Stalingrad : le « nouveau » camp de migrants à Paris

par Jean Fonce
samedi 2 avril 2016

Sortie du métro Stalingrad. « Mais c’est quoi ça ? » se demande un homme jusqu’à ce moment plongé dans une conversation téléphonique très intense. Des dizaines d’hommes, femmes et enfants sont allongés à terre sur des matelas. Certains jouent aux cartes. Il y en a qui fument. Un jeune essaye de draguer une bénévole du Secours Catholique. Un enfant esquisse un sourire pendant que sa maman lui offre un biscuit. Une tente verte et une orange. Saleté, déchets, humidité, puanteur. Et la musique d’Aster Aweke.

Les paroles du dernier succès de la chanteuse éthiopienne reviennent d’un coin protégé par une bâche. Soudain c’est le silence. On réessaye les derniers accords et le concert peut commencer. Il suffit d’une basse, d’une guitare et d’un micro pour faire bouger toute cette humanité abandonnée à elle-même. Des sourires succèdent à des applaudissements. Tout le monde veut filmer cette parenthèse d’humanité pour la partager sur Facebook. Il y a au moins une centaine de personnes, qui doivent partager quatre WC chimiques. Personne ne collecte les déchets, qui s’accumulent. « Maintenant il y a peu de monde mais pendant la nuit quelques 500 personnes viennent dormir ici » raconte Marie-Laure, une habitante du quartier qui vient donner un coup de main dès qu’elle a un moment libre.

Nous sommes dans le nouveau camp de migrants à Paris. Pour l’instant les autorités le tolèrent mais les associations qui défendent les droits des migrants craignent qu’il soit bientôt évacué. Il y a un an la préfecture de Paris a entrepris une politique de démantèlement de tous les camps et des squats parisiens. Après le démantèlement du squat de La Chapelle, entre l’été et la rentrée 2015, tous les autres, comme celui d’Austerlitz et celui du lycée Jean Quarré, ont eu le même sort. Depuis, tous ces hommes, ces femmes et ces enfants ont été redistribués dans des centres d’accueil éparpillés un peu partout dans le reste du Pays. « Ils m’avaient envoyé à Verdun » - affirme Omar, un jeune pakistanais – « mais il n’y avait personne de ma communauté et je ne parle pas français ». Plusieurs d’entre eux ont été envoyés à des endroits reculés où ils peuvent bénéficier d’une ambiance calme et conviviale mais sans la possibilité de fréquenter leur communauté.

Il y a quelques semaines la France a commencé le démantèlement de la Jungle de Calais, le plus grand camp de réfugiés en Europe après celui d’Idomeni, en Grèce. A cause de l’augmentation des attaques de groupes racistes et de l’aggravation des conditions de vie dans la Jungle, des centaines de migrants ont repris la route vers le camp de Grande-Synthe, Dunkerque, la Belgique ou Paris.

« Mais pourquoi Paris ? » - nous demandons à Assan, 32 ans et venant d’Alep, en Syrie – « Récemment la situation à Calais est devenue trop tendue et il devient de plus en plus difficile de passer la Manche vers l’Angleterre ; je suis rentré à Paris car j’ai décidé de faire une demande d’asile en France. Ici je pourrai continuer à fréquenter mes amis et ma communauté ».

C’est le moment d’Alpha Blondy et de l’Afroreggae. Les Ethiopiens dansent en faisant bouger les épaules vers le haut, le bas et de côté. Les enfants sourient. Fateh répète le rythme de la musique avec ses pieds pendant qu’il filme le concert pour le montrer à ses amis qui ne sont pas là.

Un homme sur la quarantaine, français et bien habillé, essaye de communiquer avec un enfant érythréen. Il lui offre des bonbons et un peluche. L’enfant lui répond avec un sourire. Puis il commence à caresser l’enfant : les joues, le dos et son petit ventre. Alors sa maman, qui suivait la scène à quelques pas de distance, intervient. Elle embrasse son enfant et le retire du regard de l’homme.

Le camp est organisé par communauté. D’un côté il y a les soudanais. Abdullah et plusieurs d’entre eux viennent du Darfour, une région qui évoque un conflit dont on parle beaucoup mais qu’on ignore. A l’autre extrémité il y a les afghans et les pakistanais. Il y a quelques heures, le jour de Pâques, l’attentat près d’un parc de Lahore a causé le mort de 72 pakistanais, dont 30 enfants. Entre les deux on trouve les éthiopiens et les érythréens. Leurs histoires se ressemblent. Ce qu’il demandent aussi.

« Si les parents avaient vraiment à cœur la situation de leurs enfants ils pourraient faire une demande d’asile en France et ils recevraient une solution d’hébergement au plus vite » dit un policier à une activiste qui accuse l’Etat d’accepter que des enfants passent leurs journées dans des conditions pareilles : au froid, sans abri, allongés sur un matelas, enveloppés dans des couvertures, entourés par les déchets. « Ils ne demandent pas l’asile en France car souvent ils parlent anglais ou ont des parents dans un autre Pays européen » réplique l’activiste.

« Quels souvenirs d’enfance vont garder tous ces jeunes ? Et quelle adolescence difficile pour ces garçons afghans ! Quel avenir pour eux ? » se demande Xavier, un retraité qui a été attiré par la musique en sortant du métro. « A la télé je vois des centaines d’activistes et de journalistes qui prennent d’assaut Idomeni, Calais, les îles grecques, le port du Pirée ; pourquoi personne ne vient ici ? » se demande se femme.

Après un orage très intense, qui pourtant n’interrompt pas le concert, un bel arc-en-ciel occupe le ciel. Une fille raconte à deux enfants afghans la tradition selon laquelle il y aurait, au bout de l'arc-en-ciel, un chaudron d'or gardé par un gnome méchant. Puis elle se tourne vers moi : « Nous, les occidentaux, nous sommes comme le gnome méchant qui ne permet pas que tout le monde puisse bénéficier des biens communs de manière équitable ! » Les deux enfants se regardent dans les yeux, s’échangent un sourire complice et la main dans la main courent. Ils ont décidé de ne pas se rendre. 


Lire l'article complet, et les commentaires