Revenu de base : la fausse bonne idée

par Au fil des idées
mercredi 13 janvier 2016

Une idée de Milton Fridman resurgit actuellement, celle « d’un revenu universel » donné à chacun et qui aurait vocation à remplacer les aides sociales existantes.
Cette idée est accueillie avec un certain enthousiasme.

Pourtant si cette proposition est financée comme on le suggère parfois, par l'augmentation de la TVA, la conséquence sera alors la diminution du pouvoir d'achat de la plupart des français. Explications :

D'après les sondage, la plupart des citoyens prennent cette idée pour une bonne chose.



Une remarque importante est à garder à l'esprit tout au long de l’article, les formes et les faisabilités d’un revenu universel sont nombreuses et mon propos concerne UNIQUEMENT le revenu universel qui serait versé en contrepartie de la suppression de toutes les aides sociales et financé par la TVA.

Une baisse du niveau de vie des plus pauvres.

Nous prendrons l’exemple d’une personne vivant seule.

La somme évoquée est de 850€ et peut sembler attractive pour quiconque touche le R.S.A (524.16€).

Au R.S.A, s'ajoutent les aides au logement qui sont selon le site de la CAF, de 250€ pour une personne seule vivant dans un studio coutant 450€/mois.

On le voit, le R.S.A couplé aux A.P.L (774.16€) est pratiquement l’équivalent du revenu de base proposé.

Cependant, c’est oublier que dans notre pays les bénéficiaires des minimas sociaux peuvent prétendre à d’autres aides complémentaires comme :

Gratuité ou semi gratuité des transports.
Les tarifs sociaux concernant l’énergie.
La CMU (sécurité sociale).
Possibilité d’aides personnalisées pour pallier les « coups durs »
(panne de voiture, difficultés de loyer…).
Gratuité ou semi gratuité de certains loisirs (piscine, musée etc.)

(D’autres aides peuvent être accordées par région, toutes les infos sont dans ce lien.)

Il est difficile d’estimer le montant par personne que représentent ces aides. Mais vous l’aurez compris, entre les aides directes et indirectes, les prestations sociales pour les personnes les plus pauvres sont nettement supérieures aux seuls 850€ proposés.

Une baisse du niveau de vie pour les salariés.

En France, nous avons bien souvent l’impression qu’en dépassant les 1400€ de salaire net mensuel nous n’avons « le droit à rien ». Dès lors, une « prime » de 850€ par mois peut être tentante.

Mais en réalité, le salaire d’un travailleur est composé du salaire brut, auquel sont retirées les cotisations sociales.

Bien souvent nous ne nous intéressons qu’au salaire net, ne sachant pas très bien à quoi correspond le brut. Cet argent n’allant pas directement dans notre poche, nous n’avons pas l’impression d’en bénéficier.

Afin de mieux comprendre ce système, voici l’excellente vidéo de Franck Lepage et G Tanguy :
 

L’Etat agit donc sur votre salaire comme un assureur sur votre compte en banque : il prélève sur votre salaire le montant des cotisations des différentes assurances sociales.

Ces assurances obligatoires vous donnent un accès à diverses prestations sociales : de la sécurité sociale à la retraite en passant par le chômage ou l’invalidité... Évidemment, les prestations sont calculées en fonction des cotisations payées, ainsi un cadre est mieux indemnisé à la retraite ou au chômage qu’un salarié ou un bénéficiaire des minimas sociaux.

Si le revenu de base devait être versé en contrepartie de la suppression de toutes les prestations sociales, charge alors au salarié de prendre ces assurances sur son revenu de base.

Or, si le système actuel est assez égalitaire dans la ponction des cotisations, le recours à l’assurance individualisée (sûrement privée) entrainerait une fixation des grilles de cotisations selon des critères personnels (antécédents médicaux, lieu d’habitation, activité professionnelle, qualité de l’employeur).
Il apparaît évident que les assurances sociales devenues individualisées seront donc plus onéreuses pour les français les plus exposés à la précarité.


Le schéma sera donc le même que pour l’assurance d’une voiture : si vous habitez dans un beau quartier et que vous possédez un garage, alors les tarifs sont plus avantageux

 

Les salariés moyens sont également dans une situation comparable : un salarié gagnant 1 700€ net aura à sa disposition seulement 850€ par mois pour s’offrir les assurances sociales minimum (chômage, retraite, maladie…). 

Le risque est donc que les salariés, surtout les plus jeunes, choisissent de ne pas prendre d’assurance retraite, chômage, RMI, ou maladie pour pouvoir profiter de ces 850€ de salaire en plus.
Cela les mettrait donc en danger face aux risques de la vie. (1)

J’ajoute que rendre ces assurances obligatoires n’aurait aucun sens dans le contexte du revenu de base.

Pourquoi la baisse des cotisations n’entraînera pas de hausse du pouvoir d'achat :

Les plus optimistes (naïfs ?) pourront rétorquer que le patronat sera tenté d'augmenter les salaires du fait de la suppression des cotisations sociales.

Or si le revenu de base est financé par la hausse de la TVA, le prix de vente des produits augmentera. Si cette hausse du prix de vente n’est pas compensée par la hausse des salaires, alors le pouvoir d’achat diminuera automatiquement.

Exemple de l'impact sur le prix de vente d'un produit :

=>Cout de producttion d'un produit : 90€
=>Main d'oeuvre : 10€ actuellement, 5€ avec le revenue de base (2)
=>TVA : 20% actuellement, 92% pour financer le revenu de base. (3)

Situation actuelle : (90+10)*TVA(20%) = 120€
Revenu de base financé par la TVA : (90+5)*TVA(92%) = 182,40€

Dans mon exemple le consommateur payera donc son produit 52% plus cher.

Imaginez donc l’impact pour quelqu’un au RSA, en retraite ou ayant un bas salaire sans aucune autre aide, devant se débrouiller avec 850€ par mois pour faire face à une hausse générale des prix due à l'augmentation de la TVA.



Avec des produits plus chers et une partie de la population moins riche, peut-on réellement croire que cette mesure créera des emplois  ?

En revanche pour les plus gros revenus (les 10% les mieux payés), les cotisations sociales contenues dans les salaires est en grande partie redistribuée aux 90 autres pour cent de la population. C’est ce qu’on appelle le principe de solidarité nationale.
Si les cotisations sur les salaires sont abrogées, alors le principe de solidarité nationale est remis en question.

En résumé, ceux à qui la solidarité nationale coûtait de l’argent se verront attribuer un revenu supplémentaire par an et ceux qui en bénéficiaient verront leur revenu global (direct+indirect) diminuer.

Elle n’est pas belle la vie ?



Une baisse de la croissance  :

La protection sociale en 2013 coûtait 715 milliards d'euros par an, ce qui représente environ 10 800€ par personne.

Le revenu de base annuel serait de 10 200€ par an et par francais, ce qui représente une perte nette de 600€ par citoyen.

A l'échelle nationale, le revenu de base représenterait une « économie sociale » de 42 milliards d’euros pour le patronat.

Il faut comprendre que ces prestations sociales sont réinjectées dans le système par les dépenses des allocataires.
 
Ainsi, les 42 milliards d’euros « économisés » seront à peu près autant d'argent de moins dans le système économique.

On pourra me dire que cette manne financière profitera à l’investissement et donc à la future croissance, mais c'est sans compter que :
 
Un chef d’entreprise n’investit que s’il estime qu’il peut vendre ses produits. Or, avec la diminution du pouvoir d'achat de la majorité des français, il y a fort à parier qu’on assistera in fine à une baisse de la croissance !

Ce qu’on nous propose n’est que la continuité de la théorie du « ruissellement », chère à ces grands philanthropes qu’étaient Tatcher et Reagan !



Conclusion :

On l’a vu un calcul simple démontre que les citoyens, seront dans l’ensemble moins bien protégés qu’avec le système actuel.

De 80 à 90% de la population sera en réalité les grands perdants.

La mesure telle qu’elle semble être présentée devrait être financée par la TVA qui est l’impôt le plus inégalitaire.



La question du revenu de base peut être débattue mais nous devons etre vigilent car en aucun cas il doit être mis en place au détriment la protection sociale.

Beaucoup de réflexions existent sur ce sujet et méritent d’être étudiées, cependant :


- La Fraude fiscale coûte entre 60 et 80 milliards d’euros chaque année

- L’évasion fiscale coûte entre de 15 et 19 milliards d’euros chaque année

- Les fraudes aux cotisations sociales coûtent entre 20 et 25 milliards. (5)

En totalité, c’est entre 95 et 124 milliards d’euros qui échappent aux mains de l’Etat.

Son déficit (sécurité sociale et charge de la dette comprises) était de 85, 6 milliards d’euros en 2014.

Si l’Etat pouvait mettre la main sur une grosse partie de ces sommes, il resterait quelques milliards d’euros d’excédents dans les caisses.
Largement de quoi investir ou baisser certaines charges pour les petites sociétés afin de dynamiser le pays !

Pour cela, il faut une volonté politique qui apparemment n’existe pas, quelque soit le gouvernement.



Si le revenu de base évoque pour beaucoup une alternative au salariat, celui qui semble nous être présenté ici, n’est rien d’autre qu’une tentative habillement menée de baisser la protection sociale et de transférer son coût à la charge du consommateur plutôt qu’à la charge du patronat.


Merci à ceux qui m’auront lu jusqu’au bout, vous pouvez me soutenir à partir de 5€ en contribuant au développement d’un projet bio, équitable et solidaire qui fait le choix de reverser la partie du bénéfice dédiée normalement aux actionnaires à des causes que vous pouvez choisir, plus d’infos en cliquant sur cette photo :

 
Notes :

(1) Quand on sait que même le très libéral journal ContrePoint estime une mutuelle seule pour un salarié de 45ans à 450€ par mois (sans toutefois donné de détail sur son état de santé, ni sa branche d’activité qui jugule le prix final) on réalise que plus de la moitié du revenu de base est absorbé par la seule mutuelle, reste à payer une éventuelle assurance chômage et la retraite !

(2) Pour AppleRenault ou Peugeot la main d’œuvre représenterait 10% du coût total du produit fini.
Les cotisations représentant près de 50% du cout de la main d'oeuvre. On part du principe qu'avec le revenu de base, le coût de la main d'oeuvre sera de 50% moins élevé.

(3) Actuellement la tva rapporte 140 milliards d’euros, pour financer le revenu de base il faudrait donc la multiplier par 4.8%

(5) "Le trou" de la sécurité sociale est estimé à moins de 10 milliards d’euros, la sécurité sociale serait donc en excédent de 10 à 15 milliards d’euros si les cotisations étaient payées !
 


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