Salaires indécents : quelques réflexions sur la notion de « mérite »

par Markoff
jeudi 28 janvier 2010

 Le cas Proglio, après bien d’autres et des pires, relance le débat sur les revenus extraordinaires et indécents des grands patrons et autres "grands serviteurs de l’Etat", comme aiment les appeler obséquieusement ceux qui leur servent la soupe.
 
Il faut bien parler de revenus car ces élites, outre leur salaire connu, hors norme, cumulent de nombreux avantages non négligeables (stocks-options, jetons de présence à divers Conseils d’Administration, primes, avantages en nature ( ! ), etc. Si bien que leur haut, très haut, salaire peut être multiplié par 2 ... ou 3... car, on ne sait pas tout.
Et quand ces messieurs quittent la haute fonction qu’ils occupent, on leur offre souvent une retraite dorée, aussi appelée "parachute" ou "chapeau". Quels que soient les résultats financiers d’ailleurs...
 
Question bête et méchante : comment peuvent-ils quitter leur haute fonction puisqu’ils étaient considérés comme uniques et irremplaçables ? Première arnaque que le système veut nous faire avaler, car si chacun est unique, personne n’est irremplaçable.
 
Nous sommes là au coeur du système capitaliste exporté par oncle Sam : n’importe qui peut accumuler, sans limites, des fortunes considérables et il ne suffit pas d’être d’une intelligence supérieure ( sinon, des centaines de millions d’individus pourraient prétendre à de telles fortunes ), mais il faut y ajouter une ambition démesurée, de la chance, de la ruse, des réseaux, pas trop de principes moraux et, bien sûr, ne le nions pas, du talent pour "les affaires".
En résumé, il faut être à la bonne place au bon moment et saisir l’opportunité.
 
Ensuite, il suffit qu’une entreprise, privée ou nationalisée, dégage des bénéfices confortables pour que celui qui la dirige se voir accorder par son C.A. des revenus de nabab.
 
Harpagon a fait beaucoup d’émules dans nos sociétés. Nombreux sont ceux qui sont scandalisés par ces excès, à juste titre.
 
J’aimerais, à ce propos, poser quelques questions simples à l’un de ces vautours ( mais je doute qu’un seul soit capable d’y répondre ...)
 
Par exemple  : quand on a plus que largement de quoi vivre, tout le confort imaginable, tous les biens désirés et même l’avenir de ses enfants assurés pour trois générations, pourquoi vouloir encore dix fois plus, cent fois plus, mille fois plus ?
( cette cupidité s’apparente, pour moi, à une psychopathie assez grave, proche de celle des dictateurs )
 
Par exemple  : estimez-vous que vous méritez autant  ?
J’imagine une certaine gène à répondre à cette question.... Si la réponse est "oui", je pense à une autre psychopathie, une hypertrophie de l’ego, proche de la paranoïa.
Mais la réponse la plus probable serait : " ces millions, on me les offre, donc je les prends. Et vous, vous les refuseriez ? " Et cette réponse, d’une certaine logique, renvoie au système économique qui permet cela, en dehors de toute norme et de toute mesure, ne parlons même pas de "morale", un mot qui n’existera bientôt plus dans la langue française.
 
Une notion galvaudée
 
Attardons-nous un peu sur cette notion de "mérite", un mot usité de façon tellement abusive qu’il en a perdu tout son sens et tout son bon sens.
 
Lorsque le sujet des grandes fortunes est abordé dans l’opinion publique, que l’on demande son avis au peuple "d’en bas", , il est navrant de constater qu’une majorité admet, et même justifie les revenus monstrueux avec des arguments simplistes tels que : " c’est qu’ils doivent le mériter ", ou encore " moi, ça ne me gène pas ". Et s’il s’agit des idoles du show-bizz, artistes ou sportifs, le bon peuple masochiste est encore plus clément.... Touche pas à mon idole !
 
Mais celui qui trime huit heures par jour sur une chaîne d’assemblage, n’a-t-il pas autant, sinon plus, de mérite ? Ca veut dire quoi, aujourd’hui, le "mérite" ?
 
Il y a un principe de base qu’il faudrait adopter et intégrer, c’est que quel que soit son mérite personnel, AUCUN homme sur terre ne mérite de gagner 1000 fois plus qu’un autre, ni même 100 fois plus. Sans vouloir mettre tout le monde sur un pied d’égalité, l’échelle du mérite rapportée aux revenus ne devrait pas dépasser 1 à 12. Ce qui est déjà pas mal. ( le NPA, quant à lui, propose 1 à 5 ).
 
 L’alibi du mérite ou de la responsabilité, c’est de la poudre aux yeux pour faire admettre l’inadmissible. On veut nous faire croire qu’il y a des hommes tellement supérieurs aux autres qu’ils sont uniques et irremplaçables aux postes qu’ils occupent. C’est FAUX évidemment !
Prenons le cas d’un "grand capitaine d’industrie" comme on aime les appeler. Il est entouré d’un staff de collaborateurs et de conseillers qui font tourner la boutique et qui sont capables de prendre les bonnes décisions en l’absence du "grand patron".
D’autre part, la réussite d’une grande entreprise ( comme d’une petite ), dépend beaucoup de facteurs externes, favorables ou défavorables, et dont la maîtrise échappe au pouvoir local. Ce sont les aléas de la mondialisation.
 
Et puis, ce patron si indispensable, si surévalué, devra bien laisser la place, un jour, à un successeur... toujours aussi unique et irremplaçable  ?
 
En réalité, le vice du système capitaliste, c’est qu’on rémunère des gens bien placés non en fonction d’un illusoire mérite extraordinaire, mais en fonction des résultats financiers, qu’il s’agisse d’une multinationale, d’une banque, d’un fonds de pension oui d’un club sportif.
Le mérite et la responsabilité, qu’on met en avant, ne sont que des alibis mensongers destinés à perpétuer un système inique.
 
Le chirurgien qui opère a une responsabilité personnelle plus grande que celle d’un grand patron puisqu’il est responsable d’une vie, celle de son patient.
 
Oui mais, nous dit-on, tel industriel donne du travail à des milliers d’ouvriers.... C’est vrai, mais sans ces ouvriers, il ne serait rien. Ce sont ces ouvriers qui lui permettent, d’ailleurs sans qu’on leur demande leur avis, d’amasser des fortunes indécentes.
On peut donc estimer que ces fortunes sont volées à ceux "d’en bas" qui y participent.
 
C’est Balzac qui disait : à la base de toute fortune, il y a un crime qu’on ignore.
 
On parle de " moraliser le capitalisme " ? Il en a bien besoin mais, pour ma part, je doute que le capitalisme soit moralisable...
 
Alors, une autre solution ?
 
 
 
 
 
 
 

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