Réforme des retraites : et maintenant

par LATOUILLE
dimanche 16 avril 2023

« Il s’agit, après avoir toujours plié, tout subi, tout encaissé en silence pendant des mois et des années, d’oser enfin se redresser. Se tenir debout. Prendre la parole à son tour. Se sentir des hommes, pendant quelques jours. Indépendamment des revendications, cette grève est en elle-même une joie. Une joie pure. Une joie sans mélange. »

Simone Weil, La vie et la grève des ouvrières métallos, paru dans la révolution prolétarienne, numéro 224, 10 juin 1936. Sous le pseudonyme de S. Galois.

 Vendredi 14 avril 2023 le Conseil constitutionnel a validé la loi réformant les retraites voulue par Emmanuel Macron sans que ni l’un ni l’autre ne tienne compte de la colère populaire. Or, un pays dans lequel le Peuple n’est pas entendu est un pays gouverné par un régime dictatorial ; nous sommes légitimés à penser que le Conseil constitutionnel serait à la solde sinon du président de la République du moins à celle de la caste des nantis.

 Macron, narcissique pervers sourd – par essence — aux autres, a promulgué la Loi dans la nuit du 15 avril à 03h28, dans une précipitation qui signe bien son ambition dictatoriale. Eut-il eu connaissance du proverbe selon lequel « la nuit porte conseil » qu’il n’aurait pas agi autrement tellement il est persuadé de détenir seul la « vérité » et tant il méprise les Autres. Une fois de plus Macron a montré sa volonté de négliger le Parlement, allant, pour cette loi, jusqu’à l’écarter du débat grâce à une mécanique constitutionnelle pour la moins ambiguë et certainement malhonnête tant ce sont quelques articles - comme le 49-3 - destinés à museler le Peuple qui ont été utilisés et dont l’utilisation a été validée par le Conseil constitutionnel. Le Peuple et les élus d’opposition espéraient, pour contrecarrer le pouvoir, un référendum d’initiative partagé pourtant constitutionnellement difficile si ce n’est impossible à mettre en œuvre, et à cela s’ajoute des obstacles pratiques quasi insurmontables. Rejeté lui aussi par les « Sages ».

 Le Conseil constitutionnel a donc donné raison à Macron alors qu’il aurait pu sanctionner l’obstruction aux débats parlementaires en raison de l’usage par le gouvernement d’une kyrielle d’articles bloquant les discussions au Parlement bien qu’inscrits dans la Constitution. C’est sur cette « inscription constitutionnelle » que s’est appuyé le Conseil constitutionnel, institution pudique et prude, en masquant sa soumission au pouvoir celui d’aujourd’hui comme ceux de jadis, et à la « société de l’ordre » protégeant les mieux nantis, derrière une toge transparente juridique : le Conseil constitutionnel ne dit que le droit. Combien de fois a-t-on entendu cette sorte de maxime dans les médias suppôts du pouvoir quand ils n’en sont pas les porteurs de propagande.

 Il ne fallait rien attendre du Conseil constitutionnel. Ici comme ailleurs la cour suprême n’est que très exceptionnellement opposée au gouvernement en place, et ici aujourd’hui il fallait d’autant moins attendre qu’il invaliderait la loi que les femmes et les hommes qui le composent ont eu une carrière et un profil idéologique proche de Macron. Qu’on ne me fasse pas le procès de mettre en cause la qualité des membres du Conseil constitutionnel tant on ne se prive pas de le faire, par exemple, pour les juges de la Cour Suprême des USA mettant en avant leur proximité avec telle ou telle idéologie politique ou, plus rarement, pensée philosophique.

 Cela étant l’avis du Conseil constitutionnel ne dit rien de la qualité sociétale de cette loi, ni de sa valeur politique ; entendu — par certains — que ce n’est pas son rôle. Le Conseil constitutionnel a fonctionné dans une communion de classe. Alors demain… ?

 Au-delà de l’avis du Conseil constitutionnel qui finalement et intrinsèquement n’a que peu d’importance voire d’intérêt dans la vie politique et sociale du pays, ce qui doit retenir notre attention c’est la façon dont certains groupes politiques ont contribué à cette situation.

 D’abord La France Insoumise qui en déposant un océan d’amendements a empêché tous débats au-delà même de l’usage de l’article 47-1. On ne lutte pas contre la malhonnêteté, surtout si elle est enrobée de Constitutionnalité, par de la bêtise. Les députés LFI ont réagi comme des gamins face à une situation déplaisante et imposée. Il fallait au moins arriver à la discussion de l’article 7 du projet de loi qui fixe l’âge de départ à la retraite à 64 ans. Agissant comme elle a agi LFI s’est mise, ce qui n’a pas manqué, en position de recevoir un retour de boomerang ; dès lors sa crédibilité à être un parti de gouvernement est affaiblie voire devenue quasi inexistante. Et, si je ne partage pas les mots du ministre de l’Intérieur : bordélisation et autres gentillesses, la démarche de LFI montre une volonté à détruire un gouvernement plus qu’à construire une société nouvelle.

 Ensuite il y a le groupe LR qui est allé se prostituer à Matignon espérant sans doute redorer un blason aux couleurs fanées quand il n’est pas terni par une foultitude « d’affaires ». Ils ont cru avoir mis en place un début de chemin de retour aux commandes du pays en faisant accepter quelques amendements (plutôt stupides) par la première ministre qui tous ont été retoqués par le Conseil constitutionnel. Ce faisant LR a perdu son indépendance comme l’a montré son refus de voter la motion de censure qui aurait mis fin au feuilleton de la réforme des retraites. LR s’est fait complice de Macron, comme le souhaite son ancien chef largement battu à l’élection présidentielle de 2012 et plus encore à la primaire de 2016.

 

 Entre le narcissisme délétère pour la société de l’un, la soumission inconditionnelle et lâche des membres du gouvernement et des parlementaires du troupeau Renaissance, la conduite infantile de LFI et l’attitude prostitutionnelle des parlementaires LR (Fait de renoncer à sa dignité, de se déprécier ; usage dégradant que l'on fait de ses qualités, de son savoir, de son art, pour des raisons d'intérêt ou par ambition, par nécessité ou par obligation) que reste-t-il au Peuple ? Se soumettre en remâchant sa rancœur ce qui n’augure pas d’une société créative et dynamique, ou « prendre les armes » et bouter hors du pays ces nouveaux aristocrates car faute d’actions violentes il est difficile d’imaginer que ce gouvernement revienne sur sa décision car s’il avait été sensible aux mouvements sociaux il n’aurait pas agi comme il l’a fait et « Dieu le Père » aurait dormi plutôt que de veiller pour promulguer la « Loi » à 3h28 la nuit du 15 avril.

 Est-ce que la « nuit du 15 avril 2023 » serait la réponse en miroir à la « nuit du 4 août 1789 », la nuit où les aristocrates ont retrouvé leur pleine puissance ? Cette loi portant réforme des retraites pourrait bien être celle du retour au 19e siècle avec un peuple duquel on n’attend qu’il se limite à travailler pour des patrons autoritaires et méprisants, qui miséreux sera maintenu en état de donner sa force aux entreprises à coups d’aumône (prime Macron, bon d’essence… La révolte mettra le peuple devant le risque d’être massacré par les cerbères du ministre de l’Intérieur, les mêmes cerbères qui ont encadré la Rafle du Vel d’Hiv, la grève sanglante de Draveil-Villeneuve-Saint-Georges (En 1908, les ouvriers des carrières de Draveil et Villeneuve Saint-Georges se mettent en grève pour de meilleures conditions de travail. Le 2 juin et le 30 juillet, les forces de l’ordre ouvrent le feu sur les grévistes) …

 L’avenir du peuple se réduit aujourd’hui à une question de choix entre reconquérir son honneur et sa dignité ou se soumettre à la nouvelle aristocratie.


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