Un Houillon, deux Peyrat ?
par Philippe Bilger
vendredi 21 septembre 2007
Décidément, j’aime de plus en plus l’acteur Daniel Auteuil. Outre son mariage qui avait représenté un contraste absolu et bienfaisant avec le blockhaus "friqué" et officiel des épousailles de Jean Reno, j’aime sa manière de ne pas se payer de mots. Par exemple, dans Paris-Match de cette semaine, il avoue que sa maison en Corse est magnifique, mais qu’elle lui coûte cher et que de ce fait il ne peut plus tourner des films d’auteur. Quel talent pour remettre à leur place, sans avoir l’air d’y toucher, les grandes consciences qui tournent en dérision ceux que leur ventre vide peut légitimement préoccuper ! Cela fait du bien d’entendre un artiste avouer qu’il aime le public parce qu’il a besoin d’argent.
J’ai accompli durant la matinée un exercice stimulant. Grâce à un journaliste qui transmettait aussi vite que je parlais, j’ai pu dialoguer avec une quarantaine d’internautes sur le site du Nouvel Obs. Certains de mes propos ont été publiés, fidèlement certes mais quand je lis en titre "Rachida Dati n’a pas été choisie pour sa compétence", j’aurais aimé que le contexte soit précisé et mon argumentation développée... Sans doute suis-je enclin à considérer naïvement qu’elle est connue dans ses détails grâce à mon blog. Je suis aux antipodes de la dérision institutionnelle et n’ai aucune envie de voir remplacer Nativel par Bilger !
Je voudrais consacrer l’essentiel de mon propos à une appréciation étrange de Philippe Houillon, rapportée par Le Monde. Ce parlementaire avocat connu pour son rôle dans la commission d’Outreau va affronter aux municipales le magistrat en disponibilité Didier Peyrat, qui est soutenu par le PC et le PS.
Philippe Houillon déclare "On a fait ce qu’il fallait", puis ajoute cette allégation sous une forme apparemment interrogative : "Et puis les gens préfèrent les avocats aux magistrats, non ?"
S’il s’agit d’une boutade, elle n’est pas foncièrement drôle, mais chacun ses goûts. Mais il me semble qu’elle rejoint plutôt le sentiment profond de cet avocat, qui croit ainsi exprimer un point de vue partagé par beaucoup. Outre qu’une telle position est en elle-même insultante, je crois que désirant se fonder avec démagogie sur l’opinion publique, elle est de surcroît fausse.
Ce n’est pas parce que cette immense tragédie d’Outreau a existé et qu’elle a principalement mis en cause des magistrats, que le corps judiciaire serait en permanence atteint par contagion d’une sorte d’infirmité, qu’il serait en quelque sorte dégradé. Je sens ce qu’il peut y avoir d’apparemment habile dans cette volonté de sauver la mise des avocats, d’accabler la totalité d’une institution sous couvert de la grave carence de quelques-uns. Rien, en tout cas, ne permet de préjuger que l’esprit public serait naturellement et par principe favorable aux avocats et hostile aux magistrats.
Certes, on peut constater, ici ou là, une adhésion plus forte à la fonction de défense qu’à notre mission générale de restauration de l’ordre et d’apaisement des conflits. Sans doute parce que nous n’avons pas bien su communiquer et que les médias diffusent plus volontiers, en matière pénale, une image compassionnelle qu’une vision ferme.
Cela ne rend tout de même pas incontestable la fausse interrogation de Philippe Houillon. Plaisanterie ou esprit de sérieux, rien ne la valide.
Non, un Houillon ne vaut pas deux Peyrat. Pour les municipales, il faudra trouver autre chose.