T’as bien fait coco

par Chem ASSAYAG
jeudi 28 décembre 2006

Les propos de Johnny Hallyday dans le quotidien suisse Le Matin font rebondir la polémique sur son exil fiscal ; en effet, qui peut croire qu’il n’agit pas avec l’accord de Nicolas Sarkozy ?

Ah, Johnny et les impôts ! Depuis l’annonce de l’installation à Gstaad de « l’idole des jeunes », tout et son contraire a été dit sur le sujet, avec le plus souvent des biais politiques et/ou idéologiques assez forts. Il ne s’agit pas de revenir ici sur le détail de la fiscalité française, mais de rappeler quelques informations de base, avant de revenir sur la dimension plus proprement politique du sujet.

La représentativité de Johnny

Le cas de Johnny Hallyday n’est absolument pas représentatif de la fiscalité appliquée à l’immense majorité des Français : tout d’abord, ses revenus doivent le situer dans le top 100 des Français les mieux payés, toutes catégories confondues (6,6 millions d’euros en 2005, selon Le Figaro), et son patrimoine doit désormais s’élever à quelques dizaines de millions d’euros - à comparer au patrimoine moyen d’un ménage français, qui est de l’ordre de 200 000 euros. Johnny a donc des problèmes bien spécifiques, qui concernent quelques centaines d’individus chaque année, et d’ailleurs la Suisse ne fait bénéficier de son fameux forfait fiscal que les très riches ou les très connus. Par conséquent, faire de Johnny un modèle ou un exemple relève de l’escroquerie intellectuelle, et utiliser son cas pour parler de nécessaire remise en cause de la fiscalité (comprendre baisse) dans son ensemble une bonne blague.

Le méli-mélo des impôts

L’autre façon d’orienter le débat consiste à tout mélanger : fiscalité des revenus, fiscalité du patrimoine, avec notamment l’ISF, fiscalité des plus-values, TVA - qui représente la part la plus importante des recettes de l’Etat... et à faire comme si la pression fiscale était homogène, sous-entendu (trop) forte, dans tous les cas. Essayons de donner quelques chiffres et de les resituer dans un contexte européen.

En France, l’impôt appliqué aux revenus a un rendement assez faible - près d’un Français sur deux ne le paie pas- et son taux marginal a été très sensiblement abaissé depuis 2002 pour atteindre 40% et se situer dans la moyenne européenne (pour plus d’infos sur la fiscalité dans les pays de l’Union, voir le document lié). L’impôt sur les plus-values (27% de taux d’imposition y compris les cotisations sociales, avec une exonération totale en cas de cessions inférieures à 15 000 euros) est aussi tout à fait cohérent avec ce qui s’applique chez nos principaux voisins, et constitue sans doute un chantier de réformes si on souhaitait rétablir une fiscalité plus soucieuse de la valeur « travail ». Quant aux taux de TVA, ils ont été harmonisés pour une large part dans l’Union, et le taux normal (19,6%) appliqué en France n’a donc rien d’inhabituel.

Reste donc la fiscalité du patrimoine, et notamment l’ISF, qui focalise toutes les attentions : entre les trois cent cinquante personnes qui quitteraient la France chaque année à cause de l’ISF, selon un rapport du Sénat - mais on n’a jamais évoqué l’éventuelle « impatriation » fiscale de riches anglais ou américains - et les "malheureux" propriétaires de l’Ile-de-Ré qui le paient en raison de l’explosion du prix de leur terrain, il est de bon ton de stigmatiser cet impôt. Une remise à plat de l’ISF est sans doute nécessaire afin d’éviter les cas limites - mais avec le bouclier fiscal, qui limite la part totale des impôts payés à 60% du revenu annuel, une partie du problème est résolu - et l’exil fiscal de créateurs d’entreprises et d’emplois, mais cela doit se faire calmement et avec pragmatisme, et sûrement pas sur la base de cas individuels.

Au total la France est loin d’être l’enfer fiscal dépeint par certains, notamment pour l’immense majorité des contribuables.

La parole de Sarkozy

Dès lors, quand on lit la réponse de Johnny à la question « Que vous a-t-il [Nicolas Sarkozy ] dit au sujet de ce déménagement ? Il m’a dit : Ecoute Coco, t’avais envie de le faire, tu l’as fait, t’as bien fait », on peut se poser quelques questions. En effet, qu’un candidat à l’élection présidentielle, par ailleurs ex-ministre des Finances, puisse encourager l’exil fiscal ne peut que laisser très perplexe, voire choquer. En outre, qu’il laisse un de ses principaux soutiens people le clamer haut et fort est encore plus troublant. Il paraît notamment totalement improbable que Johnny ait pu citer son favori politique sans l’aval de ce dernier. En laissant Johnny faire référence à leur conversation, Nicolas Sarkozy veut délivrer un message : lui aussi pense que « y’en a marre », et qu’une réforme fiscale serait nécessaire. Le problème est que le président de l’UMP est bien silencieux sur ce sujet fondamental, et qu’on aimerait connaître son programme en la matière. Plutôt que de laisser notre chanteur ex-national s’exprimer sur le sujet, on voudrait entendre l’original. En effet, la fiscalité est au cœur de tout projet de société et constitue un sujet clé pour évaluer un programme et une vision : plus ou moins de redistribution ? Augmentation ou diminution des impôts ? Quelles priorités mettre en œuvre (baisse de la dette, éducation, recherche...) ? Quels services publics doit-on financer ?

A l’heure où de nombreux experts, et pas seulement en France, indiquent que nous sommes arrivés à la fin d’un cycle de baisse des impôts dans les pays développés, il serait dommage d’escamoter le débat en le focalisant sur l’hospitalité des stations de ski suisses.


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