Si c’était vrai, nous serions tous devenus sourds
par Georges Yang
mercredi 10 février 2010
J’ai tellement rêvé d’elle que les draps s’en souviennent, nous dit le chanteur, mais peut-être pense-t-il à la pollution nocturne. La masturbation est un plaisir que l’on qualifie de solitaire. C’est faire abstraction des débiles profonds masturbateurs compulsifs pour qui le geste répétitif n’est pas dirigé par une recherche élaborée de plaisir mais par une pulsion frénétique et répétitive, des exhibitionnistes qui éprouvent un plaisir extrême à la confusion de la femme ou de l’enfant devant lesquels ils s’exécutent ainsi que des acteurs de cinéma porno ou de théâtre érotique qui pratiquent leur art dit solitaire en groupe à des fins rémunératrices.
Mais il vrai qu’en dehors de ces cas marginaux, l’acte d’autosatisfaction sexuelle se pratique le plus souvent seul, dans un endroit isolé et loin des regards indiscrets. La position couchée un livre érotique dans la main libre ou celle-ci sur la télécommande d’un magnétoscope ou d’un lecteur de DVD est la plus fréquente. Mais ceux qui répugnent à tacher leur literie préfère éjaculer dans le lavabo et ainsi s’éviter une lessive superflue des draps ; une autre variante consistant à officier assis sur la cuvette des toilettes, le papier hygiénique à portée de la main. Par contre, le faire directement dans sa poubelle en dit long sur sa perception de la sexualité et du plaisir. Par contre, sur les plantes vertes, peut être considéré comme une forme d’expression religieuse proche de la nature.
Hugo nous déclame après le meurtre d’Abel : « l’œil était dans la tombe et regardait Caïn ». Si l’on en croit la Bible et les nombreuses références se rapportant à l’onanisme Dieu doit aussi regarder d’un sale œil celui qui s’astique. Car en dehors d’une allusion pouvant être doublement interprétée « tout les matins verse ta semence et le soir ne laisse reposer ta main », les textes sacrés n’incitent pas à la masturbation, bien au contraire. Le sexe est fait pour la reproduction dans le mariage et tout ce qui peut le détourner de ce but est obligatoirement condamnable.
Mais le sommet de la condamnation de la pratique arrive au milieu du 19ième siècle ou les religieux, assistés d’hygiénistes (lest traités de Clerc et Surbled sont des morceaux d’anthologie) qui leur donnent une caution se voulant scientifique, s’acharnent sur l’adolescent masturbateur et font tout pour corriger son vice. De nombreux traités de médecine et d’hygiène foisonnent de prescriptions et de recommandations pour empêcher les jeunes gens et les jeunes filles de se toucher de façon nocturne à l’abri des regards. D’abord, les directeurs de conscience, les confesseurs sont préparés à traquer le geste auguste du semeur dans ses moindres retranchements. Certains médecins proposeront même des méthodes de contention pour que les mains ne puissent avoir accès à l’objet du délit. Pire, on aura recours jusqu’à des opiacés et autres sédatifs pour décourager les plus enclins aux travaux manuels en horaire décalé.
Pourtant, en les premiers temps du christianisme, certains gnostiques proches de l’école de pensée de Barbélo et de Simon le Magicien, de Carpocrate ou de Basilide s’adonnaient à des masturbations collectives en un état de transe atteinte après la récitation itérative de Notre Père plusieurs centaines de fois jusqu’à tomber au sol. Quelquefois, la masturbation ne suffisant pas, ils s’accouplaient en groupe et pratiquaient l’avortement en cas de grossesse engendrées par ces proto partouzes. Certains consommaient d’ailleurs les fœtus accommodés dans du miel comme une forme de dernière Cène revisitée. (Lire sur ce thème l’excellent ouvrage de Jacques Lacarrière sur les Gnostiques). Atteindre la communion avec Dieu en se masturbant est une approche théologique originale nettement moins austère que celle prêchée par Saint Paul. Mais hélas, les gnostiques ne feront pas école, du moins resteront-ils marginaux au sein de la communauté chrétienne. C’est bien dommage, car cela aurait permis aux chrétiens de se « prendre enfin en main » sans attendre la providence divine ou l’âme sœur à épouser pour lui rester fidèle. Hélas, on ne retrouve pas ce genre de détail dans l’œuvre de Renan et encore moins dans l’encyclique humanae vitae. Cela dit, on ne peut reduire la pensee et l’enseignement gnostique a la masturbation, mais c’est un autre sujet d’article.
Dès le milieu du 19ième siècle, la traque à la masturbation deviendra l’une des préoccupations essentielles de l’enseignement catholique en France et ce jusqu’après le second conflit mondial. Il est d’ailleurs amusant de constater que Michel Sardou en ait fait le thème dans sa chanson, En ce temps là, le Surveillant Général :
« Les bras croisés sur la couverture de laine, des fois qu’on aurait des idées, pauvre taré »
Mais la femme n’est pas non plus épargnée, le 19ième siècle verra la prescription de la clitoridectomie comme traitement de la masturbation et de l’érotisme féminin. Et même la machine à coudre à pédale sera suspectée d’incitation à la masturbation du fait du frottement répété des cuisses lors du mouvement du pédalier.
Les catholiques ne sont pas les seuls à prôner l’abstinence du geste qui s’il ne sauve pas du moins soulage. A une époque où le Parti Communiste Chinois ne s’était pas encore converti à l’économie de marché, il faisait campagne lui aussi contre les pratiques onanistes, non pour des raisons morales, mais dans le but de maintenir le niveau de productivité des travailleurs et les facultés intellectuelles des étudiants en éveil. Ce qui tend à prouver que le marxisme-léninisme est bien une religion sans Dieu avec ses dogmes et ses tabous. Cela ne marchait pas véritablement avec la jeunesse, si l’on en croit un reportage d’Actuel des années 70, 80, qui décrit le sol des toilettes des hommes dans une université chinoise comme particulièrement glissant.
Le judaïsme a sa grande part de responsabilité dans la condamnation morale de la pratique solitaire, les chrétiens puis les musulmans en bons suiveurs ont pris le train en marche ; pas question de prier Allah, quand on s’est souillé le caleçon, il faut passer par la case ablutions, et ce serait encore pire péché de prier sans s’être purifié de sa semence que d’avoir laissé passer une prière, que l’on peut toujours rattraper. Car sans être adepte de Sartre, un bon musulman ne peut prier les « mains sales ».
La masturbation est-elle réellement un plaisir, tout dépend dans quel environnement elle est pratiquée. On a très souvent parlé de son recours en cas d’isolement contre son gré comme dans le cas des prisons, mais aussi dans les circonstances de vie confiné dans un espace restreint sans possibilité autres que l’autoérotisme ou l’homosexualité, internats, couvents, monastères, mais aussi navires. Le problème peut aussi se poser pour les cosmonautes qui du fait de l’apesanteur doivent être obligé à l’abstinence ou à un équipement spécial afin d’éviter qu’une giclée malencontreuse ne s’échappe dans la cabine spatiale et flotte de façon impromptue autour des instruments de navigation. La Nasa et les Russes ont été très peu loquaces sur ce problème crucial pouvant perturber la vie quotidienne des voyageurs de l’espace. Car s’il est possible de se refréner pour un voyage de quelques jours, il est certains que ceux qui iront sur Mars un jour auront besoin de se satisfaire. Les sous-mariniers doivent être astreints aux mêmes contraintes. Amateurs de purée, lâchez-vous, mais pas n’importe comment !
Par contre les Américains, prêts à tous les paradoxes, quand ils ne sont pas évangélistes condamnant toute possible de dérive ou de déviation sexuelle, ont inventé au début des années Sida, le safer sex où la masturbation reprend toute sa place en particulier dans le milieu homosexuel. Mais comme ils sont Américains, they don’t go with the back of the spoon, (ils n’y vont pas avec le dos de la cuillère !) Certaines séances de masturbation collective ont lieu avec des gants en latex, des masques de chirurgien et des lunettes de plongée pour éviter les projections et ont recours à un grand renfort d’antiseptique. Arriver à médicaliser la masturbation est un exploit dont seuls les yankees peuvent être capables. La philosophie qu’on peut tirer de ce genre de pratique pourrait être : « Dans le doute, astique-toi ! »
Rien à voir avec les backs rooms des bars gays et leurs cabines américaines avec orifice approprié pour y passer le membre viril, ni avec les même cabines de peep show hétéro avec papier hygiénique et corbeille à disposition. Sur le thème, la performance de Marianne Faithfull dans le film Irina Palm est particulièrement remarquable. Les sex-shops commercialisent depuis longtemps des pénis et vagins artificiels avec piles incorporées, c’est nettement moins efficace que la main, diront certains amateurs, mais moins dangereux que le tuyau de l’aspirateur.
La masturbation peut aussi être un prolongement de la pensée. Vient en tête cette lettre de Musset vendue il y a quelques années à Drouot, où le papier taché souligne la passion du poète. Le support de cette lettre vous dira mieux que mes mots l’état dans lequel vous m’avez mis. On ne pourra oublier Toulouse-Lautrec hissé par ses acolytes au pied d’une toile d’un artiste pompier faisant mine de se soulager manuellement l’appendice avant de se faire expulser du salon. Et enfin, de la mémorable interview de Nina Hagen, devant la caméra de la télévision autrichienne empreinte d’un doigté remarquable fait figure de morceau d’anthologie dans la saga du plaisir manuel. Mais la masturbation peut être aussi altruiste dans le cas des donneurs de sperme, qui ne doivent pas s’en laver les mains, selon la citation probablement apocryphe attribuée à l’ex ministre Yvette Roudy.
Et puis il y a ce conseil aux jeunes gens fougueux et très amoureux, une petite masturbation avant un rendez-vous galant permet d’arriver moins tendu et moins excité et ainsi de ne pas se lâcher trop vite. Ce conseil n’est plus tellement valable passé un certain âge où l’on est moins spontané et peut s’avérer catastrophique en cas de difficultés à s’exprimer pleinement. Enfin, une petite pratique solitaire précédée de la prise d’un bon vulnéraire est un remède aussi efficace et moins dangereux que la prise de somnifères.
Note : César, dans le chapitre de la Guerre des Gaules consacrés aux Germains, nous décrit un peuple de guerriers qui maintiennent leur agressivité par l’abstinence sexuelle prolongée jusqu’à près de 30 ans, bien qu’hommes et femmes se baignassent ensemble nus dans les rivières. Il ne dit pas cependant si ces farouches guerriers se masturbaient entre deux campagnes contre les Romains. Mais les latinistes férus de guerre des Gaules doivent posséder de nombreux détails sur cette particularité germanique. Par contre, Caligula et surtout Héliogabale qui choisissait ses ministres à la longueur de leur membre, devaient avoir le geste à leur répertoire.