Tirailleurs sénégalo-français

par Orélien Péréol
vendredi 21 avril 2017

Recension critique d'un article du Monde de Amadou Mbembé. Chronique refusée par le Monde : C'est pas les amateurs qui vont critiquer le pro. Si votre navigateur, disons, ne vous permet pas de lire l'article dont je parle, faites-moi signe en MP.

Photo Orélien Péréol

Nous n’avons pas d’idéologie d’Etat. La liberté de conscience de chacun n’est pas contrainte. Nous sommes en démocratie et nous pouvons dire tout ce que nous voyons, tout ce que nous entendons, tout ce que nous pensons. Ce principe de liberté de conscience est un peu mis en question, mais pour l’instant, il est en fonctionnement plein et entier. Sont interdits depuis longtemps, à l’exception du reste, les appels à la violence, la diffamation, les mensonges avérés, les insultes…

Il est un fait peu connu qu’un système libre comme le nôtre finit tout de même par creuser des chemins obligatoires, des ornières, hors desquelles l’expression n’est pas reçue, et à force de n’être pas reçue, pas émise. La censure arrive toute seule, sans aucun organisme pour la gérer. On arrive ainsi à recréer l’équivalent d’une idéologie d’Etat, alors que nul appareil répressif ne l’impose en punissant les contrevenants, nul texte écrit n’en explicite les lignes. La critique de cet usage systémique de la liberté arrive quelque fois sous l’appellation floue de « pensée unique ». Un système ouvert crée ses obligations, ses privilèges, ses interdits… et finalement, une tenue a priori des discours admis, possibles.

Ces lois externes à un système et qui agissent à l’intérieur peuvent se montrer dans des exemples où elles sautent aux yeux. Il n’est pas besoin de placer dans les règles du basket qu’il faut être de grande taille, ni que les jockeys doivent être petits, légers et musclés. Ces règles se rajoutent tacitement toutes seules.

Le discours sur la colonisation s’organise depuis quelque temps sur l’idée qui veut que ce soit le pire des malheurs que les humains se sont infligés les uns aux autres et que cette caractéristique ne puisse recevoir comme conséquence qu’une culpabilité totale et absolue, mère de toutes vengeances, dont la meilleure serait le renversement des rapports de force (ce dernier point n’est en général pas explicité, mais c’est tout ce qui reste comme suite possible au discours sur la colonisation ainsi disposé). Résilier n’est pas évoqué, tout comme si résilier n’était pas dans le champ du possible.

Le Président Hollande a fait accéder des soldats français d’Afrique à la nationalité française qu’ils ont perdue automatiquement à l’indépendance des colonies en 1960. Ndongo Dieng, Sénégalais, de 81 ans déclare : « Je ne comprends pas pourquoi on n’a pas la nationalité française, on est nés français, on a combattu pour la France !  »

Hamidou Anne, chroniqueur du Monde, choisit certains éléments dans cet événement, en rejette d’autres et les organise de façon à n’y voir que condescendance. Quelqu’un qui veut comprendre ce qui se passe doit intégrer tous les éléments connus de ce qu’il veut comprendre. Il ne peut en rejeter une part, à moins de disposer d’une théorie qui les lui fait refuser. C’est ce que fait Hamidou Anne. La déclaration de ses principes est au milieu de son texte : « Ces messieurs représentent pour notre génération le visage de ce que furent plusieurs siècles de négation de la dignité de l’homme africain par l’inique système de la colonisation, dont le caractère ou non de crime contre l’humanité a encore récemment fait polémique. » et « Le travail de mémoire de la France est de faire face à ses propres démons en assumant enfin sa responsabilité sur tous les crimes commis… » Face à ces déclarations, aucun fait ne pèse. Quel fait correspond à « faire face à ses propres démons » ? Redonner la nationalité française ne saurait être un acte du côté de la reconnaissance de la responsabilité de la France. Le verbe redonner ne convient pas, ils n’ont jamais été français, selon Mr Anne. Pourtant, la nation est toujours imposée. Qui a choisi sa nation ?

Cette naturalisation n’aurait qu’une seule motivation, « leur permettre d’avoir une fin de vie plus décente ». Qu’en sait-il, de l’unicité de cette motivation ? Sans compter l’idée sous-jacente qu’il serait indécent (je double ce mot intentionnellement) de vouloir une vie plus décente !

Parmi les actes qu’Hamidou Anne rejette, il y a d’abord et surtout la parole des premiers concernés, leur désir, la signature des 60 000 pétitionnaires…

Et c’est bien le propre des discours moraux : on n’y parle que de soi, au fond. On ne fait que s’y montrer, en beauté, en dignité ; on est la mesure humaine universelle et les autres ne valent pas grand-chose. D’ailleurs, pour Hamidou Anne, les pays d’Afrique ne sont pas plus à la hauteur de l’indépendance que la France n’est à la hauteur de sa culpabilité dans la colonisation. Mr Anne remplit, ce faisant, une tendance lourde qui substitue la morale, c’est-à-dire le jugement moral, aux actes et gestes politiques qui même modestes vont parfois dans une direction favorisant le vivre ensemble, ce qu’il faut faire et qu’il faudrait dire quand c’est le cas.

Dessin perso (avec mes excuses)

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