Taxe carbone : le citoyen contre le consommateur ?
par Thomas de Toulouse
vendredi 24 juillet 2009
Le débat français autour de la taxe carbone est sans aucun doute encourageant et prometteur. Sans être nécessairement un admirateur de la politique gouvernementale, on peut admettre le bien-fondé et la pertinence de ce volet tardif du Grenelle qu’est le cycle récent de consultations sur la taxe carbone.
La commission Rocard opte certes pour une redistribution, mais la plus parcimonieuse possible afin de préserver le signal de prix. On peut trouver les propositions faites inefficaces au plan environnemental, ou trop exigeantes (pour un aperçu : 7 à 9 centimes de plus au litre d’essence dès l’année prochaine), mais le reproche le plus facile en la matière se situe sur le créneau très prisé de l’équité. Ne voir ici aucun mépris dans le terme de créneau, mais nous sommes forcés de constater que l’équité est parfois prise en otage dans ce débat. Tout est affaire comme à l’habitude, de vision partielle, partiale, ou d’angle de vue.
Inefficace ?
La difficulté à apprécier l’effet d’une taxe carbone en termes de réduction d’émissions peut faire discuter son efficacité ; l’économie désigne la réactivité de la consommation au niveau de prix par le terme d’ « élasticité ». On distingue d’ailleurs l’efficacité de long terme de celle de court terme, ainsi que les différentes élasticités rencontrées selon le secteur d’activité considéré. Outre que cette élasticité est variable en fonction de ces derniers critères, l’efficacité d’une taxe est aussi à juger par rapport à son niveau, et ses détracteurs gagneraient à se demander si l’efficacité qu’on lui prête ne viendra pas plutôt d’un trop faible niveau du prix du carbone plutôt que de son principe même. En matière de CO2 comme pour le reste, on ne freine pas un char avec des freins de vélo.
Trop exigeant ?
C’est bien là un reproche fréquent dont l’UFC-Que choisir, entre autres, s’est faite le fer de lance. Cette dernière a pour particularité de nier l’efficacité même du signal de prix, position qu’elle est maintenant presque seule à défendre. Par ailleurs, que la taxe carbone impacte le pouvoir d’achat du consommateur, qui est à ce jour l’une des principales données que l’UFC a sur son tableau de bord, est une évidence pour ne pas dire un truisme. Son but, pour être plus précis, est d’augmenter le coût de l’énergie par rapport au pouvoir d’achat. Rappelons que la tendance inverse est observée depuis des années : il fallait en moyenne 5 à 6 heures de SMIC en 1960 pour s’offrir 100km de carburant, contre 1 heure en 20061. Nous avons donc de la marge quant aux prix de l’énergie.
De plus, le fait d’augmenter le coût de l’énergie par rapport au pouvoir d’achat ne signifie pas que l’on fasse baisser d’autant ce pouvoir d’achat, car il demeure la possibilité de fournir des compensations aux citoyens. L’UFC-Que choisir, qui exige un chèque vert semble l’avoir compris, mais se fait une religion de voir chaque centime versé restitué. La position n’est pas idiote : des personnalités éminentes telles que James Hansen et le moins connu Steven Stoft s’en sont fait les avocats – et M. Rocard y est favorable sous condition de ressources - , mais on aurait tort de balayer d’un revers de main toutes les autres options en termes d’usage des revenus.
Serait-il en effet absurde que la taxe carbone appliquée aux entreprises leur soit globalement compensée en baisse de charges sociales ? C’est le principe de neutralité fiscale appliqué aux entreprises, et ce basculement des charges du travail vers l’énergie est largement décrit comme positif en termes économiques comme écologiques. Une des questions afférentes à cette vision est de savoir si le produit de la taxe prélevé auprès des particuliers ET des entreprises ne doit financer que les abaissements de charges sociales, et seulement à la marge des compensations pour les plus fragiles.
Ici encore, le curseur de l’équité n’est pas facile à placer et en ce sens, le principe de séparer la taxe carbone des particuliers de celle des entreprises serait une saine mesure, dont l’intérêt pourrait être de ne pas monter les particuliers contre le monde de l’entreprise et inversement. C’est la position défendue par la Fondation Nicolas Hulot.
La faille de l’équité n’est qu’en apparence un problème inhérent à la taxe carbone, car il n’est pas associé au principe du signal de prix, mais plutôt à la mise en pratique de ce principe fondamental pour l’avenir. C’est donc par conséquent le débat sur l’usage des revenus qui doit être tenu pour déterminant, plutôt qu’uniquement celui de l’assiette et du taux de la taxe.
Le hold up, oui, mais par qui ?
Le débat sur l’équité est le propre de la plupart des débats politiques et n’est pas particulier à la taxe carbone. Poursuivons la discussion en admettant cette hypothèse de la perte de pouvoir d’achat.
La question énergétique n’est nullement posée au consommateur mais au citoyen, les intérêts de l’un n’ayant jamais été aussi loin de recouvrir ceux de l’autre que pour la question du changement climatique.
Il ne serait d’ailleurs guère nécessaire d’aller jusqu’à invoquer le bénéfice écologique de la mesure (qui pourtant est le plus important) pour justifier que de récupérer jusqu’au dernier centime de taxe versé est une exigence infondée. Le citoyen a aussi tout intérêt à la préservation de la compétitivité des entreprises françaises – et donc de l’emploi français -, exigence qui pourrait à la limite être égale au consommateur. Il n’y a pas besoin non plus d’être d’un camp ou d’un autre pour admettre que la France est à ce niveau en perte de vitesse par rapport à ses concurrents sur le marché international. En ce sens, ne pratiquer qu’un abaissement des charges sociales et des compensations marginales n’est pas une hérésie, dans la mesure où un double dividende - écologique et économique - est obtenu et que l’on corrige les charges distorsives en termes de concurrence pesant sur nos entreprises.
Nous nous garderons, cela dit, de trancher seuls ce débat complexe. Rappelons simplement que le prisme des intérêts catégoriels est très déformant. Il suffit pour s’en convaincre de s’intéresser à l’attitude de la Fédération française des automobile-clubs et des usagers de la route, représentée par Christian Gérondeau2, dont ont peut déplorer que le livre soit préfacé par un ex-Président de la République très décevant. A en croire le discours de ce lobby, l’automobile est injustement surestimée en ce qui concerne les émissions de CO2 ; en effet, elle ne représente que 12% des émissions de CO2… Outre que ce chiffre est déjà énorme, le saucissonnage des pourcentages d’émission attribuables au transport est une astuce un peu grossière. Une parmi tant d’autres, typiques de la mauvaise foi.
Toute influente qu’elle est, la « catégorie » des consommateurs a ses limites, qui sont là où commencent les arbitrages entre le « toujours plus » et une vie moins néfaste pour le futur des citoyens. Le drame actuel est de fonder la prospérité sur le pouvoir d’achat (qu’il faut certes en général ne pas torpiller) au détriment de critères plus fondamentaux.
Nous n’ignorons pas la complexité des choix à faire et il faut souhaiter que les lobbys en fassent autant. Mais l’équité à laquelle nous sommes aussi attachés ne se mesure pas qu’en Euros de pouvoir d’achat. Alors si hold up il y a, comme se plait à le claironner l’UFC-Que choisir, il est probable ce ne soit point celui d’une dérive fiscale (l’avenir le dira), mais plutôt le hold up par la démagogie, consumériste ou non.
Membre de l’association citoyenne TACA.
Notes :
- Source : INSEE, Observatoire de l’énergie.
- M. Gérondeau fait aussi preuve d’un scepticisme mal venu quant à la nécessité de lutter conte le changement climatique, fait qu’il exprime dans son dernier livre.