Retraites : en finir avec les non-dits

par Michel Koutouzis
vendredi 10 septembre 2010

 Deux positions, toutes deux comptables, s’opposent concernant les retraites. Chacune, frileuse et non anticipative pour un sou, s’appuie sur des concepts déflorés et rancis, ayant pris un coup de vieux depuis la crise économico - financière. 

Celle du gouvernement en premier lieu. S’appuyant sur l’allongement de la vie - qui est pourtant la conséquence de l’armature de l’Etat providence à la française – pourrait se résumer, cyniquement ainsi : les retraites et l’action sociale ont rallongé l’âge de la vie des couches les pus défavorisées de notre société, il faudrait mettre tout cela en ordre. Au choix : vous vivez trop longtemps, il est temps de mourir. Ou alors vivre de plus en plus mal, ce qui revient au même.

Il ne vient pas à son esprit que des mesures pour améliorer la vie doivent se prendre avant la retraite, que celle-ci n’est pas le paradis sur terre, que les inégalités faites aux femmes, aux métiers pénibles, aux carrières courtes (par ce que leur formation l’exige), etc., ce sont des questions à régler pendant la vie active et non pas en fin de vie.

Il ne vient pas à son esprit que la réaction de ces couches sociales serait moins véhémente, si, pendant plusieurs décennies, en utilisant l’épouvantail du chômage, la vie active ne trouve d’épanouissement que dans l’eldorado hypothétique de la retraite.

Le moment cependant est mal choisi : depuis la fin des années 70, la « crise » rampante, réelle ou fictive, le discours de tous les gouvernements (avec des nuances certes importantes) se limite à répéter : il n’y a pas de sous, ceux qui travaillent sont des « privilégiés » par rapport aux bataillons de chômeurs de plus en plus fournis.

Puis survient la crise financière, et par magie, on trouve des fonds, des milliers de milliards, pour le secteur financier. C’est, qu’entre temps, la plus-value faite sur le travail et le capital a donné naissance, puis renforcé, les nouveaux venus dans l’économie mondiale, les « actionnaires », et leur spéculation. Certes ils existaient déjà, mais leur part, limitée par la loi et les Etats, restait constante. L’armature législative qui les contenait ayant sauté, les Etats ayant concédé au marché leurs prérogatives, les « marchés » sont devenus les maîtres du jeu. Ce n’est pas une question d’argent, ni de progrès, ni de fatalité. C’est une question idéologique, une question de volonté politique et de règles. Cela s’appelle la dérégulation, c’est à dire la fin des bornes, des règles, des lois qui constituaient, du moins en économie, l’Etat de droit.

Ainsi, les Etats légifèrent désormais pour faire accepter leurs abandons au profit du marché par les populations protégées de l’Etat et avec les quelles il avait un « contrat de confiance » qui s’appelle la cotisation. La cotisation est proportionnelle au salaire, à la masse salariale, à la population « active », au développement économique. Or, celui ci, l’économie dite réelle, s’effiloche au profit des investissement financiers et spéculatifs, par définition bien plus rentables. L’armature industrielle se délite, les salaires stagnent, les emprunts flambent. Le marché remplace l’Etat, les augmentations de salaires sont remplacés par des emprunts, la fiction de bien-être ou de survie n’existe que par la transformation des salariés en « emprunteurs » et qui survivent grâce à un coût de l’argent relativement supportable, concédé pour avoir la paix sociale.

Cependant, les grosses masses monétaires sont investies sur elles mêmes, et ce jusqu’à leur effondrement. Le coût de l’emprunt augmente et se tarit, les Etats deviennent emprunteurs, n’ayant plus la maîtrise de leur monnaie concédée au marché. Ils se font attaquer par le dit « marché », doivent faire des coupes à leur dépenses sans remettre en cause la suprématie et l’autonomie financière, et donc elles deviennent prédatrices de leurs propres populations, elles mêmes assujetties au marché, c’est à dire débitrices.

Les salaires les plus bas (qui n’avaient pas accès au crédit) deviennent une cible privilégiée « pour faire des efforts et des économies » c’est à dire à concéder plus de travail et moins de retraite par l’allongement et par la mort. 

En effet, l’allongement de la vie n’est pas une constante. C’est le bien -être de la retraite, l’usufruit d’une vie enfin encaissé qui la rallongent.

Toucher aux retraites, c’est sans doute, mettre un frein à l’allongement de la vie. Sans être énoncé, c’est probablement un des objectifs de ces reformes. D’autant plus que le chômage des seniors, de plus en plus important, intervient en fin de droits, entre le travail et une retraite désormais improbable. 

Le discours lénifiant portant sur la sauvegarde de notre système de retraites, et qui voudrait responsabiliser les citoyens quand à leur propre appauvrissement comme il les a « responsabilisés » quant à leur vie active en transformant tout groupe social en individus luttant pour leur survie en marge de leurs collègues, oublie sa propre responsabilité. Ce n’est pas les citoyens qui ont rendu les Etats dépendants du marché. Qui les ont affaiblis, qui les ont rendus débiteurs.

Le pouvoir actuel, qui avait déclaré que la réforme des retraites n’était pas à son programme, mais que la crise l’a rendue nécessaire, avoue ainsi indirectement sa part de responsabilité. Mais ne la comptabilise que sur le dos des populations les plus fragiles, refusant de porter le fer aux causes de cette crise. Nous ne sommes pas gouvernés par des sages (qui devraient s’abstenir d’utiliser de manière provocatrice le terme de « pédagogie »), mais par des irresponsables frileux, embourbés dans des situations inextricables, symboliquement inaptes de porter un message, brouillé qu’il est par des scandales de corruption (ou faisant payer par le contribuable leurs malversations précédentes). 

Quand aux syndicats, qui ont sans doute bien intégré les impasses étatiques et le mal fondé du discours gouvernemental, ils devraient enfin « globaliser » leurs revendications, intégrant le facteur justice sociale qui se fait et aux dépends du secteur privé et plus particulièrement à ses bas salaires et aux profit de leurs adhérents privilégiés, c’est à dire la fonction publique.

Il est temps, pour être plus crédible et plus offensif (et ne pas être accusé de protéger les « salariés nantis »), d’universaliser leurs demandes, d’exiger des règles comptables pareilles pour tous, et de porter le fer au sein du monde du travail, exigeant une meilleure vie pendant la vie, et non pas à la retraite. Il ne suffit plus de « suivre », « d’accompagner », les salariés qui luttent pour éviter leur licenciement, il ne faut plus être inhibé par le spectre du chômage. Il faut oser mettre l’Etat face à ses défaillances et son irresponsabilité et exiger le retour à l’Etat de droit.

Négocier, certes, mais réintroduire du politique, du sens, de l’espoir.

Paradoxalement, c’est le moment ou jamais. 


Lire l'article complet, et les commentaires