Temps, vol, note...

par Orélien Péréol
jeudi 11 février 2016

Bernard Pivot montra hier au téléphone sonne sur France Inter la beauté parfaite de l’écriture de la langue française (toute réforme est une attaque) dans l’exemple de la libellule dont le mot a quatre « l » tout comme l’animal a quatre ailes.

Je propose que la mouche qui a deux ailes actives s’écrive moullche, qu’on prononcerait toujours, bien sûr, mouche, on ne va pas déranger les gens dans leurs habitudes ; coccinelle qui a quatre ailes s’écrive coccinelllle… et éléphant qui n’a pas d’aile s’écrive ééphant, le h figurant (déjà) magnifiquement sa trompe (dressée)… sans changement dans l’oral, cela va de soi, faut pas exagérer.

L’idée que les mots sont dans un rapport analogique aux choses ne devrait pas être défendue. Il est incroyable que quelqu’un puisse parler dans une radio de service publique pour dire une telle chose. Surtout qu’on prête à cette personne, Bernard Pivot, un grand savoir en la matière et une haute autorité.

Beaucoup de mes contemporains sortent des exemples dans lesquels les mots ont plusieurs orthographes selon leurs sens. D’où ils croient déduire la nécessité de donner une orthographe par sens et tacitement l’idée qu’il en serait bien ainsi pour tous les mots.

Tous les mots sont polysémiques. Aucun mot n’a besoin d’une écriture par sens. Pas même ceux qui en ont déjà une.

Le temps qui passe et le temps qu’il fait se prononcent et s’écrivent de la même façon. Il arrive qu’il soit nécessaire de préciser si l’on parle de l’un ou de l’autre ; cela se fait en général, à l'écrit comme à l'oral, comme je viens de le faire.

Le verbe voler qui signifie s’approprier ce qui n’est pas à soi ou se déplacer dans les airs devrait ces deux significations si hétérogènes dans le cas général, à la fauconnerie. Le faucon doit ramener un morceau de viande au terme de son vol (qu’il mange ensuite). Ainsi, il vole, il dérobe et il se déplace en l’air dans un même mouvement qui est l’objet et le but de son dressage. D’où le mot vol pour signifier ces deux choses, hétérogènes en dehors de ce cas précis, singulier et très inusité de la fauconnerie.

Je propose à Bernard Pivot et à tous les Français d’écrire voll pour le déplacement dans les airs et vol pour l’appropriation indélicate voire malhonnête.

Le mot note n'a pas besoin d'orthographes différentes selon qu'il s'agisse de note de musique, note à l’école, de note de restaurant, de note en bas de page, de notes prises dans un cours ou dans une conférence, de note informelle (« prends en bonne note ! »)...etc. Devrait-on écrire nothe, notte, nohte… etc. ? A vous écouter, oui, il le faudrait. Je doute que vous en conveniez cependant.

L’écriture du français a été déduite du latin. Pendant des siècles, les lettrés lisaient et écrivaient essentiellement le latin. Pour le français, il écrivait escrireresver... avec des lettres muettes au milieu d’un mot, survivance du latin tout proche. La connaissance de ces lettres muettes au centre des mots apportait une difficulté orthographique inutile. De 1630 à 1835, à raison d’une étape tous les douze ans environ, une grande réforme de l’orthographe a permis une démocratisation du français écrit. C’est le traitement d’un problème pédagogique qui a guidé cette évolution. Dans le même temps, une grammaire s'est constituée peu à peu : Pierre Restaut distingue l’orthographe lexicale et l’orthographe grammaticale (1732)... Ce mouvement réformateur cesse au XIXe siècle, quand on entre directement dans l’écriture du français, sans passer par le latin. À partir de 1830, l’orthographe s’autonomise en discipline scolaire. Un engouement lui donne une grande place, ce qui rend l’enseignement du français, et l’enseignement français, très formels ! La défaite de 1870 conduit à une critique de cette conception de l’école : il faudrait des Français qui connaissent la géographie, l’histoire, aient un sentiment d’appartenance nationale... Pour ce faire, Jules Ferry et Ferdinand Buisson veulent tourner l’enseignement du français vers la littérature. Ils sont accusés (déjà) de faire baisser le niveau en orthographe. Il nous faudrait une réforme de l’orthographe qui rapproche le français de cette visée fondamentale de l’écriture : « ressembler » le plus possible à la prononciation. Faute de le faire, l’orthographe est en train de devenir un instrument de sélection sociale et scolaire : les classes aisées font l’effort d’apprendre l’orthographe ancienne et figée (par conformisme, par conscience du fait que c’est un signe de reconnaissance). Cette longue suite de règles sans rationalité, assorties de nombreuses exceptions, favorise les esprits dociles, obéissants et moutonniers. André Chervel, à qui je dois cet abrégé historique, appelle à une réforme moyenne, claire et facilement exprimable : tous les noms et adjectifs prennent un s au pluriel (sauf ceux terminés par s, z ou x) ; plus de consonnes doubles au milieu des mots sauf si la prononciation l’exige (home pour homme, on garde terre, passer...). Afin de refaire de l’orthographe une discipline scolaire et de l’enseigner efficacement à tous, de la pratiquer sans angoisses, avec sérieux et légèreté.

Une réforme de 26 ans d’âge comme on dit pour le whisky, n’ayant pas du tout infusée, on continuera à défendre une orthographique canonique quasi-impraticable et une confusion orthographique, façon texto, dont on dira le plus grand mal, certain d’être soi-même dans le seul et plus grand bien.

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