Taiwan-France : déjà 2 scandales pour 2008 !

par Philippe Vassé
mardi 8 avril 2008

Depuis quelques semaines, les relations commerciales entre la France et Taiwan semblent propices à l’apparition de scandales qui affectent à l’évidence le climat politique à Taiwan, mais génèrent en France à la fois des inquiétudes financières pour la santé réelle de certaines grandes entreprises et une certaine colère dans les milieux dits « autorisés », notamment proches de la Défense nationale. Penchons sur les deux actuellement en plein développement : l’affaire Taiwan Goal Company et le contrat de China Airlines avec Airbus-EADS. Des fois que cela puisse bientôt éclabousser en France...

Développements et prolongements de l’affaire Taiwan Goal Company

Les lecteurs d’Agoravox sont chanceux : ce sont eux qui ont eu la primeur de l’information en France sur la naissance de ce scandale, le 4 mars 2008.

Les origines de ce dossier sont donc à lire ou relire afin de pouvoir apprécier les éléments nouveaux. Suivre le lien- http://www.agoravox.fr/article.php3?id_article=36914

Depuis, malgré les contorsions et non-réponses des autorités gouvernementales actuelles de Taiwan, la vérité se fraie son chemin, notamment par les interrogations résolues de députés d’opposition, mais aussi par le biais du travail de journalistes honnêtes voulant faire leur travail d’information du public.

Chose en effet extraordinaire : le ministre de la Défense actuel de Taiwan a mené, selon ses déclarations, une enquête sur l’affaire, dont le moins que l’on puisse en dire est qu’elle n’éclaire en rien les points obscurs et semble plus viser à établir les origines des fuites qui ont conduit au surgissement du scandale qu’à l’expliquer, à en élucider les causes et à sanctionner les coupables possibles.

Ainsi, Wu Rong Wei, directeur du Bureau des armements au ministère de la Défense a été sanctionné officiellement comme... seul responsable de ce scandale ! Tant l’explication que la punition ne convainquent absolument personne à Taiwan, ni les députés ni les médias ni surtout les citoyens !

Car la presse et de nombreux députés pointent le doigt vers d’autres personnes en laissant clairement entendre que la thèse du bouc émissaire unique est plus qu’éventée.

Ainsi, le vice-ministre de la Défense, KO Cheng Heng, est désigné par de nombreux médias et députés du parti majoritaire au Parlement, le KMT, comme le principal organisateur de l’affaire Taiwan Goal Company, et le fils de l’ancien vice-Premier ministre, Wu Chih Chung, est regardé comme l’homme-clé qui a organisé les relations entre la France et Taiwan pour élaborer une stratégie secrète permettant l’acquisition silencieuse de matériel militaire français pour les forces armées taiwanaises.

Le moins que l’on puisse en dire est que le secret est plutôt percé.

On sait en effet maintenant que la première réunion franco-taiwanaise, incluant trois Français de haut rang, a eu lieu à Taiwan en décembre 2006, afin d’élaborer l’idée d’une société privée servant de paravent aux achats d’armes et de maintenance militaire de Taiwan par la France.

On apprend aussi maintenant que l’ancien vice-Premier ministre, Wu Rong I, devenu PDG de la Société de la Bourse de Taipei, a été impliqué, selon les médias taiwanais, dans ces négociations avec des Français.

Il en résulte pour l’opinion publique que le scandale de Taiwan Goal Company, dont le coût définitif est encore à chiffrer, est donc un scandale dont les géniteurs appartiennent conjointement à Taiwan et à la France.

Toujours selon les médias taiwanais, les milieux militaires et industriels français de la Défense sont « en colère » contre les autorités taiwanaises actuelles, depuis que le dossier « Taiwan Goal Company » est devenu une affaire publique.

Cette ire française est confirmée par des hauts responsables militaires taiwanais qui disent avoir été en France présenter des « excuses » à leurs interlocuteurs français et n’avoir pas même reçu une réponse.

Les mêmes sources indiquent que la mise à jour de l’armement des célèbres frégates Lafayette et des équipements de combat des Mirage 2000 est bloquée, ainsi que tout ce qui était prévu comme achats d’armes.

Lien en anglais :

http://www.kmtnews.net/client/eng/

Ceci dit, le scandale n’est nullement terminé, et beaucoup estiment que le futur gouvernement KMT qui prendra ses fonctions le 20 mai 2008 va se faire un devoir politique, bien compréhensible au demeurant, de fouiller les dossiers militaires plus en profondeur pour en tirer toute la vérité, au moins sur les responsabilités taiwanaises.

Peut-être avec en tête le souhait de rétablir des liens apaisés avec les autorités et entreprises françaises qui devraient s’occuper des Mirage 2000 et des jolies frégates Lafayette... tout en achetant américain de l’autre main.

Le scandale des deux contrats de China Airlines avec Airbus-EADS

Ce scandale survient vraiment au plus mauvais moment pour EADS-Airbus, c’est-à-dire au moment où l’AMF - l’Autorité des marchés financiers - met en cause plus que nettement plusieurs hauts dirigeants du groupe pour des faits d’enrichissement personnel présumé illicite.

Résumons les faits parce que leur simple relation fait apparaître toutes les questions naturelles que l’opinion publique taiwanaise se pose et qui peuvent aussi, de manière directe, intéresser la justice française, voire allemande.

Courant 2007, Philip WEI, le PDG d’alors de China Airlines, compagnie aérienne d’Etat taiwanaise, dépendant donc directement du ministère des Transports et des Télécommunications, signe un accord de principe avec Airbus-EADS pour l’achat ferme de 14 A 350-900 plus 6 autres appareils similaires en option, soit au total 20 avions.

A ce moment, le budget affecté à cet achat est de 104 milliards de NT$, la monnaie taiwanaise, soit approximativement 2,53 milliards d’euros.

Signalons pour la compréhension des lecteurs que l’achat est fait à la demande de l’autorité de tutelle de la société étatique, le ministère des Transports.

Or, le problème est que l’A 350-900 ainsi commandé est encore à l’état de plans sur des papiers, et que sa mise à disposition réelle précise est donc par essence impossible à prévoir à l’heure actuelle.

Visiblement, cette question a taraudé Philip Wei et sa direction à China Airlines, qui ne pouvaient pas planifier sérieusement le renouvellement de leur matériel en se basant sur de simples « possibilités » de dates.

C’est donc naturellement que, en septembre 2007, le PDG, ayant des doutes sur cet accord, sa faisabilité et son intérêt pour la compagnie aérienne, a sollicité du ministère la suspension sine die du contrat avec Airbus-EADS.

La réponse du ministère a été fort claire : Philip Wei a été viré rapidement et aussitôt remplacé le 2 octobre 2007 par un proche du président actuel de Taiwan, en fin de mandat, du nom de Rango Chao.

Celui-ci a alors pris des décisions rapides : le 4 octobre 2007, il a REOUVERT les négociations abouties par son prédécesseur avec Airbus-EADS.

Mieux encore, il a conclu un nouvel accord avec Airbus-EADS en janvier 2008, mais les chiffres et les conditions ont changé aussi.

Si le nombre d’avions commandés en ferme et en option n’a pas varié, le prix et les conditions financières ont, eux, brusquement évolué :

- le prix passe de 104 milliards de NT$ à 120 milliards, soit de 2,53 milliards d’euros à 2,66 milliards.

- Mais surtout, alors qu’Airbus-EADS a toujours l’A350-900 sur les plans en papier, le nouveau PDG de China Airlines a conclu un contrat qui OBLIGE tout de suite sa société d’Etat à payer en avance ACQUISE au vendeur 27 milliards de NT$, soit 600 millions d’euros !

Un député du KMT, Wu Yu Cheng a indiqué au Parlement et devant la presse qu’un employé de China Airlines l’avait contacté après avoir reçu un « dessous de table » de 4 millions de NT$, soit environ 88 000 euros.

Et ce même député d’exiger - et d’obtenir, son parti rassemblant 75 % des députés - une Commission d’enquête parlementaire sur cet accord avec Airbus-EADS où il apparaît bien étrange qu’un PDG négocie des conditions désavantageuses pour sa société, le tout pour acquérir dans un avenir incertain des avions encore sur plans dans les bureaux de la société Airbus- EADS.

Deux liens utiles en anglais : http://www.kmtnews.net/client/eng/

http://www.kmtnews.net/client/eng/

Quelques interrogations citoyennes de bon sens

Il reste à noter que ce dernier scandale, en apparence exclusivement taiwanais, a été cette fois cité et repris par les médias français et internationaux, ce qui n’a pas été vraiment le cas pour Taiwan Goal Company à part Agoravox, Le Canard enchaîné, quelques sites et blogs.

En effet, quelques questions posées avec justesse par les médias taiwanais peuvent aussi être posées en France. Voici les principales qui pourraient susciter l’attention d’une justice apparemment réveillée sur certaines pratiques possibles à Airbus- EADS.

- Pourquoi Airbus a accepté de rediscuter un contrat antérieur avec China Airlines ? Quel cadre juridique a abouti à l’annulation du premier contrat ?

- Pourquoi le prix total a-t-il été modifié sans contrepartie significative pour China Airlines ?

- Comment a-t-il pu être exigé par Airbus-EADS un acompte de 600 millions d’euros de la part de China Airlines pour un avion dont la livraison peut, selon les sources, aller de 2013 à 2015, et encore sans aucune garantie ?

- Y aurait-il eu des clauses non publiques qui peuvent expliquer cet acompte et surtout son importance pour le moins anormale dans un tel contexte ?

- Y aurait-il eu un accord qui soit avantageux aussi pour certains intérêts privés, par exemple par la signature publique d’un contrat ferme ou optionnel de 20 A 350-900, garantissant la bonne santé du cours de l’action de cette société en Bourse, ceci s’assortissant de « commissions occultes » en retour, telle que celle que le député taiwanais Wu Yu Cheng a dénoncée et que la majorité du Parlement taiwanais soupçonne fortement.

D’ailleurs, la justice taiwanaise a annoncé avoir ouvert une instruction judiciaire sur ce cas le 3 avril 2008, en se fondant sur des présomptions de "commissions occultes" en relation avec l’accord de fin janvier 2008.

Il est donc possible que cela puisse influer sur le Parquet de Toulouse, qui pourrait suivre l’enquête taiwanaise avec grand intérêt. Au cas où...


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