Un ministre chez les Lotophages

par jlhuss
mercredi 7 novembre 2012

Spectacle poignant des grands peuples tombés en disgrâce de l’histoire. La Grèce est devenue la pitié du monde, elle qui pendant des siècles l’éclaira ; la clocharde de l’Europe, elle qui en inventa l’âme et le nom. Et tandis que ce pays aux abois vend ses îles, la pensée grecque antique s’efface des cerveaux « modernes », non seulement de la jeunesse facebook, mais aussi des têtes bien faites censées la guider. Que dit la Grèce antique, qu’on ne veut plus entendre ? Que tout l’honneur des hommes est de maîtriser le chaos, dans leur cœur comme dans la cité.

Or voilà qu’un ministre français de l’Education, agrégé de philosophie, après avoir prôné le retour à la morale, trouve envisageable de dépénaliser l’usage du cannabis. Il est vrai que pour beaucoup d’intellectuels d’aujourd’hui la morale se résume à la tolérance. Ce ministre devrait relire l’Odyssée, manuel pratique de la navigation parmi les écueils ; et dans l’Odyssée tout particulièrement l’épisode des Lotophages.

C’est la deuxième épreuve subie par Ulysse et ses compagnons sur la route du retour à Ithaque. « Neuf jours durant, je fus emporté par des vents funestes sur la mer poissonneuse ; puis, le dixième on mit le pied sur la terre des Lotophages, qui pour nourriture ont des fleurs. J’envoyai trois hommes reconnaître quels mangeurs de pain habitaient cette terre, et, partant aussitôt, ils allèrent se mêler aux Lotophages. Ceux-ci ne voulaient point leur mort ; mais ils leur donnèrent du lotos à manger ; or, quiconque en avait mangé le fruit doux comme le miel, ne voulait plus rapporter les nouvelles ni s'en revenir, mais rester là parmi les Lotophages, à se repaître du lotos dans l'oubli du retour. Et je dus, moi, les ramener de force tout en larmes à leurs vaisseaux ; je les tirai et les attachai à fond de cale sous les bancs. »

Universelle métaphore. Un homme digne de ce nom combat « l’oubli du retour » - à Ithaque, aux siens, à la patrie : l’oubli du retour à soi-même et aux autres. Ulysse se soucie de la tolérance comme de son premier chiton. Il est le chef, il a charge d’âmes et ça barde : ses compagnons avachis, il les « ramène de force », les « tire » et les « attache ».

La drogue sous nos yeux étend partout son cercle délétère. Le festif cannabis, outre ses propres effets sournois, induit le désir de drogues plus puissantes. Et c’est à ce moment qu’un homme en charge de la jeunesse envoie implicitement le message d’abandon : que devienne licite ce qui semble irrésistible. Un pas de plus et Ulysse viendra s’assoir sur le sable des Lotophages avec ses compagnons ; il bazardera Pénélope, Télémaque, son petit royaume, tous ceux qui croient en lui ; et le vainqueur de Troie finira là, affalé sur une plage d’Afrique du nord, dans la délectation des fleurs d’oubli.

ARION

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