mauvais élève est renvoyé du lycée et le directeur commercial qui a échoué dans une négociation est licencié.

Une menace semble donc se profiler sous ces deux mots anodins.

D’abord fixer des objectifs

Fixer un objectif à un salarié et tenir compte du résultat sur sa fiche de paye, l’idée n’est pas neuve. C’est un principe de gestion qui est appliqué dans beaucoup d’entreprises du secteur privé. Jusqu’à une date récente, cette pratique n’existait pas dans l’administration française.

L’idée de l’étendre aux fonctionnaires : policiers, magistrats, etc. s’est imposée peu à peu dans l’opinion publique à partir des premières mesures sur l’immigration. En 2004, Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, réclamait déjà une obligation de résultats pour les policiers qui expulsaient des sans-papiers. Il disait qu’en politique aucun sujet ne doit être tabou. Dominique de Villepin, alors ministre des Affaires étrangères, s’était déclaré hostile à la méthode en disant qu’elle risquait de provoquer des dérives et des excès regrettables.

L’idée de fixer des objectifs à tous les fonctionnaires s’est affirmée plus nettement dans les déclarations du gouvernement en 2006, et dans une brochure publiée par La documentation Française, Dominique de Villepin étant Premier ministre et Nicolas Sarkozy ministre de l’Intérieur, à la suite de la promulgation des décrets d’application de la loi organique relative aux lois de finances, la « LOLF ». C’est à ce moment que le terme « culture du résultat  » est apparu pour la première fois dans la presse.

Des objectifs pour les fonctionnaires

Les États-Unis et la Grande-Bretagne ont pris de l’avance sur la France en ce domaine. En 1980, les policiers américains avaient déjà des objectifs annuels de contraventions sur lesquels ils étaient notés, et beaucoup de fonctionnaires fédéraux étaient notés sur le nombre de réunions auxquelles ils participaient chaque année. En 1991, le ministère de l’éducation desEtats-Unis a publié une circulaire disant que « tous les établissement financés par l’administration fédérale seront soumis à des normes de performance  ».

Quand Tony Blair est devenu Premier ministre du gouvernement britannique en 1997, il a franchi une nouvelle étape. Il s’est mis à diriger la Grande-Bretagne comme une grande entreprise en s’attribuant les fonctions d’un président de conseil d’administration, ce qui est maintenant l’ambition de Nicolas Sarkozy. Il a fixé des objectifs aux policiers, aux juges, aux médecins, aux enseignants. Les établissements d’enseignement ont des objectifs chiffrés avec pour principal indicateur le taux de réussite aux examens.

Ceux qui peuvent apporter des preuves de leur réussite ont des subventions accrues, et les autres, généralement ceux des quartiers difficiles, sont pénalisés. Les hôpitaux aussi ont des objectifs chiffrés, avec pour principal indicateur le temps d’attente des patients. Le temps d’attente a diminué globalement, mais le nombre de patients mal soignés a augmenté. Seuls les riches sont bien soignés parce qu’ils vont dans des cliniques privées. Bref, les statistiques montrent une augmentation d’efficacité selon les indicateurs officiels, mais l’opinion publique britannique constate une diminution considérable de la qualité des services rendus.

La justification du privé

On dit que la culture du résultat donne de bons résultats dans le secteur privé. Une méthode classique pour gérer le personnel consiste à organiser chaque année un entretien d’évaluation entre le salarié et son supérieur hiérarchique afin de définir les objectifs de l’année suivante et les critères chiffrables de réalisation de ces objectifs. L’entretien passe en revue les critères de l’année en cours et les écarts entre les prévisions et les réalisations. Cette méthode d’origine américaine n’est pas toujours facile à mettre en place dans les entreprises françaises.

On l’appelle aux Etats-Unis le « merit rating  ». Elle est connue en France sous le nom de « salaire au mérite  », regrettable abus de langage, car il serait plus exact de dire « notation de la valeur  ». Le principe d’un entretien annuel n’est pas critiquable, il est d’ailleurs prévu dans le code du travail. Le problème est plutôt dans la méthode de fixation des critères, qui sont toujours chiffrés en heures, en euros, en rendements de production et en taux de réussite. Or le salarié n’exerce jamais un contrôle total sur le résultat attendu par sa direction, car celui-cidépend de nombreux facteurs dont il n’est pas maître : la conjoncture économique, l’environnement, etc.

Le salarié éprouve donc un sentiment de frustration quand le résultat est insuffisant. Le supérieur hiérarchique peut aussi fixer des objectifs impossibles à atteindre, son seul but étant de faire pression sur le salarié pour le « motiver », d’où un stress insupportable, qui peut même le conduire au suicide. Enfin les résultats de cette méthode ne sont pas probants dans l’industrie américaine, notamment dans l’industrie automobile qui perd constamment des parts de marché face à ses concurrents européens et japonais, malgré le taux avantageux du dollar.

Des objectifs pour les ministres

En 2006, le gouvernement a publié une brochure de La documentation Française qui définit les nouvelles règles de gestion des ressources humaines dans la fonction publique. On peut lire dans la préface : « On passe ainsi d’une administration de moyens (au sens où il s’agissait de gérer des crédits) à une administration de résultats, au sens où chaque gestionnaire devra atteindre les résultats fixés  ».

Le Premier ministre était à l’époque Dominique de Villepin, mais n’oublions pas que Nicolas Sarkozy était ministre d’État, ministre de l’Intérieur et de l’Aménagement du territoire, numéro deux du gouvernement. Il veillait à ce que la fonction publique soit réformée en profondeur.

Le mot « performance » est rarement utilisé dans les déclarations officielles, peut-être parce que cela pourrait inquiéter les électeurs. La brochure de La documentation Française justifie néanmoins ce terme : « La performance ne consiste pas à réaliser un exploit, au sens où on l’entend dans le langage sportif ; la performance signifie ici que l’on définit le résultat que l’on souhaite atteindre, et que l’on met en place un indicateur pour mesurer le chemin parcouru en direction de ce résultat. Autrement dit, c’est moins le caractère ambitieux du résultat visé qui est en question, que le fait de se mettre en situation d’évaluer jusqu’à quel point ce résultat est atteint et de s’inscrire dans une dynamique de progrès.  »

L’explication ne surprendra pas les salariés du privé, mais on comprend pourquoi l’Élysée estime préférable d’utiliser le mot « résultat ».

Dans ses lettres de mission adressées en août 2007 à tous les ministres, cosignées de François Fillon, Nicolas Sarkozy s’exprime comme un chef d’entreprise donnant des objectifs à ses subordonnés. De l’une à l’autre on trouve les mêmes phrases. Au début : « Tout au long de la campagne présidentielle, des engagements ont été pris dans le champ de vos compétences ministérielles. Il va de soi que nous attendons de vous que vous les teniez. L’objet de cette lettre de mission est de vous préciser les points qui, parmi ces engagements, nous paraissent prioritaires et sur lesquels nous vous demandons d’obtenir rapidement des résultats. »

Puis : « Sur l’ensemble des points de cette lettre de mission, vous nous proposerez des indicateurs de résultat dont le suivi sera conjoint.  » Enfin : « Nous ferons le point d’ici un an de l’avancement de votre mission et des inflexions qu’il convient, le cas échéant, de lui apporter.  »

Le principe d’assigner aux fonctionnaires des objectifs chiffrés avec des critères opérationnels avait été admis par les députés, à quelques exceptions près, avant que le porte-parole du gouvernement, Laurent Wauquiez, annonce à la sortie du premier conseil des ministres de l’année 2008, que les ministres eux-mêmes seraient évalués sur leur bilan individuel. « Les ministres, comme les autres, doivent rendre des comptes  », a-t-il dit. Il a précisé qu’un cabinet d’audit avait aidé les cabinets du Premier ministre et des principaux ministres à définir une grille d’évaluation composée de critères quantifiables. Cette déclaration n’était pas une surprise car elle s’inscrivait dans le fil des lettres de mission.

Puis le lendemain le journal Le Monde a donné le nom du cabinet d’audit : il s’agissait de Mars & Co. Le groupe socialiste à l’Assemblée nationale a protesté aussitôt par la voix de son porte-parole, en qualifiant cette initiative de « grotesque et dangereuse  ». Ce qui a d’ailleurs le plus choqué de nombreux observateurs dans cette annonce était sans doute le choix d’un cabinet d’audit privé, ce qui montre que Nicolas Sarkozy et François Fillon ne font pas confiance à l’Inspection des Finances et à la Cour des Comptes, dont la plupart des membres sont issus de l’ENA, pour organiser l’évaluation des ministres.

Je ne vois donc pas pourquoi l’on dédouanerait notre président d’avoir à supporter la conjoncture internationale pour le justifier de ses mauvais résultats. Le fait-il pour les salariés de ses administrations ?

La culture du résultat c’est celle qui a poussé des milliers de Kerviel de par le monde à trouver des ficelles pour engranger plus, et c’est à lui que l’on vous demande de vous en prendre plutôt qu’à ceux qui initient ce système. À importer le made in USA nous en subissons aussi les dérives, et l’amusant est le constat d’un nouveau deal américain qui prend le contrepied de la politique du Président Sarkozy, il devient urgent qu’il change de conseillers.

 

Écrit avec l’aide du livre de Jean-Marie Gogue La Culture du Résultat


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