Saint Badinter ?

par Philippe Bilger
mardi 8 janvier 2008

Je sais, Robert Badinter, ancien Garde des Sceaux, sénateur socialiste, maître d’oeuvre, sous l’égide de François Mitterrand, de l’abolition de la peine de mort, ami fidèle et silencieux de l’ancien président de la République, juriste et partisan à la fois, est devenu une icône qu’on n’a pas le droit de toucher, fût-ce avec la plus légère critique. Pourtant il parle, il écrit, il intervient, il loue, il dénonce, il condamne, il s’implique. Pourtant, il n’a pas toujours été exempt de reproches dans son action ministérielle. Homme politique, il a fait des choix, les uns bons, les autres mauvais. De sa bouche ne sont pas sorties que des paroles d’évangile. Mais il demeure paré d’une sorte d’impartialité absolue, comme un Sage qu’on ne devrait écouter que pétrifié de respect. Militant, il bénéficie du crédit qu’on attache à qui ne l’est pas. Intellectuel, il jouit de la considération qu’on offre à l’engagement. Jouant sur les deux registres, il campe sur une position inexpugnable. Confortable.

Je regrette mais, pour moi, il n’est pas saint Badinter.
Lorsque, sur le site du Nouvel Observateur, il revient à la charge et qualifie de "dérive dangereuse" la rétention de sûreté envisagée pour les criminels sexuels qui seront déclarés trop dangereux pour une vie libre, je suis moins transi d’admiration pour cet humanisme qui ne se préoccupe que de l’infime minorité probablement dévastatrice que choqué par le fait qu’à aucun moment, les risques ne sont mesurés pour la sauvegarde d’une majorité qui n’a que le tort de n’avoir pas encore été offensée. Donc, nous dit Robert Badinter, nous serions dans le virtuel et il n’y a pas de quoi s’émouvoir.
Avec toute la modestie qui sied, j’ose répliquer. Il y a des situations heureusement rares où la certitude du pire est assurée et je ne vois pas au nom de quoi un Etat pourrait ne pas prendre en compte une telle désastreuse prévisibilité. Il ne suffit pas de souligner, comme le sénateur Badinter, qu’après l’expiration de la peine, il y a le suivi socio-judiciaire avec injonction de soins, la surveillance judiciaire, l’inscription au casier avec obligation de se présenter à la police pour les pédophiles dangereux. A supposer que ces dispositifs puissent être mis en oeuvre avec une totale efficacité, je ne doute pas une seconde de leur qualité intrinsèque. Mais la rétention de sûreté va se rapporter aux quelques cas, aux rares destinées, coupables sûrement et victimes aussi d’elles-mêmes, qui se glisseraient entre les mailles de ce filet serré pour s’abandonner aux démons intimes dont elles souffrent, qui les torturent et leur font tuer autrui. Aucune structure, aussi efficiente soit-elle, n’est assez contraignante pour peser, sans cesse, de tout son poids de coercition sur un être pour l’empêcher de perpétrer l’intolérable, quand au tréfonds de lui-même tout l’y pousse.

Le problème n’est donc pas dans le principe de la rétention de sûreté ni même dans sa limitation, puisque celle-ci est évidente, les psychiatres évoquant seulement une dizaine de condamnés susceptibles de n’être pas remis en liberté. Le problème réside dans la commission qui sera amenée à statuer. Au risque de surprendre, il conviendrait de ne pas la composer que de psychologues ou de psychiatres. Outre les représentants judiciaires habituels, il serait bénéfique d’y placer des citoyens. Des décisions aussi lourdes de conséquences ne pourront pas se passer, pour être rendues, d’un indéniable pluralisme, qui leur donnerait force et légitimité. Elles seront d’autant plus incontestables qu’un certain nombre d’esprits de toutes tendances les auront édictées.
Cette rétention de sûreté devra se concilier avec une conception classique de l’Etat de droit qui exclut la continuation d’un enfermement, en quelque sorte pour préserver l’avenir après avoir sanctionné le passé. Pour éviter ce hiatus entre la prison et une autre mise à l’écart, on aurait d’ailleurs pu réfléchir à la notion de peine indéterminée qui n’est pas absurde du tout pour certains comportements. Le gouvernement ne devra pas se laisser gagner, demain, à l’Assemblée nationale, par une mauvaise conscience qui pourrait l’inciter à ne pas accomplir ce qui est nécessaire. Et qui pourrait advenir à Fresnes, à la fin de l’année, selon le site 20 minutes.
Je pense que la dérive dangereuse ne serait pas celle dont nous menace Robert Badinter, dont l’humanisme s’inscrit clairement dans la philosophie que Lionel Jospin avait qualifiée de naïve en la regrettant trop tardivement. La dérive dangereuse serait de léser la société pour ne pas porter atteinte à la liberté de quelques-uns, fatalement voués au crime tant leur ressort intime et leurs pulsions les y conduiraient, comme malgré eux. Si refuser de telles perspectives, c’est faire "du populisme en action", comme, avec un peu de condescendance, Jean-Pierre Dubois, président de la Ligue des droits de l’homme, dans l’Express, nous en prévient aussi, vive, alors, cette volonté que je qualifierai de populaire et tant pis pour les délicats !
Alors, je maintiens. Pas saint Badinter. On a le droit de lui dire non.


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