Twitter, un outil au service du narcissisme contemporain

par Bernard Dugué
lundi 16 août 2010

Cette fois ça y est, je me suis décidé, non pas à ouvrir un compte Twitter, mais à consulter la notice Wikipédia concernant cet outil de communication dont on cause et qui œuvre pour la bonne cause des réseaux sociaux, autre notion émergée du Net. J’ai donc appris que Twitter est un mot formé à partir de tweets, autrement dit, les gazouillis, et ma foi, je me suis dit que ce sont de drôles d’oiseaux, ces gens qui gazouillent sur le Net, parfois au risque de paraître oiseux, ou carrément oisifs ou alors complètement à côté de la plaque comme ce sénateur pris dans les mailles du filet en train de twitter pour soi-disant partager d’intenses moments vécus lors d’une célébration religieuse, dans une enceinte sacrée s’il en est, une église, oui, même dans une église on peut twitter, preuve pas très orthodoxe d’une présence en tous lieux de l’esprit saint. Twitter a connu une fulgurante croissance en France puisqu’en 2008, seul 4% des Français connaissaient cet outil, alors qu’en 2009, le pourcentage était de 28 et qu’en 2010, je fais enfin partie de ces gens qui savent ce qu’est Twitter, bien que n’ayant pas de compte ni d’abonnement. D’ailleurs, je n’ai pas l’intention d’utiliser cet outil et je compte bien tenir mes engagements, moi qui ne possède pas de téléphone mobile et ne compte pas m’équiper de sitôt.


Figurez-vous que je viens de recevoir le prix Groucho Marx pour avoir créé le réseau asocial, composé de ceux qui n’ont pas de compte Facebook, Twitter, ni de téléphone mobile. Le réseau asocial est le seul réseau dont les membres ne peuvent communiquer ensemble et de plus, s’ignorent mutuellement. Le réseau social à l’inverse, c’est un peu la subtile rémanence des aspirations à la vie communautaire prisées par quelques gauchistes et autres babas cool du début des seventies. Or, ces aspirants à vivre comme des hippies se sont vite aperçus que la vie communautaire avait beaucoup d’inconvénients. Faire la bouffe, la vaisselle, rester stoïque quand sa femme partait coucher avec un autre, gérer le budget, éviter qu’un mâle dominant ne se serve des autres… Bref, adieu la vie communautaire mais pas les amis, car avec Twitter et Facebook, vous pouvez vous sentir ivres de partage et de convivialité sans vous poser la question de qui va faire la vaisselle. Vous pouvez aussi épater vos connaissances en twittant que vous faites du tennis sans avoir à subir les ricanements de vos amis alors que vous pratiquez ce jeu comme un manche. Par contre, si vous twittez pendant la messe, vous risquez de vous faire sermonner, comme le sénateur Alain Lambert pris la main sur le clavier, écrivant deux phrases pendant une messe célébrée à Ménil-Jean.


Mais pourquoi ce sénateur s’est-il pris d’une envie soudaine d’écrire sur Twitter ? Est-ce pour accroître son œuvre littéraire afin de postuler à l’Académie française ? Jugeons en par la qualité poétique de ces deux phrases capables d’ébaubir un Fabrice Luchini qui y verrait la patte de Céline : « La messe va commencer à Ménil-Jean » ; « Un baptême est célébré pendant la messe ». Soyons honnête et sachons apprécier la syntaxe parfaite de ces deux phrases sénatoriales livrant des informations de la plus haute importance. Car parfois une messe ne commence pas, comme ce 15 août à Lourdes, à cause d’une alerte à la bombe. Ensuite, quel ravissement que d’apprendre qu’un baptême y est célébré. C’est important de le savoir. Mais quand vous twittez depuis un stade, vous ne pouvez pas écrire qu’un baptême y est célébré. A moins que vous n’ayiez l’intention de faire savoir à vos potes que vous venez de finir la vodka passée à l’insu du service d’ordre dans une bouteille en plastique.


La morale de cette histoire, c’est que la morale est sauve. Notre sénateur jura qu’on ne l’y prendrait plus et supprima le lendemain de la faute son compte Twitter. L’histoire ne dit pas s’il est allé se confesser auprès du curé de Ménil-Jean. Et par delà la morale, quelle leçon pouvons-nous tirer sur l’usage intempestif de cet instrument de communication, prisé non seulement par les ados mais aussi par des gens de grande notabilité comme les politiciens qui semblent même en faire une religion, confondant communion et communication, Twittant à tous vents pour partager l’eucharistie du présent et du bougisme ? Sacre du présent, penserait le sociologue Zaki Laïdi. En analysant un peu plus ce phénomène, nous pourrions y déceler quelques traits accentués du narcissisme contemporain. Finalement, qu’est-ce twitter, sinon se montrer qu’on existe en jouant de la communication et du sentiment que chacun de nos actes sera réceptionné par une flopée d’internautes. Etrange, ce désir de vouloir faire partager les moments vécus. Ce travers fait immédiatement penser à des classiques de la vie sociale. Vous avez tous pu assister à ces matchs de tennis où le joueur se retourne après un coup gagnant afin de voir la réaction des rares spectateurs et autres badauds de passage. Au restaurant, il ne vous a pas échappé que certains convives parlent à haute voix, visiblement pour qu’on puisse les entendre depuis les tables adjacentes. Vous êtes alors au courant des exploits sexuels, de la récente promotion, ou du nouveau coupé de votre voisin de table. Prenez une file d’attente au cinéma, que vous aurez les mêmes vociférant pour faire entendre à la cantonade qu’ils ont acheté une villa avec piscine ou que le petit dernier a réussi son concours. Où que vous soyez dans un lieu public, vous aurez l’occasion de côtoyer ces drôles d’oiseaux décidés à hausser la voix pour vous faire partager quelques tranches de leur existence. Twitter ne fait que répondre à ce désir narcissique d’exister à travers le regard des autres. Il suffit de peu d’efforts. 140 signes. Dites ce que vous faites. Sans réfléchir. Mais ne rêvez pas, vous ne serez jamais un VIP mais pourvu d’une IP, on vous prendra pour une importante personne, rien de moins, ni de plus.


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