Réflexions sur les attentats de Paris
par Hybris
mercredi 18 novembre 2015
Les événements du 13 novembre 2015 sont tragiques.
Nous, parisiens, avons vu la mort dans la violence au bout de notre rue ; dans des rues, des restaurants, des bars ou des salles de concert que nous aurions aussi pu fréquenter ce vendredi.
Que chacun ait connu, ou non, une victime, ou deux, ou trois – un mort, un blessé, un témoin terrorisé autant qu’impuissant au moment des fusillades, ou qui serait arrivé quelques minutes ensuite et qui a vu le sang, les corps – nous n’avons aucun mal à nous identifier à elles parce qu’ils sont nos voisins, ces « n’importe qui » a côté de qui ont s’est peut être assis un jour dans le métro et parce que la fatalité aurait pu s’abattre sur nous, plutôt que sur eux. Cela, les sms et les autres messages que l’on a reçu ce soir nous en ont aussi fait prendre conscience.
Cette année 2015 est la plus sanglante et difficile, à laquelle, nous, jeunesse de France sommes confrontés directement.
Les guerres que j’ai lues racontées dans les livres d’histoire, les morts dont j’ai pris conscience au détour d’une rue quand mon regard s’était porté sur une plaque commémorative mais surtout tous ces affrontements, loin de chez moi, ces images de bombardement, ces tueries de masse ou ces attentats que nos medias nous racontent tous les jours… m’ont habituée à l’idée de la barbarie, de la mort, de l’absurdité.
L’habitude ici est quelque chose de très grave parce qu’elle est marque de distanciation, d’indifférence mais aussi d’acceptation, à condition que ce soit loin de chez nous.
On affiche quelques protestations de principe et puis on tourne la tête parce que, s’y intéresser davantage nous ferait mal au cœur. On prendrait aussi conscience de la complexité de certaines situations et de la difficulté de trouver de l’information, au sens d’éléments d’analyse et de compréhension, sans qu’ils fussent empreints d’idéologie.
Ce vendredi 13 novembre 2015, il m’est impossible de détourner le regard.
Je doute. Je ne suis pas sûre de comprendre et de disposer de toutes les clés d’analyse. J’ai peur même si je ne le dirai jamais tout haut. Je suis en colère et c’est peut-être cette boule de rage, que je sens dans mon ventre, qui me domine et me fait écrire.
Je suis en colère parce que j’attendais ces attentats, que leur annonce ne m’a pas surprise. Je ne veux pas parler en détail de la politique étrangère de la France, je ne suis pas légitime pour cela. Mais j’ai 25 ans et je regarde mon gouvernement et l’évolution de mon pays avec une défiance qui me blesse, moi. Je voudrais adhérer, je voudrais faire confiance. Je voudrais penser qu’un gouvernement nous protège et assure une stratégie claire et réfléchie, qui défende nos intérêts et fasse entendre la voix d’un pays ancien, tributaire d’une grande histoire et digne de sa devise sur la scène internationale.
Liberté – Egalité – Fraternité. Je suis triste parce que je n’arrive plus à croire. Croire en cette devise, qui sont des idéaux que j’aime infiniment et qui me rendait fière, quand j’étais petite et qu’on m’apprenait qu’ils étaient la devise de mon pays – qu’on appelait ma France « le pays des droits de l’homme » et que je pensais, naïve comme le sont les enfants, que son histoire et ses mots faisait d’elle un emblème de justice.
Je suis en colère parce que je ne crois pas que ces attentats soient une déclaration de guerre du mal contre le bien ; qu’il y aurait une civilisation « légère », démocrate et laïque contre une autre, intolérante, guerrière et fanatique, qui ne supporterait pas de nous imaginer boire de l’alcool en terrasse et qui traverserait la Méditerranée exprès pour nous en empêcher. Cette théâtralisation simplifiante, ces grandes déclarations sur notre mode de vie frivole qu’il nous faudra à tout prix conserver pour montrer que nous sommes forts, puisqu’il serait le seul enjeu des attaques, m’apparait comme un manque de respect immense pour nos victimes et un renoncement, tant de nos hommes politiques que de nos medias, de se donner au moins l’apparence du sérieux.
Je suis en colère parce que l’on n’a jamais plus entendu parler de liberté d’expression dans notre pays que cette année, terrible année 2015 – mais que cela coïncide avec la mort des débats de fond sur la place publique et avec la suspicion du pire à propos du premier qui prononcerait le moindre mot s’écartant même un peu d’un discours uniforme qui crache sur l’intelligence et la recherche sincère de vérité.
Je suis en colère quand je remarque le nombre de français émus et sincèrement solidaires des victimes qui se contentent de ces explications hypocrites – je le suis autant quand ils les rejettent pour montrer du doigt les musulmans de France ; quand ces professeurs en laïcité se rejoignent pour discuter à la télévision de la façon dont il faudra réformer l’Islam.
Je suis en colère parce que les enseignements que je vois tirés de ce nouvel attentat ne me font pas penser que demain sera meilleur qu’aujourd’hui…
Aujourd’hui est le temps de l’hommage, du recueillement.
Demain, j’espère avec toute ma force que l’on se retrouve, pour débattre sainement des défis que nous devons relever. Ce ne fut pas le cas après le 7 janvier. Nous avons beaucoup à défendre, qui va bien au-delà de notre « légèreté ».