Un salon de coiffure londonien condamné pour discrimination « indirecte »

par Blaise
lundi 23 juin 2008

La patronne d’un salon de coiffure londonien, Sarah Desrosier 32 ans, a été condamnée à une amende de 4.000 £ en dommages et intérêts lors d’un procès l’opposant à une candidate malheureuse au poste de coiffeuse, qu’elle proposait en mai 2007. La jeune femme (elle a 19 ans) refoulée à l’entretien, Bushra Noah, était voilée lors de l’entrevue, et la tenancière avait considéré que l’aspect vestimentaire de la jeune femme n’allait pas avec celui de ses coiffeuses en exercice, qui affichaient toutes des coupes de cheveux en relations avec le thème de sa boutique, c’est-à-dire des coiffures "funky", spécialité de ce salon dit "alternatif".
Selon les articles de presse en français (essentiellement sur le site Point de Bascule, qui retraduit des articles en anglais ici et ici), la jeune candidate avait obtenu un entretien avec la tenancière du salon de coiffure et devait faire une journée d’essai, mais, lorsque celle-ci s’est présentée, la tenancière a été surprise en voyant un voile sur le visage de la jeune femme, qui déclare "Quand j’ai parlé à Mme Desrosier au téléphone, avant la première entrevue, elle m’a offert une journée d’essai. Mais lorsque je me suis présentée, elle m’a regardée avec grand étonnement. Elle m’a demandé si je portais le foulard en tout temps et elle a continué de répéter, "j’aurais souhaité que vous me l’ayez dit lors de notre conversation téléphonique".

Cela semble tellement vrai, que la tenancière avait bien expliqué "Je vends de l’image – c’est important – et je m’attends à ce qu’une coiffeuse styliste expose ses cheveux pour inciter les passants à venir dans mon salon après avoir aperçu mes stylistes. C’est la nature et le style de mon salon qui attirent les gens. Couvrir ses cheveux est en contradiction avec cette réalité. Si quelqu’un portait un casque de baseball ou un chapeau de cow-boy j’exigerais qu’il le retire pour le travail. Pour moi, c’est absolument essentiel que les gens puissent voir les cheveux du styliste."

Il transparaît dans le discours de Mme Desrosier qu’il ne s’agit pas de racisme : la patronne du salon de coiffure ne rejette pas la candidate à cause de ses origines ethniques, mais simplement parce que son style ne convenait pas à son magasin, selon elle, ce qu’elle semble déclarer volontiers. Elle ajoutera d’ailleurs après le jugement "Je n’ai jamais imaginé en un million d’années que quelqu’un pourrait être dans cette industrie tout en refusant complètement de montrer ses cheveux"...

Mais la jeune candidate n’en a cure. Elle se sent démoralisée après l’entretien dit-elle. Elle vient d’essuyer 25 refus après 25 entrevues et cet entretien lui reste sur le cœur, elle aurait été particulièrement blessée "J’ai décidé de poursuivre cette coiffeuse parce c’est elle qui m’a le plus blessée. Je me sentais tellement démoralisée et déprimée, que je me suis dit que si je ne me défendais pas, alors qui le ferait ?" Elle avait aussi demandé des dédommagements pour "perte de revenu", sans doute sur le salaire du travail pour lequel elle s’était présentée en entretien...

Une personne un peu pratique aurait répondu à la jeune candidate qu’il suffisait tout simplement qu’elle ôte son foulard pour tenter d’intégrer le salon, mais c’était chose impossible pour la jeune femme, qui avait déclaré le foulard essentiel à sa foi "Depuis mes études secondaires, la coiffure était tout ce que je voulais faire. C’est triste qu’ils ne me donnent pas l’occasion de le faire. Cette situation mine mes ambitions. Le port du foulard est fondamental à mes croyances."

Clairement donc, aucune solution n’était négociable. La jeune femme n’avait pas fait ses preuves et les auraient-elles faites, elle refusait de se plier aux exigences de la patronne pour laquelle en l’état elle n’avait pas le profil vestimentaire. Ce sera à la justice anglaise de trancher et elle tranchera, dans le sens de la jeune femme, pour discrimination "indirecte".

N’allons pas hurler trop vite après le juge... Le résultat est logique suivant la législation actuelle : il s’agit d’une directive européenne retranscrite dans le droit britannique comme dans le droit français à présent. Si la tenancière avait simplement déclaré que la candidate n’était pas expérimentée, si elle l’avait laissée faire sa journée d’essai, elle n’aurait pas été inquiétée. Il suffisait de la garder une heure ou deux pour lui dire que son travail ne convenait pas, mais elle a avoué la véritable raison : c’est son allure vestimentaire qui ne convenait pas au salon et suivant la législation actuelle, il s’agit d’une discrimination "indirecte".

Voici ce que dit un site consacré à la lutte contre les discriminations au sein de l’UE, l’expliquant fort bien :

"Discrimination indirecte. Une société de traduction insiste pour que les traducteurs désireux de travailler pour elle disposent du permis de conduire, car il peut arriver qu’elle leur demande de livrer ou d’aller chercher le document chez les clients. Étant donné que cette condition empêche les personnes handicapées de postuler et que conduire n’est pas une exigence essentielle pour réaliser le travail, la société pratique effectivement une discrimination à l’encontre de ce groupe de personnes en particulier, à moins qu’il puisse être démontré que cette interdiction repose sur un motif objectif et fondé. Un grand magasin interdit à ses employés de porter un couvre-chef lorsqu’ils servent les clients. Cette mesure a pour effet d’interdire aux personnes dont les convictions religieuses les obligent à se couvrir la tête, comme les femmes musulmanes, de travailler dans le magasin. Le magasin se rend alors coupable d’une discrimination indirecte, à moins qu’il ne puisse démontrer que cette interdiction repose sur un motif objectif et légitime."

Il faut croire Mme Desrosier lorsqu’elle s’exclame " On me traîne dans la boue et on m’accuse d’être raciste. C’est totalement injuste et faux !" La justice ne fait qu’appliquer les lois et directives, en l’occurrence, européennes, même si cette loi a quelque chose de surprenant malgré tout, puisqu’il se dit si souvent qu’en matière de foi musulmane, le voile ne serait pas absolument obligatoire, cela revient donc à faire plier la société devant des revendications religieuses non essentielles dans les faits. Le tribunal a par ailleurs bien ajouté dans ses conclusions qu’il croyait volontiers que Mme Desrosier aurait traité de la même façon tout autre personne voilée de cette façon, musulmane ou non, mais qu’elle n’a pas pu apporter de preuve par rapport à l’impact que le voile aurait sur sa clientèle.

L’article relatif au jugement de l’affaire ne dit pas si le salon de coiffure restera ouvert, Mme Desrosier ayant déjà eu du mal à réunir les sommes nécessaires à sa défense et devant verser 4 000 £ à Mlle Noah pour "atteinte à ses sentiments". Le tribunal a en revanche rejeté les accusations de discrimination religieuse directe ainsi que la demande pour perte de gains et préjudice moral déposée par la jeune femme.

En France, l’Assemblée nationale a également adopté en début d’année le texte sur la discrimination dite "indirecte", voir les documents officiels ici et ici.

Les deux photos illustrant l’article sont celles de Mlle Noah et de l’affiche servant de présentoir à la boutique.

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