Revirement : l’Etat abandonne l’abattage total des bouquetins du Bargy

par Matthieu Stelvio
samedi 22 novembre 2014

Je me souviens lorsque j’ai lancé ma pétition. Personne n’y croyait. On me prenait pour l’hurluberlu du Col de Sarenne. Tout le monde me disait que c’était perdu d’avance, que le dossier était très complexe, qu’il n’y avait malheureusement pas d’autres choix, et que les bouquetins du Bargy seraient tous tués. Le dossier indifférait les journalistes : qu’est-ce qu’un bouquetin après tout ? Malgré l’avis défavorable du Conseil National de Protection de la Nature (que j’ai rendu public), aucune association ne s’opposait aux abattages à l’aveugle. J’ai épluché les rapports scientifiques sur les bouquetins, sur la brucellose, sur le gypaète bargy, les textes de loi... J’ai partagé mes arguments. Je les ai envoyés à Reporterre, à Agoravox, à Rue89 qui les ont jugés pertinents, et qui les ont diffusés. Et c’est ainsi que les abattages qui paraissaient de prime abord inéluctables ont pris une autre dimension.

D'abord à deux (on s'est dit : "- Partant ? - Partante ? Allez, on s'en fiche, on y va !"), puis à trois, puis à quatre, nous sommes allés chercher l’Association de Protection des Animaux Sauvages pour monter un dossier en justice. Nous avons trouvé un avocat, l’avons payé avec de l’argent tiré de nos poches. Nous avons passé des nuits à rédiger notre référé, et avons lancé un procès contre l’Etat… Procès que la Justice a fait traîner, et traîner, et traîner pendant que l’hécatombe continuait… (Après plus d’un an, nous attendons toujours l’audience, ce alors que l'arrêté attaqué est désormais "périmé"…)

Sous la pression d’un syndicat agricole, le préfet s’est obstiné à défendre l’abattage total, et a écarté le monde scientifique en ordonnant l’incinération de plus de 220 cadavres sans aucune analyse biologique ! J’ai rédigé des dizaines d’articles, écrit plusieurs lettres ouvertes, ainsi que de longs argumentaires qui ont progressivement été cautionnés par des associations. En septembre 2013, la FRAPNA et la LPO (qui siègent au CNPN) saluaient les abattages à l’aveugle des bouquetins de cinq ans et plus. En décembre 2013, la FRAPNA et la LPO opéraient un revirement en soutenant ma synthèse « Bouquetins du Bargy, laissez-les vivre ! », s’opposaient par la même occasion à tout abattage à l’aveugle, et invitaient à signer la pétition ! En avril, ma lettre ouverte faisait enrager le préfet, et était soutenue par 15 associations dont le Club Alpin Français et WWF.

Jour après jour, nous avons gagné en force et en pertinence. Le mouvement d’opposition a pris de l’ampleur. La FRAPNA n’a plus hésité, et a su se montrer efficace. Nous avons eu des divergences internes, mais elles n’étaient que le reflet de notre dynamisme démocratique. À l’instar d’Isabelle, de Sylvain, de Jean-Pierre et j’en passe, de nombreux citoyens ont organisé des réunions, des manifestations, ont minutieusement observé la faune. Certains sont même allés jusqu’à camper des dizaines de jours sur le massif, et ont pacifiquement fait reculer, le 22 septembre dernier, plus d’une trentaine de tireurs hésitants. Du Canard Enchaîné au Monde, les journalistes ont commencé à s’interroger, à remettre en cause les arguments du préfet… Mandaté pour abattre les bouquetins, l’Office National de la Chasse et de la Faune Sauvage s’est même retourné contre le préfet par le biais de son Conseil Scientifique.

Hier, le Conseil National de Protection de la Nature s’est réuni. Les positions du préfet ont été si violemment critiquées que la Ministre de l’Ecologie, Ségolène Royal, qui jusqu’alors était favorable à l’abattage total, a demandé au préfet de renoncer. Ainsi, France 3 explique aujourd’hui qu’on se dirige « vers un abattage exclusif des animaux malades, après l'utilisation d'un test homologué par l’Agence nationale de sécurité sanitaire. »

Cette solution est celle que le CNPN défend depuis le 11 septembre 2013 ; c’est aussi celle que 68 000 citoyens demandent au préfet de suivre… Adoptée dès le départ, cette mesure aurait permis d’éviter l’abattage de centaines d’animaux protégés ! Adoptée aujourd’hui, malgré l'irrémédiable massacre de 2013-2014, elle permettra encore de sauver les vies de centaines de bouquetins ! (Il reste aujourd’hui environ 400 bouquetins dans le massif du Bargy.) Je pense avoir passé des centaines d’heures sur ce dossier. Je n’ai pas gagné un centime, mais j’ai tout gagné, car si on fait le bilan, je pense à moi tout seul avoir sauvé au moins un bouquetin.

Mais attention : gare aux girouettes ! Si un nouveau revirement de l’Etat est opéré avant que l’ANSES ne rende son nouvel avis, nous saurons nous faire entendre ; il faut donc continuer à partager la pétition  ! Si les prochains avis de l’ANSES et du CNPN indiquent que l’abattage des seuls animaux malades est inefficace, je n’exclue pas de réviser mon jugement. La raison doit l’emporter ; et il est d’ailleurs révoltant que le vaccin caprin existant n’ait pas encore été testé sur les bouquetins ! Soyons obstinés, et pensons aussi aux chamois : je sais que pour le moment, tout le monde s’en fiche, mais à force de souffler, le vent tournera !


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