Todd et Charlie (5ème partie) : vers une guerre des religions ?

par Laurent Herblay
mardi 29 décembre 2015

Au fond, c’est bien la crainte qu’exprime ce livre. Emmanuel Todd semble craindre une véritable guerre de religion moderne contre les Français de confession musulmane, qui trouve une forme d’actualité avec les récents évènements en Corse. Mais si sa crainte est sincère, je persiste à penser qu’il ne réunit pas des éléments assez solides pour étayer sa thèse.

 
L’islam comme bouc-émissaire moderne ? 
 
Pour Todd, « l’islam est bien le bouc émissaire d’une société qui ne sait plus quoi faire de son incroyance et qui ne sait plus si elle a foi en l’égalité ou l’inégalité (…) cette islamophobie (…) est un peu modérée par un reste du sentiment universel hérité de l’Eglise, mais elle tend à être dopée par l’échec de l’euro, qui rend les couches dominantes anxieuses et les lance à la recherche d’un bouc émissaire, l’islam évidemment (…) Ce qui est réellement troublant, est l’obsession de l’islam, le discours laïciste frénétique qui se répand dans la moitié supérieure de la pyramide sociale, et qui est beaucoup plus inquiétant, au fond, que l’incrustation du vote FN dans les milieux populaires  ». Avec Pegida ou les initiatives contre la circoncision, il pointe le rôle de l’Allemagne, ce modèle dit supérieur, quand « le monde arabe est perçu comme inférieur (…) l’Europe de tradition luthérienne joue un rôle particulier de catalyseur de l’islamophobie ».
 
« Comme les juifs européens vers 1930, les musulmans de France n’existent pas. La catégorie religieuse est posée comme dénominateur commun d’un ensemble d’hommes et de femmes qui appartiennent à des groupes différents (…) si la société globale vous met dans un sac portant l’étiquette musulman, vous vous sentez musulman (…) le repli n’est pas voulu, il est imposé par une logique économique qui perturbe les mécanismes d’assimilation  ». Il note néanmoins que « des conceptions différentes du statut de la femme séparent les universalismes européen et musulman » mais pour lui, « les beurs des banlieues sont français et ont déjà, en termes de mœurs, fait les neuf ou les dix dixièmes du chemin vers une conception égalitaire des statuts de l’homme et de la femme » Pour lui, l’antisémitisme des banlieues vient d’un « universalisme que son incapacité temporaire à assimiler ou à se fondre rend raciste  ».
 
 
La France en question ?
 
Todd rend hommage à la France, qui compte « plus de citoyens d’origine musulmane, africaine, juive ou chinoise que dans toute autre nation européenne (…) Cette France fantaisiste et disciplinée, anarchiste en son cœur mais autoritaire par son Etat et par son Eglise, fascinait l’Europe, non seulement par sa devise (…), mais par sa diversité culturelle, supérieure à celle de toute autre nation  ». Il fait un lien (inégalitaire) entre nazisme et religion en Allemagne. Mais « au cœur du bassin parisien, une structure familale libérale et égalitaire régulait les conduites sociales ; en Allemagne, une structure familiale autoritaire et inégalitaire les orientait en un sens opposé  ». Même s’il ne l’évoque pas explicitement, il semble craindre qu’une France  plus inégalitaire et autoritaire, ne suive, un peu, la voie de l’Allemagne.
 
Il vise « le discours néo-républicain, qui exige laïcité et unanimité  ». Mais l’unanimisme est plus économique et européen et moins sociétal, où le débat reste vif et plutôt mieux accepté. Mais, il n’a sans doute pas tort de dire que « tout ciblage supplémentaire de l’islam comme coupable n’aboutira qu’à faire de lui un idéal d’évasion » et que « l’islamophobie a son rythme propre. Dans la mesure où elle rejette symboliquement les musulmans hors de la communauté nationale, elle est cause autant qu’effet de terrorisme  », même s’il faut veiller à ne pas rejetter toute responsabilité sur la société. Enfin, je persiste à penser que « l’islamophobie, bourgeoise inégalitaire  » est très marginale et que la réaction de la société française aux attentats est plutôt rassurante, les excès sécuritaires étant plus politiciens qu’autre chose.
 
Même si je pense que Todd prend des raccourcis, notamment par le mélange des questions identitaires et économiques, et qu’il généralise des comportements marginaux, son cri d’alarme n’est pas inutile et il pose aussi des questions intéressantes sur notre société. Conclusion demain.
 

Source : « Qui est Charlie ?  », Emmanuel Todd, Seuil


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