Trois ans après les émeutes, risque de déni de justice
par hans lefebvre
mardi 28 octobre 2008
Il y a trois ans, jour pour jour, poursuivis par la police Zyed Benna et Bouna Traoré mouraient électrocutés alors qu’ils se réfugiaient dans un transformateur de la ville de Clichy-sous-Bois. Cet événement dramatique, tout autant que son traitement médiatico-politique, déclencha plus de trois semaines durant les émeutes urbaines les plus graves depuis Mai-68. Mais, aujourd’hui, justice n’est pas encore rendue aux familles des deux jeunes victimes, l’instruction perdure suite à la nomination d’un nouveau juge, ce qui fait douter certains qu’une décision intervienne un jour, au risque d’un déni de justice qui pourrait remettre le feu aux poudres. Les manifestations organisées à cette occasion par les associations AC-Le feu et Au-delà des murs voulaient ainsi rappeler la justice à son devoir.
Durant ces vingt-cinq jours d’une révolte symptomatique du profond malaise qui habite ses banlieues, la France faisait alors la une de tous les plus grands médias internationaux tant les événements furent d’une importance sans précédent.
A l’origine, il y a le décès de deux jeunes habitants de Clichy-sous-Bois, et il est essentiel de rappeler que l’interprétation précipitée du ministre de l’Intérieur a fait l’effet d’un précurseur dans le tourbillon qui va suivre, et plonger la nation dans les affres d’une révolte populaire d’une violence inouïe. En déclarant de façon péremptoire et irresponsable que les jeunes hommes décédés étaient en fait des délinquants poursuivis dans le cadre d’un flagrant délit, Nicolas Sarkozy a, de fait, provoqué l’embrasement au lieu de jouer l’apaisement. En effet, les premiers éléments objectivés démontreront rapidement que les trois jeunes hommes étaient en fait de retour d’une partie de football lorsqu’ils ont été pris en chasse par une brigade de police qui en fait les aura laissé pénétrer le transformateur électrique qui a tué Zyed Benna et Bouna Traoré, alors que Muhittin Altun sera lui gravement blessé.
Aujourd’hui, les familles des victimes crient encore justice, et leurs avocats de dénoncer la lenteur d’une justice qui sait pourtant, dans certains dossiers, faire preuve de célérité. Le questionnement est donc légitime d’une justice à deux vitesses qui semble jouer la montre dans une affaire pourtant tout à fait sensible. Deux jeunes hommes sont aujourd’hui enterrés, leurs parents se tordent encore de douleur et attendent de la République que justice soit rendue en démontrant les différents niveaux de responsabilités des protagonistes impliqués, notamment les agents de police qui sont aujourd’hui mis en examen pour non-assistance à personne en danger. Doit-on rappeler que les enregistrements radios sont entre les mains de la justice ?
Alors que les jeunes Clichois manifestaient en silence, ils arboraient une banderole explicite sur laquelle on pouvait lire « Bouna et Zyed, morts pour rien ». Un constat amer qui ne fait que se rajouter au profond sentiment d’injustice qui habite l’essentiel des jeunes qui peuplent les banlieues françaises.
Il faut aussi rappeler et marteler l’irresponsabilité de nos politiciens d’alors qui n’auront eu de cesse de propager une masse invraisemblable de désinformations digne d’une propagande immonde au sujet des émeutiers. Soi-disant organisés, menés par des personnalités criminelles de haut vol, s’employant à déstabiliser la nation afin de mieux se répandre dans les quartiers dits sensibles.
On sait désormais qu’il n’en était rien puisque certains chercheurs bien avisés se sont penchés sur la composition socio-ethnique des jeunes impliqués dans les émeutes, démontrant notamment que leurs agissements étaient plutôt improvisés et motivés par un profond sentiment d’injustice. En fait, la mort de Zyed et Bouna aura fait l’effet d’un catalyseur de toutes les frustrations subies depuis plusieurs décennies, le diagnostic étant posé depuis fort longtemps par tout ce que compte la France de spécialistes de ce phénomène. Il ne manquait plus qu’un "pompier incendiaire" pour que l’embrasement généralisé se produise, soit le ministre de l’Intérieur de l’époque maître autoproclamé du nettoyage haute pression. Faut-il rappeler ici les paroles de Nicolas Sarkozy au lendemain de l’événement tragique ? Souvenez-vous de ses propos évoquant "la piste de la délinquance" et affirmant "que les policiers ne poursuivaient pas physiquement" les trois jeunes en question, niant de manière éhontée l’évidence. Autant dire de véritables allégations mensongères et gravissimes qui n’auront fait qu’amplifier la volonté de révolte des jeunes de Clichy-sous-Bois et, par effet de contagion, nombre d’autres quartiers de relégations.
Pourtant, cette mécanique implacable n’était pas la première du genre, l’histoire démontrant qu’à l’origine de chaque crise dans les banlieues il y a toujours une cause similaire, en l’occurrence l’inconduite notoire des forces de l’ordre provoquant la mort d’un citoyen habitant les quartiers populaires. Tout responsable politique digne de ce nom sait parfaitement cela. Dès lors, son rôle est d’apaiser les tensions et non de jouer les artificiers en zone sensible, ce que ne manquera pas de faire le ministre de l’Intérieur, qui, au soir du 30 octobre, récidivera en faisant une nouvelle déclaration scandaleuse au journal télévisé, traitant les jeunes de "voyous", et rendant un hommage appuyé aux forces de l’ordre. Le soir même de ces déclarations, des CRS lanceront une grenade lacrymogène dans une mosquée de la ville.
Il n’en fallait pas plus pour que la contagion gagne de nombreuses communes, 300 au total, alors que les émeutes se prolongeront trois semaines durant.
En ce jour anniversaire, il fallait impérativement rappeler cette vérité en mémoire de Zyed et Bouna, deux jeunes « morts pour rien », victimes d’une société qui met à l’écart une population par le biais d’un mécanisme de ghettoïsation implacable, tout en étant dans le déni total des pages les plus noires de sa propre histoire.
Alors, à tout le moins, il est impératif que justice soit rendue en pareils cas afin d’apaiser la douleur des familles, tout en éteignant le feu de l’injustice qui brûle au sein des banlieues françaises. Cela n’a aucun coût financier et permettrait de restaurer la confiance dans cette République qui pourtant ne manque jamais de se draper dans les habits prestigieux des droits de l’homme.
Pourtant, en l’état, il ne fait aucun doute que la France connaîtra encore de tels événements, certainement encore amplifiés par une rancœur qui ne cesse de s’accumuler, la nation n’ayant pas jugé bon de tirer leçon de tous ces précédents.
Bibliographie non exhaustive :
- Mon délit ? mon origine, ouvrage collectif, De Boeck université
- De l’affrontement à l’esquive, Hugues Lagrange, Syros
- Violences et insécurité, Laurent Mucchielli, La Découverte
- Quand les banlieues brûlent, Laurent Mucchielli, Véronique Le Goaziou, La Découverte
- La Discrimination négative, Robert Castel, Seuil
- La Volonté de punir, Denis Salas, Hachette
Histoire :
- Le Livre noir du colonialisme, Marc Ferro, Hachette
- Le Code noir ou le Calvaire de Canaan, Louis Sala-Molins, PUF
- Marianne et les colonies, Gilles Manceron, La Découverte
- Les Damnés de la terre, Frantz fanon, La Découverte
- Massacres coloniaux, Yves Benot, La Découverte
- Histoire des Français venus d’ailleurs, Vincent Viet, Tempus