Statistiques de la police et de la justice sur les violences sexuelles en France

par Naja
lundi 4 mai 2009

A propos des affaires pénales de viols et agressions sexuelles

particulièrement sur les mineurs , il n’est pas rare d’entendre ou lire toutes sortes d’assertions, plus ou moins éloignées de la réalité.
Or s’il existe peu de données chiffrées en France sur la prévalence des violences sexuelles dans la population, il est néanmoins possible de se faire une idée assez précise du traitement judiciaire des infractions de ce type. Il suffit pour cela de consulter les données mises à disposition sur le site du ministère de l’intérieur et sur celui du ministère de la justice.

Avertissement : le détail des sources qui ont été utilisées pour cette étude, ainsi que les tableaux cités ci-après, figurent au bas de ce lien, qui correspond à l’adresse de publication initiale du présent article. Par souci de concision, je n’ai pas tout repris ici, mais m’y réfère dans le texte.

Infractions enregistrées par les services de police et de gendarmerie

Chaque année (moyenne de 2004 à 2008 inclus), les services de police et de gendarmerie enregistrent :
10 138 viols, dont 4 654 sur mineurs,
13 911 agressions sexuelles, dont 7 756 sur mineurs
.
Sont élucidés (existence d’un suspect ou d’un accusé), en moyenne par année,
7 819 viols, dont 4 655 sur mineurs, et 10 841 agressions sexuelles, dont 7 756 sur mineurs.
Et sont mises en cause (par faisceau d’indices de culpabilité, selon le terme consacré) 6 886 personnes pour viols, dont 4 800 pour viols sur mineurs et 10 841 personnes pour agressions sexuelles, dont 5 728 pour agressions sexuelles sur mineurs.
Ces chiffres varient peu au cours des cinq années considérées (voir tableau 1 ici).

Les mis en cause sont à 97,5% des hommes et à 76% des majeurs. La grande majorité des mineurs concernés sont suspectés d’infractions sur d’autres mineurs : seuls 4,5% des mis en cause pour violences sexuelles commises sur un majeur sont mineurs, tandis que 35% des mis en cause pour violences sur mineurs sont eux-même mineurs.

Remarque : Les fichiers de police comptabilisent aussi un grand nombre d’infractions référencées comme « atteintes sexuelles ». Cette appellation est assez opaque car elle ne correspond visiblement pas au délit d’atteinte sexuelle sur mineur, compte tenu de la quantité d’infractions constatées (16 190) et du fait que celles-ci ne sont pas classées dans la catégorie « atteinte à l’intégrité physique ». Il est toutefois raisonnable de supposer que ce terme recouvre, entre autres, quelques atteintes sexuelles faites aux enfants.
On relève donc ici une première source d’incertitude, laquelle a une influence non négligeable sur le calcul du pourcentage de condamnation des infractions constatées par la police.

 

Taux de condamnation

En moyenne par année (moyenne de 2004 à 2006 inclus), la justice condamne 1 728 personnes pour viols et 6 428 pour agressions sexuelles. Ces chiffres ne présentent pas de tendance significative sur la période (voir tableau 2, ici).

D’où l’on peut en déduire que sur l’ensemble des viols élucidés, 22% sont condamnés aux assises (soit 18% des viols déclarés) et 25% des mis en cause sont déclarés coupables de viol.

On sait par ailleurs qu’un certain nombre de procédures pour viols sont jugées au tribunal correctionnel mais il est impossible d’en connaître la proportion, l’infraction étant alors déqualifiée en agression sexuelle. Pour cette même raison, le taux de condamnation des agressions sexuelles que l’on pourrait calculer à partir du nombre de dépositions serait biaisé. On peut en revanche s’intéresser au taux de condamnation pour violences sexuelles, viols et agressions confondus.

Selon ce calcul, 44% des déclarations de violences sexuelles élucidées sont condamnées en justice. En incluant les infractions dites d’atteintes sexuelles constatées par la police, ce taux tombe à 25%. La réalité se tient donc quelque part dans cette fourchette, probablement plus près de la limite supérieure.

En résumé, on peut dire que 25% à 44% des infractions de violence sexuelles élucidées par la police sont condamnées.

 

Qualifications des infractions sur mineurs et/ou commises par ascendant ou personne ayant autorité

Les données disponibles du ministère de la justice ne permettent pas de séparer rigoureusement les procédures pour violences sexuelles commises sur mineurs des autres. Cette limitation empêche de calculer un taux de condamnation spécifique à ces infractions mais pour ce qui est des peines prononcées, on peut se concentrer plus particulièrement sur les catégories incluant ces cas, à savoir :
les viols aggravés , qualification qui comprend les viols aggravés sur majeurs (hors viols par ascendants) et les viols avec plusieurs circonstances aggravantes, dont les viols sur mineurs de 15 ans par ascendant ou ayant autorité,
les viols sur mineurs de 15 ans, sans autres circonstances aggravantes,
les viols par ascendant ou ayant autorité, sur personne de plus de 15 ans,
les atteintes sexuelles sur mineurs de 15 ans sans circonstances aggravantes (délit 227-25),
les atteintes et agressions sexuelles aggravées sur mineurs : agressions sur mineurs de 15 ans, agressions sur mineurs de 15 ans commises par plusieurs personnes, par ascendant ou personne ayant autorité, agressions sur mineurs de plus de 15 ans par ascendant ou personne ayant autorité,
les agressions sexuelles par ascendant ou personne ayant autorité, commises sur des victimes majeures.

 

Peines prononcées pour les viols condamnés aux assises

Toutes catégories confondues, les viols condamnés sont à 83% punis d’une peine d’emprisonnement effective.
Détail par catégories de viols incluant les faits commis sur mineurs et/ou par ascendant :
93% des viols aggravés,
66% des viols sur mineurs de 15 ans (96% en ne considérant que les auteurs majeurs),
96% des viols par ascendant.

Pour les viols sanctionnés d’une peine de réclusion criminelle ou d’emprisonnement , la durée moyenne de la peine ferme est de  :
8 ans et 3 mois pour l’ensemble des viols,
9 ans et 7 mois pour les viols aggravés,
7 ans et demi pour les viols sur mineurs de 15 ans,
9 ans pour les viols par ascendant ou ayant autorité.
Pour les viols sur mineurs, si l’on ne considère que les condamnations prononcées pour les auteurs majeurs, la peine moyenne est sensiblement égale à celle des autres catégories.

Tous ces chiffres sont stables sur les trois années considérées (voir tableaux 3, 4 et 5, ici).

L’assertion courante selon laquelle les viols sur mineurs seraient de plus en plus sévèrement réprimés ces dernières années est donc erronée. Tout comme il est faux de dire que les viols sur mineurs seraient, bien souvent, plus lourdement condamnés que les meurtres.
(Propos tenus par exemple sur le blog d’Eolas, par une magistrat et un chroniqueur judiciaire).
Outre le fait que 50% des meurtres déclarés aboutissent à une condamnation aux assises contre 18% des viols, la durée moyenne de la peine de prison pour homicides volontaires est de 14 ans, calcul qui n’inclut pas les peines de réclusion criminelle à perpétuité (5% des meurtres et moins de 1% des viols).

 

Peines prononcées pour les agressions sexuelles (et les viols déqualifiés)

Toute catégories confondues, 36% des agressions sexuelles condamnées sont sanctionnées d’une peine de prison effective.
Détail par catégories d’agressions sur mineurs et/ou par ascendants :
28% des atteintes sexuelles « simples »,
36% des agressions sexuelles aggravées sur mineurs (42% pour les auteurs majeurs seulement),
36% des agressions sexuelles commises par un ascendant ou ayant autorité, sur un majeur

Pour ces 30 à 40% d’agressions sanctionnées d’une peine de prison, la durée moyenne de la peine effective est de  :
1 an et 8 mois pour l’ensemble des agressions sexuelles,
1 an et 4 mois pour les atteintes sexuelles,
1 an et 10 mois pour les agressions aggravées sur mineurs de 15 ans,
1 an et 10 mois pour les agressions par ascendant ou personne ayant autorité.

Là encore, les chiffres varient peu au cours des trois années considérées (voir tableaux 3, 4 et 5, même adresse).

 

Durée des procédures

La durée moyenne des procédures ayant abouties en 2006 fut de :
6 ans et 11 mois pour les viols, tout confondus,
7 ans et 9 mois mois pour les catégories comprenant les viols sur mineurs et/ou par ascendants,
3 ans et 10 mois pour les agressions sexuelles,
4 ans et 10 mois pour les agressions sur mineurs.

A titre de comparaison, les procédures pour crimes conclues en 2006 avaient duré en moyenne 5 ans et 4 mois, celles pour homicides volontaires 3 ans et 4 mois.

 

En guise de conclusion...

J’espère ne pas avoir trop assommé le lecteur avec toutes ces statistiques. Mais entre les déchaînements de passions sur le monstre pédophile à castrer et les envolées – tout aussi irrationnelles –, qui fleurissent depuis Outreau sur la parole soi-disant sacrée des enfants et supposées victimes, il me paraît utile d’en revenir à quelques chiffres bruts.
Les données publiques, quoique touffues, ne permettent pas de répondre avec rigueur à toutes les questions quantitatives que l’on peut se poser sur le traitement judiciaire des affaires de violences sexuelles mais elles donnent de bonnes indications.
J’ai tâché d’être la plus objective possible mais je ne suis pas à l’abri d’erreurs de calculs. Le lecteur dubitatif ou simplement curieux peut les refaire en remontant à la source des données, je lui serai alors reconnaissante de m’indiquer mes erreurs si il en trouve.


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