Rudy Salles : « L’Etat est sourd face au problème des sectes »

par Lou Gobi
jeudi 28 décembre 2006

La problématique des sectes revient sur le devant de la scène politique ces derniers temps, mais, selon le député niçois, il serait préférable de faire preuve de beaucoup plus de vigilance face à cette dérive inquiétante qui touche de nombreuses familles en France chaque année.

Nice Première : Rudy Salles, vous avez participé à trois commissions parlementaires en onze ans sur les sectes. Comment définiriez-vous ce phénomène ?

Rudy Salles : Il existe près de deux cents sectes en France, ce qui représente environ 300 000 adeptes. C’est donc un phénomène très inquiétant, car les personnes qui tombent dans les mailles des sectes perdent leur liberté, leur libre-arbitre, leurs repères et ont les plus grandes difficultés pour en sortir. Les sectes se font passer, la plupart du temps, pour des religions. Or je veux vous faire remarquer qu’une des grandes différences existant entre les sectes et les religions, c’est que d’une religion on sort quand on veut, en tout cas on dispose de sa liberté d’aller et venir, de vivre en société et en famille, alors que dans les sectes, ce n’est pas possible.

NP : Quels sont les moyens actuels pour enrayer cela en France ?

RS : Depuis onze ans le Parlement français et l’Assemblée nationale notamment ont été très présents dans la lutte contre les sectes. Nous avons mené à bien trois commissions d’enquête. La première en 1995 faisait l’état des lieux sur ce phénomène en France, la seconde en 1999 a travaillé sur les réseaux financiers des sectes et la troisième sur la situation des mineurs embrigadés dans des sectes. Nous avons voté une loi qui a renforcé le délit d’abus de faiblesse. D’autre part, j’avais déposé un amendement qui a été voté permettant aux associations reconnues d’utilité publique, et luttant contre les sectes, de se porter parties civiles en lieu et place des victimes. En effet, il y avait jusque-là fort peu de procès car les victimes étaient souvent trop affaiblies pour pouvoir oser traîner les sectes devant les tribunaux. Ces progrès sont importants. Non seulement ils constituent des armes nouvelles pour lutter contre les sectes, mais en plus il donnent un signal fort aux sectes pour leur indiquer que la France est un pays qui est clairement hostile aux sectes.

NP : Les mineurs semblent être des cibles potentielles, comment peut-on protéger ces proies faciles ?

RS : Ce sont des proies faciles car elles sont entraînées dans les sectes par leurs parents. Les enfants n’ont pas la possibilité de dire non, car il faut dire non aux sectes mais aussi à ses parents, ce qui est impossible. Certains enfants naissent dans les sectes et ne connaissent rien de la société. C’est inadmissible, car on vole à ces jeunes leur enfance. Il faut voir les dégâts que cela provoque chez ces enfants, et même plus tard, quand ils sont devenus adultes et qu’ils ont réussi à s’en sortir. Des mesures de protection doivent donc être prises. Il faut limiter au maximum l’enseignement à domicile pour que l’éducation des enfants puisse être suivie par les pouvoirs publics. Il est indispensable aussi de renforcer les contrôles sanitaires, car nombre d’enfants ne reçoivent même pas les soins indispensables en cas de pathologie. Nous proposons également que les grands-parents puissent intervenir pour signaler des anomalies qu’ils pourraient constater dans l’éducation de leurs petits-enfants et qui pourraient laisser penser qu’il y a une dérive sectaire. Cette solidarité des générations me semble une très bonne idée.

NP : Plus localement, pensez-vous que Nice et les Alpes-Maritimes soient un terroir pour les mouvances sectaires ?

RS : Hélas, le niveau de vie, l’anonymat des grandes villes favorisent l’implantation des sectes. La région Provence-Alpes-Côte-d’Azur est ainsi classée en troisième position au plan national pour le nombre de sectes recensées, après les régions Ile-de-France et Rhône-Alpes. Et malheureusement, dans notre région, les Alpes-Maritimes ne sont pas en reste.

NP : Que pensez-vous de la scientologie ?

RS : C’est une secte qui a pour vocation de gagner de l’argent, beaucoup d’argent. Ses dirigeants ne s’en défendent même pas. Le problème, c’est que cette secte est admise aux Etats-Unis et dispose de propagandistes zélés comme Tom Cruise ou John Travolta, ce qui tend à donner une image "show biz" valorisante. Mais l’envers du décor est très différent. Pour avoir auditionné d’anciens adeptes, je puis dire que leur témoignage était très émouvant et soulignait un parcours douloureux. Cette secte a fait beaucoup de prosélytisme dans notre département il y a quelques années.

NP : Cette "église" possède des locaux importants à Nice et proche de votre permanence. Quel est votre sentiment à ce sujet ?

RS : La scientologie essaie de se banaliser, de s’inscrire dans le paysage. Mais je conseille à ceux qui passent devant leur devanture de ne pas s’y arrêter car leur méthodes sont à même de piéger les caractères les plus forts. Au départ les sectes attirent leurs proies en tentant de les séduire. Et puis dès lors que vous faites le premier pas, alors l’emprise s’étend jusqu’à ce que vous ne puissiez plus réagir. Après quoi vous ne vous appartenez plus, vous appartenez à la secte.

NP : Enfin, quelles seraient les mesures que vous prendriez si vous étiez à la tête de l’Etat ?

RS : Ces mesures, nous les avons proposées pour beaucoup depuis onze ans à l’Assemblée nationale. L’Etat peut puiser dans cette réserve car chacune d’entre elles me paraît utile pour lutter contre les sectes. Celles que nous venons de faire pour la protection des mineurs sont des mesures de bon sens. Mais ce que je demande avant tout, c’est la vigilance des services de l’Etat. Nous les avons mis en garde régulièrement, mais nous avons l’impression que la machine de l’Etat est lourde, pour ne pas dire sourde. Je n’accuserai pas l’Etat de complaisance, bien qu’il y ait eu des tentatives d’infiltration de la part des sectes. Mais parfois, les services publics manquent de la formation nécessaire pour pouvoir débusquer et neutraliser les sectes. Eh bien, il faut que ça change !


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