Ubu chez Jules Ferry

par C’est Nabum
jeudi 9 janvier 2014

Segpa ... drôle ! 

Je préfèrerais que ce soit une fiction …

Quinze jours de vacances, vous deviez vous ennuyer de ma fameuse classe ingérable. N'ayez crainte, la rentrée ne vous décevra pas ! Cette fois, nous atteignons le sublime, l'œuvre d'art magnifique, la performance sans égale. Et pour ne pas être en reste, notre administration centrale vient mettre son petit grain de sable, histoire d'enrayer encore un peu plus un engrenage en décrépitude …

Vous vous souvenez sans doute du calvaire du pauvre M..., le maudit dans cette classe où tout travail scolaire est considéré comme une offense, un crime de lèse-cancre. Le malheureux avait l'outrecuidance de vouloir suivre les cours, il dépassait la mesure en étant bien souvent le seul à rendre les devoirs ; il provoquait ses camarades par ses bonnes réponses et son envie de savoir.

Il a payé fort cher ce comportement inacceptable. Coups, injures, harcèlement, humiliation, appelez son calvaire comme vous voulez, c'était parfaitement odieux, totalement insupportable mais monstrueusement banal dans certaines classes, hélas. Quand sa famille s'est décidée à le retirer de cet enfer, n'en pouvant plus d'attendre une décision administrative de changement d'établissement, elle a osé le dépôt de plainte.

Les enseignants furent entendus par la police avant les vacances scolaires. Durant celles-ci, les quelques élèves qui n'avaient rien à se reprocher furent entendus eux aussi comme témoins. Lundi matin, dans la classe, il y avait quelques interrogations parmi les huit élèves présents (trois camarades étaient en exclusion avant un conseil de discipline et deux dans la nature). Les autres s'interrogeaient : « Pourquoi eux sont-ils allés au commissariat et pas nous, qui en avons fait des vertes et des pas mûres à M.... ? »

La question sera de courte durée. Le cours suivant, des policiers sont venus chercher trois élèves pour les entendre sous le régime de la garde à vue. Si nous ajoutons les quatre autres qui étaient sur la liste des bourreaux, c'est sept élèves sur quatorze qui allaient se retrouver dans la succursale de notre établissement : le commissariat central. Je ne doute pas que l'affaire fut rude à encaisser pour ma collègue qui eut à vivre ce moment bien délicat.

Si vous croyez que la pauvre femme en avait assez subi pour sa journée de reprise, vous vous trompez lourdement. Cette jeune enseignante, remplaçante d'une collègue jusqu'alors en congé de maternité, apprit juste après cette épreuve, qu'elle devait l'après-midi même, traverser toute l'agglomération pour prendre durant deux jours, une autre classe. Elle eut beau s'écrier que, dans notre établissement même, une collègue était elle aussi absente pour la semaine et que les conditions n'étaient pas idéales pour supporter en plus la vacance d'un poste, rien n'y fit.

L'administration centrale gère des dossiers, des flux d'individus sans aucun souci de la réalité du terrain ; elle ne prend en effet jamais la peine de s'enquérir du contexte auprès des responsables locaux . La jeune collègue n'était qu'un pion qui devait changer de case en dépit de l'incongruité de cette demande ce jour-là précisément. Nous avions sans aucun doute besoin de toutes nos troupes pour affronter le prochain retour de la horde …

L'administration centrale est sourde aux difficultés et sans état d'âme ; c'est ce qui en fait sa grandeur et sa force. C'est du moins la version officielle de la chose. Quand vous saurez que la déplacée contre son gré ne trouva face à elle que deux élèves et que nous dûmes en laisser seize autres sans enseignante, vous pouvez mesurer la pertinence de cette décision irrévocable. Ubu est roi chez Jules Ferry et la mère Ubu doit être responsable des ressources humaines !

Ajoutez que cette collègue devra retraverser l'agglomération pour être entendue aux trois conseils de discipline qui se tiendront le lendemain en fin de soirée et qu'elle fera cela pour la gloire car, contrairement aux professeurs de collège, les instituteurs spécialisés exerçant en Segpa, ne bénéficient pas de l'indemnité de Suivi et d'Orientation qui prend en compte ces petits suppléments au programme.

Pour revenir au sujet initial, nous apprenons en fin de journée que nos lascars passeront la nuit en garde à vue. Je vous laisse imaginer leur état à leur retour. Des familles se sont déjà signalées de manière particulièrement virulente. Le verbe haut, elles sont venues hurler leur indignation. Curieusement, elles n'en ont pas profité pour réclamer un bulletin qu'elles avaient omis de venir quérir …

Lors de ce fameux retour, il manquera donc une enseignante alors que nous en avions une sous la main. Aucun lien n'a dû être établi entre les différents services de notre bonne et si lointaine administration centrale. J'avais signalé que cette situation ubuesque mériterait un accompagnement voire une aide, lorsque l'affaire éclaterait. Au lieu de quoi, on nous met en difficulté au nom du pragmatisme si cher aux gestionnaires loin de la zone de combat.

Je vous tiendrai naturellement informé de la suite des opérations. De votre envoyé spécial, correspondant de guerre scolaire et enseignant taillable et corvéable à merci. Heureusement, nous sortons des vacances, les troupes sont encore fraîches mais pour combien de temps ?

Ahurissement leur.


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