Un livre, un film et une exposition pour fêter les 50 ans du Petit Nicolas

par Babar
samedi 7 mars 2009

Il est petit, il court dans tous les sens et il aura toujours neuf ans. Le Petit Nicolas, personnage imaginé par le dessinateur Jean-Jacques Sempé et le scénariste René Goscinny, fête ses cinquante ans.

Une
exposition gratuite organisée par la Mairie de Paris jusqu’au 7 mai, la première à lui être consacrée, rend hommage à ce petit héros de papier.

Outre cet événement, un nouveau livre, Le ballon, recueil de 10 histoires (dont 8 inédites) vient desortir en librairie et un dessin eanimé ainsi qu’un film sont en préparation.

Si ça continue on va l’appeler l’Omnicolas


Question : Etes-vous prêt à patienter (et le mot ici prend toute sa valeur) 45 minutes dans le vent, sur le trottoir de la rue de Rivoli, face à la déprimante façade du BHV en attendant de visiter cette exposition qui entrerait, à défaut de votre salon, dans le petit bistrot du coin, et tient du dazibao (les quelques lettres, manuscrits, ébauches de dessins de Sempé, photos, livres et magazines anciens, machine à écrire de Goscinny - sans oublier l’inévitable coin-enfant - sont ici parfaitement inutiles) ?

Il n’est pas irraisonnable de penser que le but ultime de cet hommage qui part d’un bon sentiment et d’une volonté louable est de nous vendre des livres, des cahiers, des flip-books, des calendriers, des sacs et, au bout du compte, annonce et promeut la sortie prochaine d’un film à la gloire du Petit Nicolas ? Un film ? Sur le Petit Nicolas ?

Après le dessin animé dont la diffusion est prévue sur M6 dès septembre prochain, « Le Petit Nicolas, le film » sort à la fin du même mois (normal, c’est la rentrée scolaire - on pense à tout chez les marketeurs). On y retrouvera le ch’ti Kad Merad et le Coluche raté Demaison… Ça promet. Enfin, vous voilà prévenu. Heureusement, l’exposition est gratuite et l’éternel fraîcheur du Petit Nicolas calme les agacements les plus légitimes. Et puis admirer les quelques aquarelles et planches de Sempé, ça n’a peut-être pas de prix.

Alors ? Petit par l’âge, peut-être, mais grand pas son succès. International. En dernière partie d’exposition, les commissaires, Aymar du Chatenet, dont le prénom indique qu’il aurait pu être l’un des copains de Nicolas, et Martine Gossieaux (chaque année elle organise une exposition des dessins de Sempé et a publié en 2008 aux excellentes éditions Buchet-Chastel La passion du dessin d’humour) consacrent un mur entier aux traductions du Petit Nicolas. Impressionnant : « der kleine Nick » (en allemand), « Pitircik » (en turc), « el pequeño Nicolás » (en Espagnol), dans le monde, de la Chine aux Etats-Unis, en passant par la Tchéquie, Israël, la Finlande, la Malaisie, etc., ce Petit Nicolas, alors qu’il est son cadet de quatre ans, est de loin bien plus populaire que notre Nicolas national. Un classique mondial, à l’instar d’Astérix, également cinquantenaire et créé par…Goscinny.


Quel génie, ce Goscinny ! Et quel génie ce Sempé ! Sempé le bordelais, comme l’immense Chaval. Et - presque - comme Montaigne. L’exposition bruisse de cette amitié entre les deux hommes. De Sempé et de Goscinny, mort trop tôt, l’un aurait pu dire de l’autre : "parce que c’était moi, parce que c’était lui", à l’instar de Montaigne et La Boétie.

Fabuleux et drôle Goscinny qui disait : « Quand j’ai entendu dire : « le métier de scénariste ? C’est à la portée du premier venu », j’ai compris que j’avais trouvé ma voie !  ». Quand un auteur et un dessinateur de cet acabit travaillent ensemble, cela peut aboutir à une catastrophe, le génie de l’un tire la couverture à l’autre. Ici, c’est un travail complémentaire. Chacun a donné le meilleur de lui-même. Tentez l’expérience : lisez les textes sans regarder les images. Et inversement. Ça marche dans tous les cas. Et pourtant c’est comme une romance, ça marche mieux avec les paroles et la musique conjuguées. C’est ça Sempé et Goscinny, c’est une chanson douce et entêtante.

Les nostalgiques de l’école type « Les Choristes » peuvent se rhabiller. Les aficionados de Xavier Darcos et de la blouse grise en prennent ici pour leur grade. Car il ne s’agit pas ici de glorifier le passé, mais un éternel présent. C’est un fantasme, une pure création littéraire. Sempé et Goscinny sont irrécupérables. Ils font l’éloge de l’individu dans un système scolaire qui finalement n’a guère évolué, quoiqu’on dise.

D’ailleurs, si le Petit Nicolas peut être vous, moi, n’importe qui, enfin un potache plein de vie et d’imagination, cette école est bien réelle. Universelle, jusque dans les colles qui rappellent le générique des Simpson : « La maîtresse s’est fâchée et elle m’a donné à conjuguer le verbe je ne dois pas apporter de nez en carton en classe d’histoire dans le but de faire rire mes petits camarades »…

Ecole réelle et environnement social aussi. Les riches et les modestes s’y côtoient. Une réalité de l’école républicaine. Autre réalité soulignée par Mathieu Lindon, dans Libération : « Contemporain du gaullisme triomphant, le Petit Nicolas décrit dans son vocabulaire d’enfant narrateur un monde qui change à toute vitesse (on voit ainsi apparaître, dans le Ballon, à la fois la télévision, le judo et les supermarchés) ».

Mais à part ça, navré de vous décevoir, le Petit Nicolas n’existe pas ! Comme le Père Noël dont il partage d’ailleurs le prénom. Ne voyez donc pas dans cette galerie (les amateurs se régaleront avec les 150 dessins originaux de Sempé accrochés aux cimaises) un hommage nostalgique aux temps d’avant.

Il y a ceux qui rêvent de l’homme tel qu’il est et ceux qui rêvent de l’enfant qu’ils auraient aimé être. « L’univers du Petit Nicolas, explique Sempé, c’est un monde idéal. C’est l’enfance que Goscinny et moi aurions voulu avoir ». Cela dit, pour vous rassurer (au cas où), les deux auteurs n’ont pas eu une enfance misérable et triste. Mais même les enfants heureux s’inventent d’autres vies (relire Dhôtel). C’est ça le Petit Nicolas : de la mélancolie pure. Je tombe aujourd’hui même sur une interview de Sempé : « La mélancolie est partout présente […] elle fait partie de la vie. Parce qu’on se rend compte que tout est fragile[…] c’est lié au temps qui passe, ou au temps qu’il fait » (Télérama du 7 mars spécial Sempé).

Personne n’a jamais vécu les histoires de Nicolas et de sa bande : Clotaire, Agnan, Rufus, Alceste, Eudes, Maixent, Geoffroy, Joachim. D’ailleurs, vous avez lu les prénoms ? Qui a été à l’école avec un Clotaire, un Eudes ou un Agnan ? Et vous souvenez-vous avoir insulté un copain en le traitant de grotesque, de phénomène, de sacripant… Moins imaginé, mais plus précieux que les « moules à gaufres » du Capitaine Haddock. Mais ça nous change de Nique ta race…

Quant au personnage de Nicolas, il existe en creux. Il raconte. Ses aventures fabuleusement banales, c’est l’autobiographie d’un ectoplasme figé dans le temps. L’enfance éternelle. Dorian Gray gamin. Il existe par la bande, par sa bande. Son prénom est passe-partout. Depuis cinquante ans, il passe partout.

Tout commence en 1959, année fructueuse en matière de diffusion de la bande dessinée et du dessin d’humour puisque c’est l’année de création du journal Pilote (lieu de naissance d’Astérix). Mais le Petit Nicolas, qui fera également les beaux jours de ce fameux illustré (mazette, quel journal !), vient au monde le 29 mars 1959, dans Sud-Ouest Dimanche.

Histoire de Goscinny, dessins en couleurs (même s’ils sont reproduits en noir et blanc), de Sempé. Naissance d’un héros dont le nom a été trouvé par hasard, par Sempé, dans l’autobus. Il lui fallait bien le nommer, son petit héros. C’est en voyant une réclame pour les vins Nicolas qu’il l’a baptisé. Levons notre verre  !

A ce moment-là, c’est une histoire unique. Pas question encore de créer un personnage récurrent, un décor, des copains, des aventures. C’est sans compter sans les lecteurs et le courrier du même nom. Tous réclament la suite ! Succès immédiat. Un peu plus tard le Petit Nicolas entre chez Pilote. L’année suivante, les éditions Denoël publient les aventures du Petit Nicolas dans sa petite collection carrée (celle-là même où sera éditée l’hilarant Réservé à la correspondance de Robert Giraud). Un bide. Une émission littéraire sauvera ce premier ouvrage : C’est Lecture pour tous, animé par Pierre Desgraupes et Pierre Dumayet qui feront découvrir le Petit Nicolas au grand public.

Trois autres livres seront publiés chez Denoël, jusqu’en 1964. A la suite de quoi, le héros ne sera jamais absent des librairies puiqu’il a toujours été édité, notamment dans des collections de poche ou pour la jeunesse. Mais Nicolas, à l’instar de Pascal, petit personnage du Ballon rouge, est-il un héros pour les enfants ? La cour de l’école est son univers, mais il s’y joue une comédie humaine transposable à n’importe quelle époque et dans n’importe quel lieu. D’où son succès international. Outre ces publications, le héros de Goscinny et Sempé squatte la presse pendant six ans.

Anne Goscinny, la fille du scénariste, et son mari, Aymar du Chatenet, l’un des deux commissaires de cette exposition, ont repris le flambeau de l’édition. En créant en 2004 les éditions IMAV ils ont mis à la disposition du public trois volumes entiers d’histoires inédites du Petit Nicolas, dont le dernier, Le Ballon paraît au même moment que l’exposition.

N’allez pas penser qu’il s’agit d’exploiter jusqu’à la trame la manne Goscinny. Ces trois volumes sont du pur Petit Nicolas. Simplement, comme le rappelle Mathieu Lindon dans Libération, « Sempé et Goscinny n’avaient pas recueilli en volume tous les textes parus dans Sud-Ouest Dimanche ». Sempé ne les avaient même pas illustrés. Il s’y est remis spécialement pour ce volume.

Alors, certes, il y a le merchandising, il y a la queue interminable sur le trottoir de la rue de Rivoli. Mais une fois en compagnie du Petit Nicolas, vous oublierez tout : les temps anciens, le temps qui passe, les temps qui viennent. Vous oublierez tout sauf l’essentiel : vous serez là, ici et maintenant.

Bon anniversaire Nicolas !



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