Services publics, deux repères essentiels (1) pour une bonne gouvernance

par Laurent Simon
samedi 13 septembre 2014

Une bonne gouvernance et une bonne gestion des facteurs humains jouent beaucoup dans la réussite ou l'échec des entreprises. Mais les administrations et services publics tardent encore à les prendre en compte pleinement.

Les réformes de plus en plus urgentes en France vont devoir s'appuyer sur ces facteurs pour non seulement permettre un rebond salutaire de notre pays, en faisant enfin diminuer le chômage, mais aussi donner des conditions de travail globales beaucoup plus favorables aux employés et de meilleurs salaires à terme.

Deux critères, très simples dans leur principe, sont incontournables, ils sont une des clés d'une bien meilleure gouvernance des services publics, des administrations et de toute l'organisation territoriale, de la commune aux régions, au pays et à l'Europe.

 

Des questions d'extrême actualité en France

Au moins 3 domaines sont d'actualité en France (et en Europe) :

La question de la répartition des compétences et responsabilités est fondamentale, alors qu'actuellement les financements croisés, courants en France entre l'Etat, les régions, les départements les communes conduisent à des aberrations, et des gaspillages, d'autant plus incroyables que nous sommes en disette budgétaire.

Voir par exemple les deux musées construits récemment sur la Méditerranée, à Marseille l'un (Villa Méditerranée) financé par la Région, l'autre (MuCEM) à 65 % par l'État et à 35 % par les collectivités locales, le Département et la Région.

Avec un gaspillage fantastique : 184 millions d'euros pour le MuCEM et 70 millions pour la Villa Méditerranée) [1]

Mais ces questions de responsabilités ont un prolongement au niveau du fonctionnement de ces différentes collectivtés territoriales. De plus, les questions posées ci-dessus ne sont-elles pas plus générales ?

N'est-il pas nécessaire de se les poser au sujet des entreprises, afin d'améliorer leur fonctionnement, alors que la France souffre de compétitivité très dégradée depuis plusieurs années, et que les marges des entreprises sont historiquement basses en France ?

Atteindre des performances bien supérieures

Cet article vise à montrer l'importance décisive de deux critères, et de leur combinaison, pour obtenir des organisations à hautes performances. Pour permettre d'obtenir un fonctionnement beaucoup plus proche des start-ups et des équipes qui obtiennent des performances exceptionnelles.

Comme par exemple l'exploit inattendu cette semaine des Bleus au Mondial de basket contre l'équipe espagnole, pourtant donnée largment favorite (et deuxième meilleure du monde, après celle bien sûr des Etats Unis), en quart de finale, sur leur terrain et 'malgré l'absence de leur superstar Tony Parker, et même de Noah, puis de De Colo et de Mahinmi [2]. Les espagnols avaient d'ailleurs corrigé ces mêmes Français une semaine plus tôt en phase de poules (88-64) [3]

Ou le parcours exceptionnel de certains équipes de football amateur, dans les compétitions françaises, qui parviennent à gagner contre des équipes de professionnels constituées de joueurs d'un niveau a priori très supérieur au leur.

Exemples de dysfonctionnements dans les services administratifs

Certaines adminstrations et services publics français ont considérablement amélioré leur fonctionnement depuis quelques années, ou quelques décennies.

Mais les administrations souffrent généralement d'une mauvaise image [4], au sujet de leur fonctionnement, et de leur capacité à rendre service à leurs 'usagers'. De quoi ceux-ce se plaignent ils alors ? Les cas les plus souvent cités sont par exemple :

Il arrive aussi que "qui fait quoi" ne soit pas très clair dans l'organisation générale des services, et que le domaine de compétences de chacun fasse l'objet de longues discussions, voire de conflit. Ou que des personnes soient nommées à des postes où elles ne sont pas compétentes, ou non suffisamment motivées.

Ce qui n'est évidemment pas favorable à l'obtention de travail de qualité, et de résultats conformes aux attentes. Ni bien sûr de satisfaction des personnels, ni de motication au travail, sans compter les impacts négatifs sur l'ambiance de travail, pas non plus enthousiasmante.

Que manque-t-il donc aux adminstrations et services publics défaillants ?

Ces comportements et dysfonctionnements sont malheureusement encore trop fréquents, mais de quoi sont-ils le signe ?

De nombreux facteurs peuvent jouer, mais il en est un essentiel : la responsabilisation individuelle et claire de chacun, dont l'absence peut à elle seule expliquer une bonne partie des cas cités ci-dessus :

1er critère : une responsabilité individuelle incontournable...

A contrario, dans les entreprises privées, dans la majeure partie des cas, les employés ont des objectifs précis à atteindre dans l'année, et leur rémunération (primes, augmentations de salaire) et leur avancement dépendent de l'atteinte, ou non, de ces objectifs. Qui sont souvent très précis, très quantitatifs, les moins contestables possible.

Evidemment, il existe des services, souvent très adminstratifs, et surtout dans les grandes entreprises, où ceci n'est pas vérifié, et l'on retrouve alors le type de dysfonctionnement typique des adminstrations qui n'ont pas encore évolué comme il faudrait.

... qui est de plus en plus pratiquée dans les administrations...

Cette responsabilité individuelle est absolument nécessaire. Sans elle, le pire des fonctionnements est possible. Et les 'anciennes' administrations qui ont pris des mesures dans ce sens ont constaté des améliorations souvent spectaculaires.

Les objectifs de chacun sont alors liés à la réalisation des objectifs de l'adminstration, ou du servcie public [5]

L'OCDE a fait en 2005 un rapport sur "La responsabilité liée aux performances dans l'administration" :

"Il y a 20 ans, presque tous les fonctionnaires rattachés à l'adminiistration centrale des ^pays de l'OCDE étaient rémunérés en fonction d'une échelle de salaires fondée sur l'ancienneté. Aujourd'hui un grand nombre de fonctionnaires des pays de l'OCDE sont concernés par des dispositifs de rémunération liés à la performance".

... mais qui peut avoir des effets pervers

Mais il existe aussi des effets pervers, notamment en période de crise.

Il arrive que le responsable hiérrachique demande des objectifs qui ne sont atteignables, sauf par chance, et que les employés subissent alors une pression très importante.

Dans les cas les moins graves, c'est ce qu'on pourrait appeler le "management par le stress", mais c'est quelque fois un "management par la peur", voire par la terreur : 'si tu n'es pas content, la porte est grande ouverte'.

Est-il utile de dire que ce n'est pas idéal ? Et que d'ailleurs ce n'est pas nécessairement très efficace ? Pour en revenir au sport, un des fils de Saddam Hussein, Oudaï, passioné de football, s'occupait de l'équipe nationale d'Irak. Il croyait intéressant de menacer ses joueurs des pires sanctions ou tortures s'ils n'obtenaient pas les résultats demandés... [6]

2ème critère essentiel : l'autonomie

N'y aurait-il donc pas un autre critère important à prendre en compte ?

Si la recherche de la responsabilité individuelle peut mener à des effets pervers, c'est que la personne à qui l'on demande des objectifs ne dispose pas vraiment des meilleures conditions pour les atteindre.

Il est quelquefois demandé des objectifs inatteignables, sauf si des mesures complémentaires étaient prises par ailleurs... mais ces mesures ne sont pas de la responsabilité de la personne, ni dans son domaine d'influence.

La personne fait alors face à une situation de type schizophrènique. Comment l'éviter ? En créant les conditions pour que la personne puisse modifier cette situation !

Ceci peut être obtenu avec une politique de "diffusion du pouvoir", d'autonomie : la personne n'est plus cantonnée à un domaine sur lequel elle ne peut agir, mais elle dispose de marges de manoeuvre significatives, qui permettent de faire évoluer le contexte, de le rendre favorable à l'atteinte de ces objectifs.

Une marge de manoeuvre qui permet des performances exceptionnelles

Ce critère peut aussi être appelé "autonomie" de la personne. Sans un minimum d'autonomie, l'employé ne pourra pas obtenir les mêmes résultats. Rappelons d'ailleurs qu'une des clés du management consiste à donner des objectifs à la personne, mais non de lui dire comment elle devra les atteindre. A cette consition, elle s'investira vraiment, et pourra obtenir des résultats Sinon, elle se sentira instrumentalisée, comme un robot, et elle risque même de saboter le travail.

La notion de marge de maoeuvre personnelle est donc essentielle. A la fois pour les résultats, et pour la satisfaction personnelle, sa gratification, lorsqu'elle réalise son travail et qu'elle atteint ses objectifs.

Si donc les employés d'une entreprise ou d'une administration disposent de cette marge de manoeuvre, pour réaliser des objectifs clairs, réalistes, atteignables, alors l'expérience montre que les résultats sont au rendez-vous, et ils peuvent même être exceptionnels.

C'est la cas dans les start-ups, ou dans les équipes haute perfoirmance.

Cela se traduit d'ailleurs, c'est inévitable, par un authentique esprit d'équipe dans toute l'entreprise, une excellente ambiance, une très grande confiance mutuelle, et les résultats, les rémunérations et les promotions sont excellents.

Pour ceux qui travaillent dans telles conditions, c'est extraordinaire, et, pour l'avoir vécu dans différents contextes, nous souhaitons vivement à chacun de le vivre dans son organisation.

Un terme anglais est utilisé pour caractériser cette situation : "l'empowerment".

"De nombreuses confusions existent à propos de l'empowerment, notamment parce que sa définition et la représentation que s'en font les entreprises ne sont pas claires.

En France, par exemple, les entreprises, pour ne pas heurter leurs salariés, ont choisi de le traduire par "responsabilisation" ou "implication". Mais ces traductions ne rendent pas compte en totalité de ce que représente ce concept, qui intègre également les notions d'autonomie, d'autorité et de "pouvoir"."[BYHA96] [7]

Il est cependant nécessaire de réunir plusieurs conditions pour que cela soit possible. Conditions qui permettent un management avancé, et en particulier l'émergence d'une "organisation apprenante", 'et que nous verrons dans un prochain article.

Résumons sous forme d'un graphique, en croisant ces deux critères, dans un tableau 2 x 2 :

Nous avons donc précisé trois cases de ce graphique :

  • (anciennes) administrations, sans responsabilisation individuelle ni diffusion du pouvoir. C'est le perdant / perdant : pas de motivation sur des objectifs individualisés (et atteignables), pas de gratification des personnes responsables, donc démotivation des plus motivés, pas de satisfaction des usagers, résultats insuffisants ou désastreux de l'organisation
  • entreprises habituelles : responsabilité individuelle, incontournable, mais pas (suffisamment) d'autonomie, de marges de manoeuvre pour chacun, donc frustration, résultats.limités
  • jeunes entreprises innovantes et équipes haute performance : c'est la gagnant / gagnant, si rare en France, autour d'un projet d'entreprise motivant, qui crée une adhésion et une confiance mutuelle, une motivation forte, une excellente ambiance, des résultats gratifiants et une grande satisfaction de tous.

Et dans la 4e case de ce graphique ?

Mais que se passe-t-il alors pour la 4e case : diffusion du pouvoir mais pas de responsabilisation individuelle ?

La première case (ni l'un, ni l'autre des critères) n'est vraiment pas satisfaisante, elle ne permet ni les résultats pour l'organisation, ni la gratification du personnel. Mais là c'est carrément l'horreur !

C'est le non-management, l'anarchie : chacun fait ce qu'il veut, sans relation avec les autres ni lien avec les objectifs poursuivis par l'organisation, puisqu'il n'y a pas de sanction, ni positive (prime à objectif atteint ou en cas de dépassement de l'objectif, augmentation, promotion), ni négative (avertissement, blocage du salaire, non renouvellement de contrat ou licenciement).

Rien n'étant géré, les résultats sont désastreux, l'ambiance est détestable, ceux qui se donnent beaucoup de mal se découragent finalement ; et comme les usagers sont mécontents, ils essaient de fuir, qaund c'est possible, râlent, manifestent une colère forte, avec des conséquences finalement négatives pour les employés, et l'organisation risque fort de dépérir.

Heureusement, nous n'avons pas travaillé dans un tel contexte, mais nous avons constaté dans plusieurs organisations publiques (enseignement supérieur, entreprise publique ou nationalisée) que les effets sont ravageurs, à la fois en termes de résultats et de satisfaction du personnel.

Cela aboutit d'ailleurs souvent à des conflits majeurs, y compris à du harcèlement moral (et même sexuel), qui n'est même pas sanctionné alors qmême que tout le monde le sait... Et dans tous les cas l'ambiance est très défavorable.

La suite dans notre prochain article !

Nous donnerons un exemple vécu dans le prochain article, qui permettra également de préciser les conséquences de tout ceci pour les cas de grande actualité cités en introduction.

Car s'il est essentiel de savoir qui fait quoi dans une organisation, de définir des règles et de créer les conditions pour qu'une autonomie des différents acteurs soit possible, il est également fondamental que ces deux critères soient vérfiés entre les (nombreux) niveaux administratifs et territoriaux !

Ainsi que pour l'articulation entre l'Europe et les pays, et bien sûr entre les membres du gouvernement... Alors que des dysfonctionnements majeurs sont constatés.


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