Trump et l’Ogre Génialement Monstrueux
par Monolecte
samedi 25 février 2017
Pourquoi ne pas admettre que l’Amérique du Nord ne pouvait espérer meilleur président que Donald Trump ? Pour quoi ne pas admettre qu’elle s’est choisi un président à son image, conforme à sa réalité socioéconomique et non à son storytelling qui s’avoue lui-même bâti sur des rêves ? Pourquoi ne pas admettre que Donald Trump est celui qui incarne le mieux l’arrogance fondée sur une profonde ignorance, l’agressivité d’une société qui refuse d’objectiver les causes de son déclin et qui célèbre comme valeur absolue de la réussite et du succès le fait de savoir entasser un maximum de pognon pour soi, au détriment de tous les autres ?
Bien sûr, l’Amérique des jeunes urbains éduqués ne peut que très mal vivre un personnage dont la grossièreté ne souligne que plus cruellement l’aveuglement d’une petite élite qui concentre tous les pouvoirs, tous les avantages, toutes les ressources entre leurs mains, tout en rejetant la responsabilité des inégalités béantes, de l’illettrisme galopant et d’un état sanitaire qui n’a rien à envier aux pays du tiers monde sur le dos de leurs victimes. Bien sûr que les cercles politiques et médiatiques s’insurgent de se voir frontalement mis en concurrence au festival de la mauvaise foi et de la sélection des faits qui arrangent. Bien sûr que l’ensemble de l’humanité est horrifiée de voir toutes les obsessions, toutes les déviances, toutes les profondes imbécilités du modèle unique du développement capitaliste incarnées brutalement en un seul homme.
Mais voilà, Trump n’est même pas une caricature. Il est très exactement la concrétisation des valeurs de notre époque, de notre monde, de notre civilisation et on le trouve si pathétique, effrayant, médiocre et inquiétant, alors il serait temps que nous nous regardions dans le miroir avec un esprit critique quelque peu acéré.
Trump n’est pas une erreur de casting, il est juste le produit de son époque.
Les apprentis sorciers
Comprendre l’esprit Trump, c’est aller déterrer l’arrogance irresponsable là où elle se dissimule le mieux, dans les atours fascisant de la science sans conscience. On va se rassurer à bas prix en se gaussant de l’électorat du Trump, lequel est du genre à penser que la terre est plate et que le monde s’est fait en 6 jours, mais c’est faire l’impasse sur le fait fondamental que ces gens ont au moins l’excuse d’avoir été privés d’une éducation de base suffisante par l’avidité et le mépris de ceux qui sont si prompts à s’ériger en donneurs de leçons et si médiocres à l’autocritique. Il n’y a nulle grandeur à se moquer des ignorants et c’est d’autant plus vrai qu’on en fait le plus souvent partie et ce, d’autant plus, qu’on a la ferme conviction du contraire.
Prenons les OGM. Voici une zone de combats idéologiques de forte intensité qui depuis des décennies voit les défendeurs du progrès et de la science être entravés dans leurs efforts d’améliorer la vie sur terre par des ramassis d’arriérés hirsutes et incultes, des cryptonéandertaliens qui voudraient renvoyer l’humanité dans ses grottes à se chauffer à la bouse de mammouth. Mais voilà, le peuple est peureux, le peuple est influençable, le peuple écoute les populistes, les jeanfoutres, les réactionnaires et le peuple refuse de se soumettre au progrès des OGM. Il ne veut pas en bouffer, pas en boire, ni même en cultiver, pour les bornés d’entre eux.
Pourquoi Monsanto quitte-t-il un pays qui devait servir de zone pilote afin de pousser les agriculteurs ouest-africains à adopter les semences transgéniques ? En réalité, les agriculteurs burkinabè n’ont pas réussi à améliorer leurs rendements avec le Coton BT que Monsanto leur avait fourni. Ils ont également été déçus par la qualité de la fibre. C’est pourquoi cette saison, ils sont retournés à leurs vieilles amours : un coton sans OGM, une semence nettement moins chère et reproductible localement. Ils attendent une production de 700.000 tonnes et ne devront pas un seul sou à Monsanto.
Source : Semences OGM : l’américain Monsanto échoue au Burkina Faso et quitte le pays
Saluons l’abnégation de ces sauveurs de l’humanité qui doivent faire preuve de tant d’inventivité pour sauver le monde de la faim malgré lui :
Allez-vous bientôt boire des bières aux OGM ? C’est ce que craignent de nombreuses organisations de lutte contre les organismes génétiquement modifiés. À l’origine de leur inquiétude, l’attribution de deux brevets par l’EPO (office des brevets européens) [1] en avril dernier à Heineken (Pelforth, Desperados, etc.) et Carlsberg (Kronenbourg, 1664, etc.), deux groupes respectivement troisième et quatrième brasseurs mondiaux. Les deux brevets leur permettent d’utiliser de l’orge génétiquement modifiée afin, selon les deux marques, de créer de nouvelles saveurs pour leurs bières. Mais selon les opposants aux OGM, il s’agit d’un nouveau cas « d’OGM cachés ».
Source : Heineken et Carlsberg étudient des bières aux OGM cachés
Puisque les OGM n’ont pas pu être imposés en dépit des admonestations de ceux qui savent ce qui est bon (surtout pour eux, en fait !), passons donc aux OGE, les Organismes Génétiquement Édités. En fait, non, on ne va même pas nommer le procédé, puisqu’il ne s’agit que d’améliorer la nature défaillante, comme chacun l’aura bien compris…
Tout commence pourtant dans l’euphorie, en 2012, lorsqu’une Française, Emmanuelle Charpentier, et une Américaine, Jennifer Doudna, inventent les « ciseaux à découper l’ADN ». Ils sont alors présentés comme une avancée majeure de ce début de siècle. Ses co-découvreuses collectionnent les prix et sont régulièrement annoncées pour un Nobel. Il faut dire que cette découverte pourrait permettre de traiter des cancers et des maladies génétiques jusqu’ici incurables.
CRISPR Cas9, c’est l’association d’un brin d’ARN (de l’ADN à une seule hélice) qui sert de guide à une enzyme (CAS9) permettant de couper, remplacer, inactiver, modifier le gène que l’on cherche à atteindre.
Source : CRISPR Cas9 : la dernière folie de la génétique
L’enthousiasme du petit enfant
Nous sommes exactement comme le petit enfant qui a identifié quatre lettres de l’alphabet sur ses cubes et qui, à partir de ça, s’est mis en tête de réécrire l’intégrale de Shakespeare, mais en mieux.
Certes, les implications éthiques d’un accès élargi et facilité à la modification génétique sont fréquemment évoquées lors des présentations de CRISPR-Cas9 dans les médias grand public. Mais elles le sont presque toujours à minima, se limitant bien souvent à mentionner les possibilités de dérapages ainsi offertes à quelque docteur Folamour, ou à la question de la modification génétique de l’humain. Les questions plus vastes et plus fondamentales sont généralement évacuées. On peut citer : le modèle économique du développement de ces technologies qui repose largement sur le brevetage du vivant, l’usage massif de promesses miraculeuses pour en faire la promotion, et ainsi attirer des financements et gagner l’approbation du public, ou encore l’identité des bénéficiaires réels de ses retombées.
Pour l’Académie des Sciences, les questions éthiques sur CRISPR-Cas9 ne se discutent que dans un entre-soi composé d’experts ayant une vision obsolète de la génétique et apparemment acquis à cette technologie. Il ne faudra pas s’attendre à ce que cette institution aille au-delà de réflexions partielles et convenues déjà lues ici ou là. Un regard aux résumés des présentations suffit à se faire une idée.
Georges Pelletier, agronome à l’Institut National de la Recherche Agronomique (INRA), parlera de la modification du génome des plantes cultivées. Selon lui, CRISPR-Cas9 permettra de diversifier les plantes cultivables, et il estime qu’
« il serait éthiquement contestable d’en exclure de fait l’usage [de l’édition génétique] par une règlementation inadaptée, voire par la diabolisation de ces produits, si l’on veut un partage équitable des productions agricoles alors que, face aux évolutions démographique et climatique, les conditions futures de l’agriculture sont hautement incertaines ».
Voilà un débat éthique entendu ! Ainsi donc, les problèmes alimentaires seront résolus par la technologie et elle seule. Réguler ses usages ne fera que retarder l’innovation grâce à laquelle, demain, chacun mangera à sa faim. C’est faire bien peu de cas des facteurs politiques et socioéconomiques à l’origine des problèmes de malnutrition à l’ère du gaspillage alimentaire… Quant à la notion de partage équitable des productions agricoles, on a vu ce qu’il en était avec l’exemple des OGM traditionnels qui alimentent en priorité l’élevage industriel et les réservoirs des automobiles, et aggravent l’abandon des cultures vivrières.
La manipulation génétique des animaux d’élevage sera ensuite traitée par Jean-Paul Renard, lui aussi agronome à l’INRA. Son exposé présentera « plusieurs exemples où le recours prudent à CRISPR-Cas9 peut permettre de mieux respecter l’animal, son bienêtre et son environnement ». Si la question du bienêtre animal semble une réflexion authentique de la part de Jean-Paul Renard, la formulation ci-dessus interroge, c’est le moins qu’on puisse dire. Faut-il comprendre que pour assurer le bienêtre des animaux dans les systèmes d’élevage intensif, il faudrait non pas repenser les conditions d’élevage, mais plutôt modifier génétiquement les animaux afin de mieux les adapter à celles-ci ? En effet, CRISPR-Cas9 a déjà été utilisée aux États-Unis pour concevoir des vaches sans cornes, moins susceptibles de se blesser en évoluant dans l’espace ignoblement restreint des élevages intensifs. La modification génétique des animaux domestiqués par un coup de « couteau suisse moléculaire » serait donc le moyen de rendre les méthodes d’élevage intensif compatibles avec le respect de la condition animale…
Source : CRISPR-Cas9 à l’Académie des Sciences : l’éthique au temps du carnaval.
Retirer génétiquement les cornes de toute une espèce animale pour pouvoir encore mieux ensuite la réduire à l’état de matière première uniquement dédiée à l’optimisation du profit d’une poignée d’entre nous est une vision du progrès que je peine à partager. Penser qu’une mutilation génétique est plus tolérable qu’une mutilation mécanique est un dévoiement intellectuel qui permet à peine de mesurer l’étendue de la servitude de la science à l’industrialisation du vivant. Cet aveuglement se partage de manière incertaine entre la plus profonde malhonnêteté et l’ignorance sélective la plus crasse.
Comment des personnes se prétendant de l’héritage scientifique peuvent-elles réellement s’assoir sur le fait que nous sommes profondément des illettrés du vivant ? Que nous sommes encore actuellement incapables de faire mieux que de déchiffrer très péniblement et très partiellement le langage du vivant et que nous sommes encore loin de comprendre la grammaire très fine que peut être la coévolution des espèces, le dynamisme biologique des milieux ou le fonctionnement de la mémoire génétique des individus ?
Nous voilà donc — gonflés de prétention et de fatuité, convaincus du fond de la sordide petite arrogance qui caractérise les ignorants — que nous allons mieux faire que des millions d’années de foisonnement du vivant. Et nous sommes les mêmes — exactement les mêmes — à ne pas comprendre comment Trump a pu devenir le nouveau maitre du monde.