Régression : « année zéro » contre les discriminations

par pierre luton
samedi 5 mars 2011

La Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (Halde) vient de disparaître au profit du nouveau Défenseur des droits. Cette absorption suscite de nombreuses craintes.

Les jeux sont quasiment faits. Malgré la mobilisation forte d’associations, des syndicats et de nombreux autres acteurs, les parlementaires ont supprimé la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (Halde) et transféré ses missions à un « super » défenseur des droits. L’inquiétude est grande de voir ce défenseur des droits, accaparé par d'autres tâches, incapable de poursuivre une véritable politique de lutte contre les discriminations et pour l’égalité. Le vote par scrutin public doit avoir lieu le mardi 8 mars.

Premier président de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (Halde), à la tête de l’institution de 2005 à 2010, Louis Schweitzer regrette cette évolution : « La Halde continuera d’agir, mais je crains que sa dynamique de développement ne se ralentisse. » À l’origine, le Défenseur des droits ne devait remplacer que le médiateur de la République. Au fur et à mesure, les parlementaires et le gouvernement ont décidé de supprimer d’autres autorités indépendantes… Ce projet, justifié par les pouvoirs publics par le souci de réaliser des économies, a provoqué une levée de boucliers des syndicats et des associations (lire ci-dessous). Sous l’apparence d’une coordination des pratiques et des moyens, il supprime la Halde, ce qui provoque légitimement des craintes quant à la capacité d’un seul homme (ou d’une seule femme) -le Défenseur des droits- d’absorber les missions d’autant d’autorités jusque-là indépendantes, dont les règles et modalités de fonctionnement étaient, qui plus est, extrêmement diverses.

Coût

Créée fin 2004, la Halde avait pour mission d’aider toute personne victime de pratiques discriminatoires et disposait de pouvoirs d’investigation pour instruire les dossiers. Elle avait également le pouvoir d’émettre des avis et des recommandations auprès du gouvernement, du Parlement et des autorités publiques afin d’améliorer les textes de loi et de faire progresser l’état de droit. Mais c’est sur son coût qu’elle a été épinglée notamment dans un rapport de la cour des Comptes en septembre 2009.

Le nouveau Défenseur des droits, lui, doit regrouper les missions actuelles du médiateur de la République, du défenseur des enfants, de la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS) et de la Halde... De plus, il sera désigné sur proposition du président de la République en conseil des ministres. Au début du projet, la Halde n’était pas prévue dans le périmètre d’action de ce nouveau défenseur, mais les sénateurs l’y ont incluse cet été. « Je ne crois pas sérieusement que l’on puisse invoquer de quelconques arguments d’économie et de dépense », nous explique Louis Schweitzer. Il lâche : « Quand j’ai quitté mon poste, on ne m’a pas remplacé tout de suite, façon de souligner qu’on estimait que ce que je faisais n’était pas prioritaire. C’était un mauvais signal. »

Notoriété

« Le sujet des discriminations est assez grave pour justifier l’existence d’une instance spéciale, insiste-t-il. La Halde a acquis une notoriété suffisante, en témoigne le nombre de dossiers importants qu’elle a eu à traiter », rappelle-t-il avant de souligner à quel point la collégialité a joué un rôle important dans cette instance. « Ce travail collectif, son maintien, semblent désormais incertains. » Quelle suite sera donnée à cette dynamique ? « Enfin, la Halde ne se contente pas d’examiner les dossiers qu’elle reçoit ; elle a toute une action de promotion de l’égalité, c’est un complément essentiel de son travail. Je ne suis pas certain que le futur Défenseur des droits aura le temps et les moyens de promouvoir l’égalité d’accès au travail par exemple ! »

À la suite de Louis Schweitzer, Jeannette Bougrab avait été nommée présidente de l’institution au printemps 2010, avant de rejoindre le gouvernement mi-novembre dernier, comme secrétaire d’État à la Jeunesse et à la Vie associative. Éric Molinié, vice-président, lui a succédé début décembre dernier (lire notre interview). Alors quel avenir pour la lutte contre les discriminations en France ? Les craintes de « dilution » dans l’efficience de la lutte contre les discriminations et pour l’égalité sont partagées par de nombreux acteurs du secteur aux niveaux national, communautaire et international. Que va-t-on penser de nous ? « Pour ceux qui sont sensibles à ces questions, conclut Louis Schweitzer, oui, ils voyaient en la France, un exemple. Nous étions dans le peloton de tête des pays qui luttent contre les discriminations. Nous n’y sommes plus ! »

Pierre LUTON


Article paru en partie dans le journal de la FNATH, "A part entière" (Mars 2011). Pour en savoir plus : www.fnath.org

 

Inquiétudes nationales et internationales

La Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH) a recommandé le renforcement de l’indépendance et de l’efficacité des autorités existantes en matière de promotion, protection et défense des droits de l’Homme dans le cadre d’un système dont le Défenseur des droits assurerait la cohérence. De son côté, le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale de l’Onu (Cerd) s’est dit préoccupé de la multiplicité des fonctions du Défenseur des droits et craint que le mandat de lutte contre les discriminations y compris la discrimination raciale, actuellement dévolue à la Halde ne soit plus que l’un des éléments de son mandat. Ce comité recommande de maintenir une institution indépendante distincte ayant pour mandat la lutte contre les discriminations y compris la discrimination raciale. Par ailleurs, la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (Ecri), recommande à la France de continuer de soutenir la Halde.

Retour en arrière

La naissance de la Halde a été le résultat d’un long processus politique, réfléchi et nourri par de nombreuses expériences et de combats portés par des organisations syndicales et associatives. Il y a presque 10 ans, un collectif, composé à la fois de ces organisations et d’experts s’est constitué dans le but d’appeler à la création d’une « autorité administrative indépendante », à vocation généraliste en matière de discrimination et universelle, prompte à combattre efficacement les pratiques discriminatoires. Il était grand temps que la France se dote d’une véritable politique de lutte contre les discriminations. La mise en place d’une instance indépendante, autonome, qu’impose le droit communautaire européen, en constituait le point d’orgue. Avec la loi du 30 décembre 2004 est apparue enfin la Halde… pour disparaître moins de 7 ans plus tard ; sacrifiée sur l’autel de la crise économique et financière ?

 

Interview

“ Le Défenseur des droits risque d’être inopérant ! ”

Éric Molinié est président de la Haute autorité de lutte contre les discriminations (Halde), et ancien président de l'Association française contre les myopathies*.

Quel rôle sera dévolu à la Halde maintenant qu’elle dépend du Défenseur des droits ?

Nous avons tout tenté pour conserver l’autonomie de la Halde. Maintenant que le texte est passé en première lecture et que nos propositions d’amendements ont été repoussées, nous craignons d’hériter d’un Défenseur des droits inopérant. Nous allons tenter, en vue de la seconde lecture du texte de loi, de conserver à la Halde les mêmes moyens. Mais, je ne vous cache pas que nous vivons une période d’incertitude. Dans le texte actuel, le Défenseur aura les coudées franches. Il dispose d’un réel pouvoir discrétionnaire. Pour lutter contre les discriminations efficacement, il nous faudrait plutôt transparence et collégialité. Je ne suis pas sûr que nous puissions lutter aussi efficacement avec un tel projet. Nous venons de subir un retour en arrière.

Assiste-t-on à un sacrifice de la lutte contre les discriminations, en ces temps de crise ?

Je l’entends souvent. Des gens ici ou là vous rétorquent qu’il y a des sujets bien plus importants et urgents : l’emploi, la lutte contre le terrorisme… ! Mais le budget de la Halde qui reste modeste, malgré ses 12 millions d’euros, représente un réel investissement de notre pays dans la paix sociale. Cela représente une contribution essentielle sur des sujets comme l’emploi, les questions ethniques, de handicap, de maladie. N’est-ce pas essentiel ?

Qu’allez-vous faire maintenant ?

On continue ! On continue tous les jours, on ne va pas baisser les bras. Tous les jours, nos structures reçoivent des dossiers et les traitent. Entre 2009 et 2010, nous avons eu à traiter 15 % de dossiers en plus. Nous devons montrer aux législateurs que nous poursuivons notre mission et que nous le faisons toujours aussi bien ! D’ici quelque temps, alors que le texte sera définitivement adopté, les personnes discriminées devront pouvoir s’adresser à nos guichets. Nous serons sur le pont et je pense que nous aurons toujours les moyens de traiter leurs dossiers. Mon inquiétude, c’est de savoir si leurs dossiers seront traités au bon niveau. Certains ne seront-ils pas classés sans suite sans possibilité de recours ? Jusque-là nous classions aussi des dossiers, mais notre fonctionnement collégial permettait de les reprendre en compte si nécessaire. Au fond, nous n’avons rien contre le Défenseur des droits, pourvu qu’on lui donne les moyens de continuer le travail !

* Entretien réalisé avant l’adoption définitive du projet de loi à l’Assemblée nationale, prévue le 8 mars 2011.


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