Un autre regard sur la crise à Air France
par Laurent Herblay
samedi 3 octobre 2015
Bien sûr, dans la crise entre la direction de la compagnie aérienne et ses pilotes, à première vue, on peut être tenté de ne pas plaindre ces pilotes qui gagnent très bien leur vie et à qui on demande de travailler une centaine d’heures supplémentaires. Mais les choses ne sont pas si évidentes.
Derrière les apparences
Bien sûr, la communication de la direction d’Air France est simple. Des pilotes corporatistes menaceraient l’avenir de l’entreprise, au point de lui imposer de réduire la voilure et d’imposer des milliers de suppression de postes. Les demandes ne seraient pas déraisonnables, puisqu’il s’agirait de s’aligner sur les concurrents européens. Les pilotes voleraient « 690 heures par an sur le moyen-courrier contre 585 aujourd’hui et 780 heures par an sur le long courrier contre 685. Les temps de repos des pilotes seraient plus courts (…) Idem pour les PNC. La direction cible 650 heures de vol par an sur le réseau moyen courrier (contre 550) et 750 heures de vol par an sur le réseau long courrier (contre 650). Selon la direction, les coûts à l’heure de vol seraient de 40% pour les PNC et 20% pour les pilotes ».
Mais cette présentation des choses est un peu courte. Déjà, raisonner en heure de vol est aussi partiel que partial. Les syndicats contestent les chiffres de la direction, qu’ils comparent aux autres grandes compagnies européennes. Il est bien évident que les compagnies à bas coûts ont sans doute pu embaucher à bas prix avec un chômage aussi élevé… D’ailleurs la compétition n’est pas loyale, notamment avec les compagnies du Golfe, qui bénéficient d’avantages colossaux et auquel le gouvernement continue pourtant d’accorder de nouveaux créneaux en France… En outre, on peut comprendre que les syndicats contestent ces nouveaux efforts alors que la compagnie s’est redressée, au point qu’elle va dégager 300 millions de profits en 2015. Enfin, il est étonnant que l’on oublie l’opposition des PNC…
Une logique détestable
Bien sûr, quand le capitalisme actionnarial s’attaque à des personnes qui sont au sommet de la pyramide, il est plus difficile de trouver des personnes qui les soutiennent. Après tout, les pilotes gagnent 75 000 euros au début de leur carrière et les commandants de bord plus de 10 000 euros bruts par mois. Qu’ils volent une centaine d’heures de plus par an ne semble vraiment pas déraisonnable. Mais d’abord, après le drame du krach d’un avion en France, on peut penser que ce métier mérite un salaire plus important que la moyenne. Après tout, il y a quelques décennies, les pilotes ne devaient pas gagner moins que les joueurs de football ou les traders. Est-il juste que la rémunération de ces derniers se soit envolée, et pas celles des pilotes, qui suivent pourtant des études et des formations très dures ?
Plus généralement, ce n’est pas parce que la loi de la jungle capitaliste s’attaque au haut de la pyramide qu’elle est plus acceptable. Ce faisant, cela illustre les théories de Piketty, Stiglitz ou Todd, pour qui les inégalités ne se mesurent plus au niveau des 10% qui gagnent le plus, mais au niveau des 1 ou même des 0,1% les plus riches, dont les rémunérations s’envolent, comme on le voit pour les patrons du CAC 40, qui gagnent aujourd’hui en moyenne plus de 4 millions par an. Ce qui se passe à Air France ne s’inscrit-il pas dans le rançonnage de 99% de la population par le 1% du haut ? Ce qui se passe pour les pilotes n’est-il pas que la réplique de cette quête délétère de compétitivité.
D’ailleurs, les surprenantes critiques du patron de la CFDT contre le syndicat des pilotes, après celles du Monde l’an dernier lors de la grève, poussent au contraire à prendre du recul sur la dénonciation trop facile du corporatisme des pilotes et se pencher sur le triste courant de notre époque.