Réapprendre à débattre en démocratie

par Laurent Herblay
vendredi 2 janvier 2015

Si nos démocraties sont malades, ce n’est pas uniquement du fait que les alternances se révèlent être beaucoup trop limitées, comme si nos sociétés étaient figées dans une impasse. C’est aussi le fait d’un profond manque d’écoute et de débat qui affaiblit la démocratie.

La fermeture à l’autre
 
Trop souvent, certains médias nous offrent des débats ne réunissant que de faux contradicteurs, d’accord sur presque tout. Chacun peut alors avancer des faussetés sans craindre d’être repris par ses comparses, qui défendent la même soupe, et qui ne veulent donc pas critiquer une pensée tellement proche de la leur. Les pseudo débats d’économistes sont trop souvent une calamité, trustée par les différents courants de la pensée néolibérale, tous favorables au libre-échange, à la course à la compétitivité, à la libéralisation, ou à l’Union Européenne. Bien sûr, certains pencheraient plutôt à gauche, et d’autres à droite. Mais sur le fond, il n’y a qu’une feuille à papier de cigarette entre eux.
 
Ces faux débats ne valent pas mieux que les programmes de propagande des dictatures et des démocraties autoritaires, que les tenants du néolibéralisme sont les premiers à critiquer, au nom d’une liberté de penser qu’ils foulent parfois au pied, sans forcément s’en rendre compte. Soit en participant à des cénacles fermés à toute pensée alternative (pourtant foisonnante en France), ou par le refus parfois totalitaire de toute remise en question, même quand elle vient de personnes respectables et sérieuses.
 
Et ces travers peuvent aussi se trouver chez certains alternatifs, qui finissent par se couper de l’extérieur, ne se rendant même pas compte que notre discours n’est plus compréhensible largement, ou que nous cédons à des postures trop agressives ou démagogiques qui disqualifient nos idées. C’est ainsi que l’on finit avec un débat façon guerre civile, comme cela a été le cas sur le mariage pour tous. Mais dans le dur climat actuel, il importe sans doute de rassurer pour convaincre quand on porte des idées si différentes de celles appliquées depuis trop longtemps pour ne pas davantage inquiéter et susciter le rejet.
 
Des facteurs d’espoir

Bien sûr, le départ d’Eric Zemmour d’Itélé et les mouvements de la rédaction d’RTL peuvent faire penser que la situation se déteriore, au détriment des alternatifs, que la pression quasi-totalitaire des néolibéraux ferait le ménage de le paysage médiatique français. Mais je n’y crois pas. Eric Zemmour, outre le succès de son dernier livre, conserve pour l’instant un large accès aux média, que ce soit par RTL, encore, et par le Figaro notamment. Ensuite, l’ascension de Natacha Polony sur Europe 1 et Canal Plus, dans le temple de la pensée libérale-libertaire du Grand Journal, démontre au contraire qu’une pensée alternative, républicaine, patriote et progressiste peut s’imposer dans les grands média.

On peut également se réjouir du succès de RMC et Jean-Jacques Bourdin, qui démontrent que les Français souhaitent entendre une autre voix que le catéchisme néolibéral dominant. L’ascension de François Lenglet est positive car c’est un homme ouvert, à mille yeux de l’évangéliste néolibéral Jean-Marc Sylvestre, dont il a un peu pris la place. Il y a aussi Marianne, qui conserve une pensée modérée mais assez ouverte aux alternatifs. Bien sûr, un journal comme le Monde se fossilise de plus en plus dans une pensée néolibérale butée et fermée, qui le pousse à tous les excès : l’alarme quand les salaires montent de quelques dixièmes de pourcents ou un appel effarant à la libéralisation du cannabis.
 
Pour 2015, je souhaite un débat plus ouvert, que l’on donne plus la parole à Sapir, Gréau ou Lordon. Et même si certains de nos adversaires sont fermés, prenons nous aussi garde à ne pas tomber aussi dans la caricature ou la fermeture. Ce sont peut-être nos excès qui expliquent l’impasse actuelle.

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