Trois ans après Lehman Bothers, la chute du News of the World
par Bernard Dugué
vendredi 8 juillet 2011
La nouvelle a retenti comme un séisme dans le monde des médias. Les murs des rédactions ont tremblé, y compris en Corse mais pas pour les mêmes raisons. Le « News of the world », célèbre tabloïd anglais, vient de mettre la clé sous la porte, suite à une décision de son propriétaire Murdoch, après une énième affaire d’écoute téléphonique mettant en cause des journalistes peu scrupuleux qui, pour arracher des informations, des scoops, n’hésitent pas à violer les vies privées. La dernière de ces écoutes aurait même compromis une enquête sur la disparition, puis le meurtre d’une fillette de 13 ans. Ces pratiques étaient courantes au sein de ce prestigieux tabloïd reconnu non pas pour la qualité de ses articles mais pour son chiffre de diffusion, près de trois millions, un record en Europe. On a appris que des proches de victimes des attentats de 2005 ou de soldats morts en Afghanistan eurent droit à la violation de l’intimité par ceux qu’on pourrait désigner comme une horde de journalistes sauvageons. Bien évidemment, on ne prendra pas prétexte de cette affaire pour discréditer cette profession mais on ne pourra s’empêcher de tracer une tendance et relier cet événement à l’affaire DSK qui, elle aussi, conduit à s’interroger sur la déontologie médiatique. Nul n’a mis sur écoute les protagonistes mais nombreux sont ceux qui se sont mis sur écoute, espionnant leur propres fantasmes, s’écoutant soi-même pour mieux répercuter dans les infos ce que leur entendement a bien voulu saisir de ce feuilleton où plus on avance, plus on s’éloigne de la réalité.
Le News OTW était un pilier du monde médiatique britannique et même international, un symbole du journalisme à l’anglaise, presque un monument puisque ce tabloïd fut fondé il y a 168 ans, en 1843, année où paru en France un non moins prestigieux magazine, l’Illustration, qui ne résistera pas à la guerre de 1939 et finira frappé d’interdiction à la Libération. Le New OTH aura un sort plus envieux, s’écoulant notamment à quatre millions d’exemplaires en 1939. Mais ce qui vient d’entraîner sa chute, ce sont ces pratiques outrancières devenues courantes dans plusieurs secteurs de la société. Des pratiques où la déontologie, la morale, l’éthique, la vergogne, le sérieux, le respect humain, sont complètement balayées par une horde d’affairistes qui ne jurent que par le résultat, le chiffre et l’argent. Au final, une chute qui ne manque pas d’être symbolique en cette année 2011. La « frénésie du résultat » s’est emparée des médias comme du système financier. Les médias étant régi par des règles supplémentaires, si le News OTH peut être frappé d’un dépôt de bilan, ce n’est pas en raison de la situation financière mais de son passif moral devenu insupportable aux yeux de son propriétaire. Offusqué à l’instar d’un directeur de résidence découvrant que ses locataires se livrent à des activités délictueuses dans ses logement.
L’effondrement de ce tabloïd résonne tel un 11 septembre dans le monde médiatique, renvoyant un écho à un autre 11 septembre, celui qui se produisit dans le monde de la finance en septembre 2008, entraînant la faillite d’un autre monument, une banque, Lehman Brothers, elle aussi fondée en pleine révolution industrielle comme le fut le New OTW, journal destiné aux classes laborieuses et qui est resté populaire, pour ne pas dire populiste. Lehman Brothers, banque fondée en 1850, a aussi accompagné la première révolution industrielle, s’impliquant dans le commerce du coton et le développement du rail aux Etats-Unis. Ce fleuron américain de la finance, aussi symbolique que l’est pour nous le Crédit foncier, n’aura pas résisté aux pratiques excessives de ses ingénieurs financiers. Si les entorses avec la déontologie journalistique et le respect de l’intimité ont entraîné la chute du célèbre tabloïd, alors on pourra sans grande difficulté tracer un miroir symbolique avec la déontologie financière et les graves entorses pratiquées sous forme de crédits suspects octroyés sans précaution à des ménages pas très solvables. La chute de Lehman Brothers a été causée par son exposition dangereuse aux produits toxiques contenant les fameuses subprimes.
Le spectre d’un troisième symbole hante maintenant l’Europe. La Grèce, carrément un Etat, est au bord de la faillite. Là aussi, des entorses à la « gestion saine et déontologique » ont été commises. Souhaitons à la Grèce un renflouage mais n’économisons pas notre regard attentif sur le monde. La chute de ce grand tabloïd devrait nous faire réfléchir sur une crise globale du système en ce début du 21ème siècle. On s’aperçoit que la crise est aussi de nature morale. Tous ces événements, s’enchaînant et se réfléchissant les uns les autres, illustrent le désarroi contemporain et les désordres qu’on peut relier aux excès psychiques d’individus animés par des désirs incontrôlables, de gloire, de reconnaissance, d’argent, de narcissisme. Une hybris qui si elle n’est pas maîtrisée pourrait entraîner l’effondrement du système à moyen terme.