Un système judiciaire indigent : La France en piètre position en Europe

par A. Spohr
mardi 15 février 2011

« Imperfecta lex sed lex » auraient pu objecter en parodiant l’adage plus connu, nos honorables magistrats et leurs divers acolytes de toutes fonctions, au président de la République. Dans le drame affreux de l’affaire Laetitia, celui-ci, à chaud et sans vergogne, les avait pris pour cible en bloc d’abord avant d’affiner sa visée, à froid.

Loi imparfaite en effet. Mais qui a la charge de la parfaire ?

La grogne des robes noires ou rouges n’est pas nouvelle et leur peu d’enthousiasme pour Nicolas Sarkozy n’a pas grandi avec la nomination de Rachida Dati à la garde des sceaux de la République.

Laissons là cependant la question purement juridique de la recherche d’éventuelles responsabilités, pour nous intéresser au bien fondé des revendications qui dénoncent l’indigence du système judiciaire français

La Commission Européenne pour l’Efficacité de la Justice (CEPEJ), émanation du Conseil de l’Europe ( les 47), offre dans le rapport qu’elle vient de publier, la possibilité de mener une étude comparative en utilisant plus de deux millions de données collectées auprès des 45 m inistères de la justice (Il s’agit de sources pour l’année 2008). Un travail de bénédictins orchestré par Jean-Paul Jean, avocat général à la cour d’Appel de Paris et surtout président du groupe d’experts, auteur de ce remarquable rapport pour lequel des précautions sont affichées au moindre doute ou la moindre information recueillie trop imprécise

Les moyens alloués : la vérité.

Une fois de plus, le nerf de la guerre réside dans la part du budget accordée, ici, au ministère de la justice. Comparer des pays comparables est bien sûr le premier souci ; c’est pourquoi sont pris en compte la nature de l’organisation juridictionnelle et surtout le PIB/habitant. Pour les pays retenus dans cette étude comparative ces PIB/h se situent dans une fourchette de 20000 à 40000 euros, grosso modo.

Le rouge de la colère ou de la honte montera au front du bon citoyen qui veut voir en son pays une France-Modèle, quand il découvrira que l’Etat français ne dépense que 57,7 euros par habitant soit 0,18% du PIB pour sa Justice. Sur le 16 pays choisis, seule la Pologne, beaucoup plus pauvre, dépense moins (40,9 euros), mais rapporté à la richesse, l’effort est de loin le plus fort de tous avec 0,52% du PIB. La palme revient, facilement, à la Suisse avec un total de 140,5 euros/habitant et 0,30 % d’un PIB bien plus opulent. Et dire que le président ne cesse de répéter que le budget a augmenté depuis son arrivée ? On imagine avec effroi, le statu quo ante !

Il convient toutefois d’apporter un petit bémol en précisant que n’est prise en compte ici que la part consacrée aux tribunaux, au ministère public et à l’aide judiciaire, le système pénitentiaire par exemple étant exclu des calculs, comme pour les autres pays d’ailleurs.

Queue de peloton encore pour l’aide judiciaire et les personnels.

Ainsi pour 100 000 habitants, les Français bénéficient, par affaire, de 353 euros (1911 pour la Suisse, 1029 pour les Pays-Bas, 349 pour l’Espagne et 331 pour le Portugal) Ce chiffre doit être rapporté au nombre d’affaires concernées par ce dispositif : pour la France il est de 1392, 1036 pour le Portugal mais 511 seulement pour la Suisse. On voit que cette aide varie en fonction de la richesse des pays et surtout de celle de leurs habitants comme les Suisses, moins souvent amenés à solliciter cette aide pour toute action, en recours ou en défense.

De l’autre côté de la barre du prétoire, du côté du parquet ou du siège, procureurs et juges, la France se classe une fois de plus dans les derniers, avec un chiffre de 13,9 magistrats pour 100 000 habitants ( 30,7 en Allemagne, 13,6 en Italie, 17,9 aux Pays-Bas et 26,7 pour la Norvège).

Pas plus glorieux non plus le nombre des personnels non juge, accompagnant un juge professionnel. Là nous sommes avant-derniers ex æquo avec les Pays-Bas devant la lanterne rouge, la Norvège qui, comme on le voit ci-dessus, privilégie l’accès à la magistrature. Les juges danois sont les mieux assistés avec 5,3 aides, malgré leurs 18 magistrats pour 100 000 habitants. En raccourci : pour 100 000 habitants les professionnels de justice ( procureurs, juges, notaires, avocats dont le nombre en France est pour une fois dans la moyenne européenne) sont 101 en France, antépénultième, 345 en Italie et 294 au Portugal

Le Royaume-Uni, pays de common law, ne peut être pris en compte ici car 90% des contentieux sont du ressort des Magistrates’Courts, composées de juges non professionnels.

A la lumière de ces quelques chiffres,

on peut comprendre la surcharge qui obère notre système et provoque ces attentes et ces retards insoutenables que sanctionne parfois la Cour Européenne des Droits de l’Homme. On comprend mieux aussi, la grogne et la « grève » des magistrats qu’on a accusés d’anti-sarkozysme forcené. Ceux qui ont entendu dans l’émission télévisée de Frédéric Tadéï, les invectives outrancières et haineuses de Me Thierry Lévy, accusant le président de la République d’être le premier responsable, par son incurie, du drame du meurtre odieux de Laetitia, auront remarqué l’attitude ferme mais responsable des magistrats présents. C’est le cas pour la grande majorité de ces personnels de Justice qui entendent être respectés et entendus, accompagnés en cela, d’après un sondage, par 60% des Français.

Et alors, nos juges seront-ils consolés en apprenant que, pour la rémunération, ils sont en milieu de tableau et qu’en atteignant les postes les plus élevés, ils pourront atteindre en salaire brut, les 100 000 euros…en fin de carrière. Mais il y a très peu d’élus et, de toute façon, il faut commencer petit. L’appétit pécuniaire ne peut en aucun cas animer ces fonctionnaires « surbookés », bardés de diplômes et réussite aux concours.

Pour l’efficacité, le E de CEPEJ, (affaires classées, affaires terminées par une sanction ou une mesure imposée ou négociées), la France se classe très bien en dépit d’un stock d’affaires à juger trop important et un clearance/rate, i.e le rapport entre les affaires terminées et les nouvelles introduites de 94,3. Mais seules l’Autriche, la Norvège et la Suisse atteignent ou dépassent les 100 requis pour un bel équilibres, évitant l’augmentation du stock.

Plaise au ciel (utinam !) que M.Mercier, le nouveau Garde des Sceaux récemment converti, étudie sérieusement ce rapport et le commente au président (peut-être pas en latin ?) pour lui éviter de nouvelles graves erreurs !

Ceci dit, M.Sarkozy n’en connaîtrait-il pas déjà des données telles que « le nombre des sanctions disciplinaires prononcées pour 100 juges, en 2008 »sous MAM ? La France y est très honorée d’un deuxième rang (0,05) derrière la Suède ( 0) et loin devant l’Autriche (3,5).

C’est peut-être ce classement là qui en chagrine certains.

Antoine Spohr (article paru sur Mediapart)


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