Retraites : plus d’un député et sénateur français sur deux seraient hors-la-loi

par AbLab
mercredi 28 septembre 2011

En France, en 2011, 35,1% des députés et 72,7% des sénateurs, soit 53,9% de l'ensemble de ces hommes politiques continuent de travailler au-delà de l'âge maximal légal fixé pour la retraite générale, qui est actuellement de 62 ans, et plus particulièrement, au-delà de l'âge légal établi de manière spécifique pour les parlementaires, qui est, depuis 2007, de 60 ans au lieu de 55 ans. Cette situation est contraire à une décision de la Cour de justice de l'Union européenne du 16 octobre 2007 relative à la discrimination au travail par l'âge.

En effet, la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a rendu un jugement dans une affaire qui opposait un citoyen espagnol de 65 ans à son employeur, précisant «  les conditions permettant aux Etats membres de prévoir une différence de traitement fondée sur l’âge », que ne respectent pas les hommes politiques sur le territoire français.

A 65 ans, M de la Villa avait été mis à la retraite forcée par son employeur, contre sa volonté, et fit état d'un licenciement par son employeur à la justice, invoquant de plus la directive européenne du 27 novembre 2000 en charge de la lutte contre les discriminations, notamment liées à l'âge, dans le travail et instaurant un cadre général juridique en Europe.

La CJUE a tranché en jugeant que cette mise en retraite forcée n'était pas un licenciement car l'âge de cotisation légale du travailleur fixée par la réglementation espagnole (65 ans) avait été atteinte, et justifiant cela par le fait que cette législation a été adoptée en accord avec les partenaires sociaux dans le cadre d’une politique nationale visant à promouvoir l’accès à l’emploi par une meilleure distribution de celui-ci entre les générations.

Aussi, la Cour justifie notamment sa décision en invoquant et citant la loi espagnole du 10 mars 1980 sur le Statut des Travailleurs, prévoyant que "la limite d'âge maximale applicable à la capacité de travail et la résiliation des contrats de travail doivent être fixées par le gouvernement en se référant aux ressources du système de sécurité sociale et le marché du travail. En tout cas, l'âge maximum est fixé à 69 ans, sans préjudice du droit pour compléter les périodes de qualification pour la retraite."


La Cour conclut finalement que "l'interdiction de toute discrimination fondée sur l'âge, comme mis en œuvre par la directive du Conseil 2000/78/CE du 27 Novembre 2000 établissant un cadre général pour l'égalité de traitement en matière d'emploi et de profession, doit être interprétée comme n'excluant pas la législation nationale telle que celle en cause dans les principaux arguments, en vertu de laquelle les clauses de retraite obligatoire contenues dans les conventions collectives sont légales là où de telles clauses fournissent les exigences seules que les travailleurs doivent avoir atteint l'âge de la retraite, fixé à 65 ans par le droit national, et doivent avoir rempli les conditions énoncées dans la loi de sécurité sociale pour avoir droit à une pension de retraite en vertu de leur régime de contribution, par laquelle

- La mesure, bien que fondée sur l'âge, est objectivement et raisonnablement justifiée dans le cadre du droit national par un objectif légitime relatif à la politique de l'emploi et le marché du travail, et

- Les moyens mis en place pour atteindre cet objectif d'intérêt public ne semble pas être inappropriée et inutile pour le but."

Or, en France, tout comme en Espagne, une telle clause de retraite obligatoire existe étant donné que l'article L1237-5 du Code du Travail indique que "la mise à la retraite s'entend de la possibilité donnée à l'employeur de rompre le contrat de travail d'un salarié ayant atteint l'âge mentionné au 1° de l'article L. 351-8 du code de la sécurité sociale", conformément au jugement rendu par la CJUE.

De plus, selon deux décisions prises par le bureau de l'Assemblée, les parlementaires peuvent bénéficier de leur retraite à taux plein à partir de 60 ans au lieu de 55 ans, dès fin 2007, instaurant donc un âge légal de retraite de 60 ans pour cette catégorie socio-professionnelle.

D'autre part, il est également à préciser qu'outre les nombreux avantages dont disposent les sénateurs et députés, ces derniers ont, dès 60 ans, le droit de toucher leur retraite tout en
travaillant à temps plein...

Dans ces conditions, il apparaît que les députés et sénateurs continuant de travailler après 60 ans outrepassent l'âge légal de la retraite présenté par la Cour Européenne comme limite au-delà de laquelle ils peuvent être mis à la retraite obligatoire forcée, et que cette prolongation du travail, après 60 ans, et pour beaucoup, après 69 ans, constitue une entorse aux justifications légitimes invoquées par la CJUE relatives à la politique de l'emploi, au marché du travail et à la distribution équitable du travail entre les générations, et donc une discrimination au regard des personnes qui comme M. Villa ont été mis à la retraite de manière forcée et contre leur volonté, de part la directive 2000/78/CE.

Imaginez en effet que tous les salariés continuent à travailler quinze à vingt ans après l'âge légal de retraite, comme le font nombre d'hommes politiques en France : le chômage exploserait partout en Europe, et ce de manière exponentielle, et atteindrait peut-être 40 à 60 % de la population active.


Comment, avec un minimum de sens civique, peut-on encore accepter que les lois votées par les hommes politiques ne s'appliquent pas pour eux-mêmes ?

 

(1) En France, en 2011, 193 députés sur 549 ont 60 ans ou plus. 59 députés ont 69 ans ou plus. En septembre 2001, avant renouvellement, au Sénat, 72,7% des sénateurs ont 61 ans ou plus. En ce qui concerne les 170 nouveaux sénateurs élus, 52,9 % ont 61 ans et plus. (Site de l'Assemblée Nationale et du Sénat).

(2) Les parlementaires doivent effectivement justifier aujourd'hui de 41 annuités de cotisations pour toucher, à partir de 60 ans au lieu de 55 ans, leur retraite à taux plein, selon deux décisions prises par le bureau de l'Assemblée fin 2007. Le Figaro, 19 avril 2010.

(3) L'élu sexagénaire a en effet le droit de toucher sa retraite tout en travaillant à temps plein. Rue89, 12 octobre 2010

(4)Case C-411/05 Cour Européenne de Justice

http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=CELEX:62005J0411:EN:HTML


Lire l'article complet, et les commentaires