Un bien portant est un malade qui s’ignore
par la fourmi
jeudi 20 juillet 2006
Une part du déficit de la Sécurité sociale est certainement due au fait que les acteurs de santé ont tout intérêt à développer des stratégies pour maintenir et développer leur activité, si l’on en croit Le Monde diplomatique, le Professeur Béraud et cette récente étude d’un spécialiste américain de l’anthropologie médicale.
Depuis son bureau situé au cœur de Manhattan, M. Vince Parry
représente le nec plus ultra du marketing mondial. Expert en publicité,
il se spécialise dorénavant dans la forme la plus sophistiquée de la
vente de médicaments : il s’emploie, de concert avec les entreprises
pharmaceutiques, à créer de nouvelles maladies. *
Pourquoi le nombre de malades va-t-il croissant ?
Il y a au moins trois raisons à cela, selon Claude Beraud, professeur honoraire à l’Université de
Bordeaux et ancien vice-président de la Commission de la transparence
de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (1) :
- La première est liée à l’allongement de la durée de la vie.
- La deuxième est due à l’accroissement considérable des maladies chroniques (diabète, Sida,obésité, asthme...).
- La troisième relève d’une véritable stratégie de promotion de la maladie mise en oeuvre depuis une dizaine d’années par l’ensemble des acteurs de soins.
Selon Le Monde diplomatique (2) : "Il y a une trentaine d’années, le dirigeant
d’une des plus grosses firmes pharmaceutiques au monde tint des propos
fort éclairants.
Alors proche de la retraite, le très dynamique
directeur de Merck, Henry Gadsden, confia au magazine Fortune son
désespoir de voir le marché potentiel de sa société confiné aux seuls
malades. Expliquant qu’il aurait préféré que Merck devînt une sorte de
Wrigley - fabricant et distributeur de chewing-gums -, Gadsden déclara
qu’il rêvait depuis longtemps de produire des médicaments destinés
aux... bien-portants. Parce qu’alors Merck aurait la possibilité de
« vendre à tout le monde ».
Trois décennies plus tard, le rêve de feu
Henri Gadsden est devenu réalité ".
Une étude de Kalman Applbaum, professeur d’anthropologie médicale à l’Université du Wisconsin Milwaukee, parue récemment dans PLOS est aussi éclairante : "Le marketing pharmaceutique et l’invention du consommateur médical".
Je cite : "Puisque nous croyons que nous devons à des entreprises notre santé et notre
bien-être, nous tendons à ne pas remettre en cause les pratiques fondamentales de ces sociétés, et finalement nous ne rendons plus compte de ce problème".
Le scandale du Vioxx est à ce titre éclairant (3).
Mais d’autre part, le consommateur est-il raisonnable ? Il n’y a pas de vendeur sans acheteur/consommateur, c’est la loi du marché. Il est plus facile de prendre des pilules que d’avoir une bonne hygiène de vie, et ça, l’industrie pharmaceutique le sait très bien.
Le Pr Beraud parle de l’ensemble des acteurs de soins, et il fait aussi naturellement allusion au corps médical. L’industrie pharmaceutique ne peut prospérer sans le soutien des médecins. Quant aux médecins, ceux-ci doivent répondre à une demande insistante de patients qui , encore trop souvent, attendent un soulagement immédiat sans effort.
Pour résumer, je citerai un journaliste canadien, qui écrivait
dans un article paru en 2002 (4) : "... Prévention, alimentation
équilibrée, environnement sain, équilibre psychique, thérapies diverses
importent au moins autant qu’un apport pharmaceutique. La voie qu’on
propose n’a rien d’un choix... L’industrie se trouve dans un conflit
d’intérêt patent, estiment ses critiques. Si elle avait à cœur de
contribuer à la santé publique et au soulagement des malades, la voie à
suivre serait toute traçée. Elle n’aurait qu’à soutenir financièrement
la formation du personnel et l’éducation scientifique du grand public."
Si l’industrie pharmaceutique a des torts, elle n’est pas seule en cause. Les acteurs de santé, dans leur ensemble, jouent un rôle, sans oublier les patients qui ne doivent pas se comporter en consommateurs invétérés.
Et si on doit jeter la pierre à quelqu’un, attention de ne pas se tromper de cible. Il s’agit d’un phénomène de choix de société et de culture et, pour détourner une citation maintenant célèbre, nous pourrions dire : tous responsables, tous coupables ! Mens sana in corpore sano (5).
* Le Monde diplomatique de mai 2006 .
1. in "L’actualité médicale vue par le Pr C. Béraud" n°1 mai 2006.
Claude Béraud est membre du Conseil médical et scientifique permanent
de la Mutualité française.
2. Pour vendre des médicaments, inventons des maladies
Le Monde diplomatique de mai 2006.
3. Après le scandale du Vioxx les laboratoires
4. Le marketing douteux du lobby pharmaceutique.
5. Voir l’edito sur l’impact de l’activité physique sur les affections neurodégénératives www.tregouet.orgwww.tregouet.org