Relations entre les femmes et les hommes, le discours est une forteresse

par Orélien Péréol
jeudi 7 décembre 2017

D’abord, elles et nous. Ensuite, des murailles hautes, épaisses, solides et infranchissables. A l’intérieur, des femmes assiégées par le désir et la violence des hommes. Et la violence de leur désir. A l’intérieur, des femmes comme des éponges, qui reçoivent et intègrent cette violence comme une nature, une évidence, sans y opposer aucune résistance d’aucune sorte. Le remède à cette situation intenable : répéter et répéter aux hommes que leur comportement est inadmissible. Vous ne lirez et n’entendrez que des variations sur ce thème. Celles et ceux qui voient les relations entre les femmes et les hommes et essaient de le dire ne sont en général pas publiés et quand ils le sont, n’ont pas d’échos : leur parole est traitée par l’exclusion, pas de réponses, pas de citations, pas de participation au travail de l’intellectualité…

Autrement dit, la place de la femme dans la société est faite par l’homme et ne dépend que de l’homme. Il faut donc que l’homme soit bon pour que cette situation soit correcte, c’est-à-dire égale à celle de l’homme. Tout se passe comme si les femmes n’avaient pas d’être, qu’elles n’étaient que ce que les hommes (les mâles) font d’elles. Il est fréquemment dit qu’elles ont intégrées cet état de fait qui leur donne une position subalterne. Contre cette intégration, il faudrait faire un effort éducatif ; seulement l’éducation des enfants revient majoritairement aux femmes (80% de professeure des écoles). Slate, femme actuelle ont en commun de poser la même question : « comment ne pas faire de son fils un macho ? » Le problème est dans l’homme, aucun problème dans la femme !

Comme toutes les idéologies, les grands axes des discours ne sont pas nombreux, ni difficiles à comprendre : les hommes sont jaloux des femmes parce qu’elles enfantent. Les hommes sont orgueilleux, ils veulent garder bonne figure, se protéger de la peur avec la vanité pour bouclier, garder leur désir de puissance absolue pour se tenir droit. Peu de discours englobant sur les femmes ; elles sont individualisées (d’ailleurs, il faut dire que le 8 mars est la journée des femmes et non la journée de la femme). Les rares fois où il y a discours englobant, ce n’est que du bonheur : les femmes sont convivialité, partage, respect de l’autre… (et non concurrence… etc.)

Alors que dans tous les domaines les identités collectives sont refusées sous le nom de stéréotype, là, il n’y a que ce type de discours stéréotypé qui ait pignon sur rue. A de nombreuses occasions, les hommes sont égratignés au passage dans des situations où il n’est pas question des relations femmes-hommes.

Xavier Beauvois à propos de son film Les gardiennes présente le retour du soldat de 14-18 de cette façon : le tyran reprend un pouvoir dictatorial et dit à la femme de retourner dans la cuisine, comme s’il s’agissait d’une prison, le ton que Beauvois emploie signifie l’inanité et la violence du retour d’un pouvoir illégitime et odieux. Les choses ne se sont pas passées comme ça. Les hommes étaient traumatisés, défaits psychologiquement, dans une souffrance intense et les femmes ont été heureuses de les voir revenir, d’être libérées des durs travaux des champs. Si les hommes appuient sur la charrue derrière le cheval ou le bœuf, ce n’est pas mépris odieux pour les femmes, ni domination masculine, c’est qu’il faut pour cette tâche harassante la meilleure musculature de la ferme. Ces hommes meurtris par quatre années de privations, envahis par la pensée de tous leurs camarades morts, par la culpabilité du survivant, ont sûrement mis un certain temps à reprendre une activité ordinaire et la plupart ont vécu avec un traumatisme terrible. Ils n’ont pas dit : « Bobonne, retourne à la cuisine », avec ce terme méprisant de bobonne, comme si la femme dans la cuisine était une place subalterne et ennuyeuse et qu’elle était dédiée aux femmes de ce fait, comme une victoire nécessaire pour les hommes, comme Xavier Beauvois ose dire qu’ils ont fait.

De la même façon, une remarque dépréciative et cinglante tombe sur le père de famille dans la bande annonce du film La villa. Il est question de ses recettes de cuisinier. Avec violence, un des fils dit qu’il ne savait pas faire cuire un œuf, qu’il a piqué les recettes à la mère. Piqué. Volé, quoi. Pour en tirer la gloire malhonnête de faire croire que c’était les siennes. Pourquoi suppose-t-on a priori qu’il n’y avait pas de collaboration, d’apprentissage entre les époux ? Pourquoi est-on tellement habitué à ce dénigrement des hommes (des mâles) ?

Ce bashing permanent des hommes ne connait aucune modération ; la capacité de débat, de mise en question lui est retirée. Ce bashing des hommes est éprouvant pour celles et ceux qui souhaitent réfléchir à la vie d’après ce qui se passe vraiment.

Il faut anéantir l’idée d’un désir masculin irrépressible, nous dit une intellectuelle très aimée. Anéantir, pas interroger, pas mettre en questions, anéantir. On n’a pas besoin de questions ni d’échanges verbaux sur ce type de sujet. La réponse est là avant les questions : anéantir. Et c’est un impératif : Il le faut. On se demande bien pourquoi et comment les hommes paient des services sexuels aux femmes, le cas contraire étant entre inexistant et exceptionnel. On se demande bien pourquoi une femme comme Grisélidis Réal voyait dans la prostitution « un Art, un Humanisme et une Science. » Faut-il interdire la publication de ses écrits ? La diffusion des films qui lui ont été consacrés ? La placer, par une rétention volontaire, dans l’oubli ?

Deux choses représentent des ruptures totales avec les fondements de notre société : ce refus de l’échange et du débat, et cette condamnation absolue et universelle, répétée, d’un groupe d’humains, n’admettant qu’une seule « réponse » de leur part : « oui, comme tous les hommes mes semblables, je suis un bourreau des femmes, c’est ma faute. Je ne leur ai donné le droit de vote qu’en 1945, je n’étais pas né, mais j’en suis coupable… je reconnais que les femmes n’ont qu’une seule possibilité : recevoir et endurer ma violence. C’est pourquoi il est nécessaire que je m’amende et avoue ma faute, ma très grande faute... »

Il serait temps de revenir à l’examen des faits et gestes réels des femmes et des hommes dans leur présence au monde, dans leurs interactions… Il serait temps de quitter cette représentation manichéenne, hémiplégique. Tant que nous serons dans ce registre elles et nous, aucune entente ne sera possible, il n'y aura qu'augmentation des tensions et des difficultés. Il faudrait se souvenir qu'une minorité très silencieuse croit qu'une loi de dieu impose, non d'accabler les hommes par la parole, mais d'accabler les femmes par la relégation, leur invisibilisation, et que là non plus, il n'y a pas de débat, puisque c'est dieu qui le dit... Il serait temps d’honorer la complexité du monde et des significations, à honorer la richesse des relations entre les femmes et les hommes, qui sont pleines de joies et de bonheurs et de difficultés, d’entraides, de complémentarités, de générosité réciproque..

Photo Orélien Péréol
Mme et Mr se désolent de la difficulté à vivre ensemble quand on est différents. Ici : le moment du prêche

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