Sexe, la révolution française

par Babar
jeudi 6 mai 2010

« 259 filles pénétrées en quatre ans, la pénétration c’était la victoire pour moi », dit un homme de 31 ans. « J’ai rencontré un homme sur Meetic. A 77 ans, et sans Viagra il était très viril  », raconte cette femme de 82 ans.

De la libération de la femme à la recherche de l’âme soeur sur Internet, de la première fois à la sexualité des personnes âgées, du Pacs à la reconnaissance de l’homosexualité, cette série montre, sans grands discours, mais à l’aide de témoignages authentiques, comment l’évolution des moeurs « a bousculé la société et l’a profondément remodelée. »
 
Sexe, Amours et Société est un documentaire en trois volets (de 52 minutes chacun) diffusé les 6, 13 et 20 mai sur France 2 à 22h50. Ecrit par Rachel Kahn, que nous interviewons ci-dessous, et réalisé par Sylvain Bergère, ce triptyque raconte la société française de ces dernières décennies à travers ce qu’il y a de plus intime en nous, la sexualité.

Le 6 mai, Liberté Egalité Sexualité retrace les différents combats (notamment celui des femmes) engagés par les Français pour conquérir leur droit à une sexualité majeure. Le 13 mai, Chacun cherche son sexe aborde la place que le sexe occupe dans notre vie. Le 20 mai enfin, Sexe.com traite des changements entraînés par l’usage d’Internet. Avec le web, ce sont toutes les frontières géographiques, morales et générationnelles qui s’estompent.

Une quarantaine de Français de 17 à 82 ans, des deux sexes et d’origines diverses, parlent face à la caméra. Ils n’ont pas peur des mots. Rachel Kahn et le réalisateur Sylvain Bergère ont su les mettre en confiance pour qu’ils dévoilent leur intimité. C’est parfois cru et brut de décoffrage (voir les citations ci-dessus)

Mais aussi : "On était soumises à la loi du corps, de la tradition et de la religion », explique cette femme de 82 ans, ou encore « Je me suis marié pour mes parents, tout cela s’est terminé par un divorce quelques mois plus tard. J’ai voulu mourir parce que je n’avais pas la liberté d’affirmer mon identité », confie un homme de 56 ans.
 
Ces paroles, c’est l’exact inverse des déballages vulgaires et obscène, ingrédients habituels de la télé-réalité. Ce qu’ils disent nous touche, mais ne nous transforme pas en voyeurs. Leurs propos font écho en nous. A travers ces générations nous voyons défiler l’histoire et l’évolution de notre société.

Ils font font sens car ils sont contextualisés par des experts comme la gynécologue Joëlle Brunerie-Kauffmann, le romancier et essayiste Pascal Bruckner, le sexologue Gonzague de Laroque Latour, le journaliste et écrivain Didier Lestrade ou encore l’écrivain et psychanalyste Michel Schneider pour ne citer que les plus pertinents.

L’ensemble est rythmé par des documents d’archives audio-visuelles (Coming out, un hilarant sketch des Deschiens, par exemple), de publicités, d’extraits de films (La saison de plaisirs, de Mocky, Erotissimo, de Gérard Pirès ou encore Les Galettes de Pont-Aven, avec l’inénarrable Jean-Pierre Marielle).
 
Rien n’est de trop dans ce documentaire où les propos des uns et des autres ne sont pas brouillés par un des commentaires intempestifs.

Il y a cinquante ans les médecins qui pratiquaient l’avortement étaient radiés de l’ordre. Les femmes souffraient, certaines mouraient en couche. Elles dépendaient de leur maris. Certains couples n’éprouvaient plus de plaisir ensemble par peur d’avoir des enfants. La sexualité était l’affaire des hommes. Sinon elle était cachée voire réprimée. On mesure ici combien la France a évolué, s’est désaliénée de cette superstition religieuse qui pourtant relève la tête, sous d’autres formes, aujourd’hui. 
 
Il n’est pas dit cependant que malgré les avancées communautaristes, les Français soient prêts à renoncer à leur liberté de baiser comme ils l’entendent. Sexe, amours et société leur rappelle ce qu’ils ont gagné.
 
Rachel Kahn, qui a écrit ce documentaire, répond aux questions d’Olivier Bailly pour Les RDV de l’Agora.

Olivier Bailly : Comment est né ce triptyque ?

Rachel Kahn : D’une réflexion toute simple : depuis soixante ans notre sexualité, notre vie intime ont beaucoup transformé la société. Beaucoup de lois sont venues se mettre en concordance avec notre manière de vivre le couple, comme la loi sur l’avortement. Notre vie intime a bousculé la société et l’a obligée à se redéfinir souvent.

OB : Comment une société peut-elle être façonnée par la sexualité qui est quelque chose d’éminemment intime ?
RK : Je pense que les femmes ont été pour beaucoup dans cette évolution. Avant le modèle unique, patriarcal, hétérosexuel, a prévalu pendant des siècles et des siècles. La femme n’était pas considérée comme un être sexué, c’était une pondeuse. Un jour, grâce à la pilule - c’est ce qui a fondamentalement changé tout ça - elle est devenue un être sexuellement majeur. Elle est venue bousculer les prérogatives de l’homme et a entraîné avec elle la société et les autres minorités.
 
Du coup la sexualité a pris une importance considérable dans notre vie. Et puis notre civilisation met en avant l’épanouissement personnel. On nous le dit assez, trop peut-être, que cet épanouissement personnel passe par un épanouissement sexuel. A partir de là on s’est mis à rechercher une sexualité épanouie, comme on dit, et recherchant ça on a revendiqué le fait de vivre comme on voulait cette sexualité, cette vie à deux, à trois, qu’on soit hétéro, homo, bi...
 
Ensuite les lois sont venues se mettre en concordance avec les moeurs : les lois sur l’avortement, sur les divorces qui ont été facilités. Ça n’empêche pas les souffrances. Qu’il s’agisse de relation humaine, d’amour, de sexe, les lois facilitent, mais ne gomment pas les souffrances et ce qui va avec.

OB : Dans la première partie Joëlle Brunerie-Kauffmann s’interroge : « est-ce la science, le militantisme des femmes, les lois... les choses se sont entraînées les unes après les autres. »

RK : Sans la pilule et sans la possibilité donnée aux femmes par la contraception de maîtriser leur fécondité on n’en serait pas là. Ce qui leur a permis, maîtrisant leur fécondité, de devenir des acteurs de la vie sociale, de choisir le moment où elles devenaient mères et donc de travailler comme elles l’entendaient, d’être autonomes financièrement. Ce qui a tout changé.
 
Les femmes de 80 ans qui témoignent dans le documentaire disent qu’elles étaient obligées de faire une pipe à leur mari pour pouvoir avoir l’argent pour les enfants à la rentrée des classes, ça montre le moyen-âge d’où l’on vient. La pilule leur a permis de devenir autonomes financièrement. Elles n’étaient que des pondeuses, elles sont devenues des sujets à part entière.

OB : La quarantaine de témoins sont incroyables. Vous êtes resté longtemps avec chacun d’entre eux, vous les avez mis en confiance ?

RK : Nous sommes restés très longtemps avec eux. La forme du documentaire vient aussi du fait qu’on a voulu les mettre dans une espèce de cocon. On savait qu’on allait leur demander de dévoiler des choses qu’on ne dévoile pas. Il ne fallait pas être voyeur. Le fait de les faire venir à nous, dans un studio, de les maquiller, bien sûr de parler avec eux dès qu’on les a retenus (on est resté en contact avec eux jusqu’au tournage), cela a beaucoup joué. Le fait aussi qu’il s’agisse d’un documentaire pour France 2, qu’il y avait un contrat de confiance implicite au départ, ça les a libérés.

OB : Vous venez d’employer le mot voyeur. Quelle différence faites-vous entre votre documentaire et une émission de télé-réalité ?

RK : La différence c’est que c’est très articulé avec un propos sociétal. On voit bien comment chaque avancée, chaque combat est articulé avec une transformation de la société, que ce n’est pas simplement une succession de témoignages, que tout cela est mis en perspective par les experts ou par les témoins eux-mêmes, implicitement, pour montrer comment tout ça a fait bouger notre société. Ce n’est donc pas une succession de témoignages voyeuristes.

OB : La question de la religion traverse ce documentaire. Vous présentez une archive qui date des années 60 dans laquelle un homme marié, de religion catholique, explique que la contraception « pose un problème, mais que jusqu’à présent l’ignorance posait aussi un problème ». En conscience il opte donc pour la contraception. Plus loin, comme en écho, Joelle Brunerie-Kauffmann évoque le communautarisme qui pointe aujourd’hui et souligne combien ça pose un vrai problème. Pourquoi ne pas avoir développé davantage la question de la religion ?
développée ?
RK : Il y a évidemment une libération sexuelle, c’est une banalité de le dire, mais il y a aussi des communautés entières qui au contraire se referment et régressent (au vu de nos propres critères de libération, d’émancipation, d’épanouissement).
 
On aurait voulu aller un peu plus loin avec des membres de ces communautés, mais on a eu beaucoup de mal. Dès qu’ils nous donnaient leur accord, y compris pour revendiquer une sexualité à l’ombre de leurs croyances, de leurs religions, de leurs coutumes - enfin il n’était pas question de leur dicter ce qu’il fallait dire -, ils finissaient pas reculer.
 
La religion est présente, on voit bien à quel point cela s’articule, ne serait-ce qu’à travers le témoignage du monsieur qui est homosexuel et qui a quand même été exorcisé il y a vingt ou trente ans à peine, au sein d’une communauté religieuse chrétienne et qu’on a voulu lui extraire le diable du corps et de l’esprit...

OB : Les femmes semblent s’en sortir mieux que les hommes

RK : Oui, parce qu’elles avaient plus à conquérir. Ce combat-là a d’abord été celui des femmes. Les hommes ont dû se caler plus ou moins. On voit bien qu’il y a quelque chose d’inabouti dans leur nouvelle manière de vivre ces couples émancipés.

OB : Dans la parole elles semblent également plus libres

RK : Regardez autour de vous et vous verrez que les femmes parlent plus facilement... Les femmes, comme dit Joëlle Brunerie-Kauffmann que je trouve absolument magnifique dans ce documentaires, les femmes ont pris la parole. Avant elles ne parlaient pas. On leur a donné la parole, elles s’en servent, c’est très bien !

OB : Vous terminez sur un sujet tabou qui serait en train de tomber, la sexualité des personnes âgées...

RK : C’est la nouvelle minorité sexuelle qui émerge. Et Internet y aide énormément parce qu’il abolit les frontières morales, déjà, mais aussi géographiques. C’est plus facile d’aller chercher quelqu’un sur le Net que dans son village ? sous les yeux de sa famille, de ses petits-enfants, etc. Ils ont 70 ou 80 ans, et ce n’est pas isolé, lorsqu’on menait l’enquête on leur faisait remplir un questionnaire, ils y vont tous. C’est un phénomène d’entraînement : les autres y vont, pourquoi moi je n’irais pas ?
 
Internet contribue vraiment à désinhiber cette sexualité-là. Quand on leur demande comment ces personnes sont arrivées sur le net, il y a toujours un jeune qui les a initiées, un petit-fils ou une petite-fille, mais ensuite ils maîtrisent et ils y vont.
 
C’est la chose la mieux partagée, Internet. Je ne pensais pas que c’en était à ce point-là. Comme le dit l’un des garçons dans le documentaire : quand on rencontre une fille dans la rue on lui demande son adresse mail...

OB : L’amour est un peu le parent pauvre de cette série, au détriment de la sexualité. L’amour, ça ne serait pas ça le sujet tabou aujourd’hui ?

RK : Il y a au moins deux choses que je retire de cette série : le fait qu’Internet transforme complètement notre manière de vivre la rencontre, de vivre l’autre et même d’aimer, parce que les pratiques qu’on n’aurait jamais osé imaginer, même dans nos fantasmes les plus fous, Internet nous autorise à les exposer et à les pratiquer.
 
L’autre chose c’est que finalement, que nous disent-ils tous, ces témoins, à un moment ou à un autre ? Bien sûr ils sont très sexués, ils consomment du sexe, etc., mais quand on les pousse dans leur retranchement, ce qu’on a fait à chaque fois, on s’aperçoit qu’ils recherchent l’amour. Ils recherchent la personne avec un P majuscule. Ça reste une constante.
 
La révolution amoureuse n’a jamais cessé. Elle est permanente. Faire l’amour avec quelqu’un qu’on aime sera toujours cent fois, mille fois mieux que faire l’amour pour faire l’amour. C’est ce qu’ils nous disent tous.
 

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