Sous caution

par C’est Nabum
vendredi 15 avril 2016

Terrible piège.

Il m'est arrivé une curieuse affaire, une expérience dont je me serais bien passé. J'y ai perdu sans doute un ami, quelques kilogrammes et beaucoup de ma naïveté. J'ai découvert le monde de la procédure, des mauvais payeurs, des arguties judiciaires et du mensonge. Cela fait beaucoup pour une aventure qui n'aura pas duré plus de six mois et me laisse un goût amer.

Celui qui fut un jeune ami se retrouvait revenir dans la région sans disposer de relations, de famille et de camarades de son âge susceptibles de faire la folie de se porter caution pour lui. Chacun savait son instabilité, ses sautes d'humeur et sa fabuleuse propension à inventer des histoires, à embrouiller les uns et les autres par une logorrhée invérifiable.

Mais voilà, je lui savais gré de m'avoir, en deux occasions, apporté son soutien quand le plus grand nombre me jetait aux chiens. C'est chose courante dans le monde sportif que l'entraîneur qui n'obtient pas les résultats espérés est accablé de tous les défauts de la terre. Lui avait su reconnaître quelques qualités et avait mouillé le maillot tandis que d'autres préféraient jouer à l'envers.

Ce sont des souvenirs qui restent forts et quand il me demanda de me porter caution afin qu'il puisse se loger, je ne me voyais pas le droit moral de refuser. On me mit en garde contre le peu de fiance qu'il inspirait : il traînait de nombreuses casseroles, avait l'art de se fourrer dans de jolis guêpiers. Par loyauté, je plongeai la tête la première dans ce piège redoutable.

L'inconscient agit parfois comme un signal d'alarme. Au moment de remplir le très long et fastidieux paragraphe afin de me porter caution, j'écrivis le plus sottement du monde « signature » au lieu d'apposer celle-ci au bas de ce document qui allait agrémenter mes futures préoccupations. J'aurai dû interpréter cet acte manqué plutôt que de réparer la bévue ! Avec des si … , on cesse enfin de faire des sottises.

J'étais donc caution d'un garçon qui avait trouvé un emploi, s'y conduisait fort bien, pour le peu que j'avais pu constater en me rendant à plusieurs reprises pour juger de la chose. J'avais des doutes : je cherchais à me rassurer. Bien vite, la propriétaire devint une habituée de ma correspondance. Je reçu des courriels pour m'avertir des premiers retards de paiement. Je me fis fort d'aller faire la morale à mon jeune ami qui me sortit alors quelques sornettes dont il a le secret.

À chaque visite, il me tirait de son chapeau une bonne raison, une malformation, un vice de forme, une procédure en route, un versement du loyer à la caisse des dépôts et des « conciliations ». J'étais parfaitement novice dans les arcanes de la jungle locative. Je gobai les premières explications puis j'eus de plus en plus de mal à avaler les grosses ficelles qu'il me tressait.

Au début, je crus à sa fable de la propriétaire irascible, malhonnête, confuse, du fait de son grand âge. Puis petit à petit, je compris qu'il y avait anguille sous roche, que celui dont je me portais garant était un mauvais payeur et un fieffé procédurier. La pauvre femme qui ne cessait de m'appeler finit par me toucher. Je la croyais désormais et émettais de plus en plus de réserves sur le bien-fondé de ma prise de risque.

C'est alors que je découvris que mon cher locataire venait de perdre son emploi. Les apparences, une fois encore, avaient été trompeuses. Il ne faisait pas l'affaire et c'était moi qui me trouvais dans de sales draps. Sans emploi, le paiement serait encore plus délicat. Je ne me trompais guère. Mes premiers recommandés arrivèrent ; je devais honorer ma signature et payer à la place de l'aigrefin qui, pour me remercier, ne me donnait plus de signe de vie.

Je décidais de ne pas m'abaisser à aller jusqu'à sonner à sa porte pour savoir de quoi il en retournait. J'allais assumer la folie que j'avais commise et renoncer à fréquenter celui qui m'avait fait un enfant dans le dos. Je suis idiot, certes, mais pas couillon. Je ne voulais plus entendre de bobards.

Je reçus alors une convocation au tribunal. Mon chemin de croix pouvait commencer. Moi qui n'avais jamais eu ce plaisir, j'allais devoir m'expliquer devant la justice. J'en étais vert de rage, honteux et, à parler franchement, parfaitement désabusé. Je me voyais dans l'obligation de cracher au bassinet pour quelqu'un envers qui j'avoue ne plus éprouver la moindre confiance. Ça m'apprendra !

Il se trouve que la veille de l'audience, j'appelai la propriétaire de cet indélicat locataire pour savoir de quoi il en retournait. La vieille dame m'apprit que notre homme n'avait pas daigné aller chercher sa convocation et que, de ce fait, la procédure était repoussée. Décidément nous touchions le fond de l'indélicatesse.

Je finis pas lui donner une information sur ce cher monsieur. Il avait cessé de me toucher ; je n'avais désormais plus de raison de le couvrir d'une aile qui avait été protectrice pendant de trop longues années. Ce fut sans doute le détonateur : la dame fit honte au garçon, là où je savais sa faiblesse . Il s'engagea alors à payer ce qu'il devait et à quitter au plus vite l'appartement. J'ose croire qu'il ira jusqu'au bout de sa promesse, je n'attends plus rien de lui et souhaite d'ailleurs ne plus jamais en entendre parler.

Quoi de mieux que ce billet pour couper définitivement les ponts ? Il ne viendra pas chercher une nouvelle signature : j'ai donné. J'ai découvert la difficulté d'une propriétaire âgée à pouvoir récupérer son dû, le peu de pouvoir réel de la justice, la longueur et la faiblesse des procédures. Il y a sans doute quelques modifications à apporter aux règles qui prévalent aux locations ; en ce rapport de force, dans les deux camps, seuls les plus roublards tirent leur épingle du jeu et les autres s'arrachent les derniers cheveux qui leur restent. Mais ceci n'est plus de mon ressort, j'ai retenu la leçon et me garderai désormais de me porter garant pour qui que ce soit !

Àbontendeurement sien.

 


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