Une méthode, ou des méthodes de lecture

par Christine Mounier
vendredi 10 novembre 2006

 Le ministre Gilles de Robien est parti en campagne depuis la rentrée dernière pour dénoncer et interdire la méthode de lecture dite « globale », inspirée des travaux de Célestin Freinet, et pourchasse ceux des membres de l’Education Nationale soupçonnés de l’appliquer ou de la défendre. Pourtant, cette méthode semble être abandonnée depuis longtemps, au profit de la méthode « syllabique » (le fameux b-a, ba, pourtant largement inadapté à la langue française), ou plutôt d’une troisième méthode, peut-être plus expérimentale, en tout cas plus adaptée à la réalité d’une classe et de ses élèves.



Pour tous, défenseurs ou non de la méthode syllabique, il s’agit là avant tout de la part du ministre d’un « coup politique » pour tenter de se gagner les faveurs populaires, quitte à se mettre à dos une grande partie du monde de l’éducation. Et de fait, cette décision a fait grand bruit, et depuis quelques temps, la guerre entre les partisans du tout syllabique et les autres semble à nouveau ouverte. Semble, car il ne faudrait pas perdre de vue que la méthode « globale » est abandonnée depuis longtemps, et que de toute façon, elle n’a jamais eu cours, sous une forme pure, que de manière très limitée, et dans le temps, et en considération du nombre d’enfants concernés.



Toujours est-il qu’une association a vu là l’occasion de se mettre en avant, en appelant les parents, sinon à « dénoncer » les instituteurs soupçonnés d’avoir recours à une méthode de lecture sinon globale ou semi-globale, du moins à se montrer vigilants, et à ne pas déléguer aveuglément aux instituteurs de leurs enfants la capacité de leur apprendre à lire, et encore moins la capacité de juger de la méthode moderne la plus appropriée pour leur classe, ces méthodes laissant même à désirer d’un point de vue strictement éducatif.



Pourtant, les différents travaux consacrés à l’apprentissage de la lecture, et un peu de bon sens, laissent penser qu’il n’existe pas une méthode unique, valable de tout temps et pour tous les enfants, comme on peut s’en rendre compte à travers l’expérience d’un instituteur qui passe en revue les différentes méthodes de lecture, en pointant pour chacune d’elles ses limites ou ses défauts, ou encore en se penchant sur des méthodes « alternatives » d’apprentissage de la lecture, comme la méthode gestuelle mise au point par Suzanne Borel-Maisonny, qui associe gestes et sons.



Si la méthode syllabique a fait ses preuves depuis longtemps, ce n’est pas pour autant qu’elle ne peut pas être « améliorée » en lui intégrant un zeste de méthode globale : cela est sans doute plus adapté pour certains enfants, en particulier les plus avancés ou les plus motivés, et leur permet d’aller plus vite.



En effet, les atouts de la méthode syllabique sont indéniables, de l’aveu même d’une institutrice : elle permet aux enfants de constater jour après jour leurs progrès, elle leur permet de comprendre ce qu’ils apprennent, et, jusqu’à un certain point, d’être maîtres de leur apprentissage ; elle est progressive, se décomposant en étapes distinctes, et n’est pas discriminatoire vis à vis des enfants dépourvus de mémoire visuelle. Autre avantage, non négligeable, elle est facile d’accès, et offre aux parents désireux de répondre aux sollicitations de leurs enfants en matière de lecture, la possibilité de les « débrouiller » de manière progressive, au rythme de chacun, jusqu’à ce que l’enfant sache complètement lire de manière autonome, ou jusqu’à ce qu’un instituteur prenne le relais, sans risque d’incompatibilité de méthode avec celle choisie par l’instituteur.

Cela dit, et en particulier pour les enfants les plus rapides ou doués de mémoire visuelle, le recours à quelques éléments de méthode « globale » peut s’avérer utile et permettre d’accélérer les apprentissages : ainsi, certains mots-outils (« un », « les », « des »...) n’ont pas besoin d’être décomposés à chaque fois, il suffit que l’enfant les photographie mentalement et soit capable de les reconnaître dans une phrase. André Rouillé met d’ailleurs en avant l’importance d’accompagner l’apprentissage de la lecture des textes par un apprentissage de la lecture des images.



En fait, aujourd’hui, la méthode de lecture la plus utilisée dans les écoles semble n’être ni la syllabique, ni la globale, ni même la semi-globale, mais une autre, alternative, « intégrative », comme propose de la nommer Roland Goigoux, directeur d’un laboratoire de recherche sur l’enseignement. Cette méthode, ou plutôt ces différentes méthodes s’appuient sur les résultats des travaux de recherche sur l’apprentissage de la lecture, et prennent en comptent le phénomène complexe qu’est la lecture, comme le rappelle Jean Foucambert, chercheur à l’INRP (Institut national de la recherche pédagogique). On peut d’ailleurs légitimement penser que les résultats de ces travaux transparaissent dans les programmes, et justifient leur évolution.

De plus, plutôt que de se quereller sur la méthode de lecture, encore faudrait-il savoir ce qu’on entend par savoir lire : déchiffrer un ensemble de lettres ou de syllabes, en comprendre le sens, ou, plus ambitieux, mais plus précieux, acquérir le goût de la lecture. Et, pour cela, si la méthode peut participer, elle ne fait pas tout. Une méthode à elle seule, quelle qu’elle soit, ne transmet pas le goût de lire, elle ne s’adapte pas à son public, à son rythme et à ses goûts, à sa sensibilité. C’est là la véritable mission de l’instituteur. Bien sûr, les familles ont aussi leur rôle à jouer. Mais pour qu’ils remplissent au mieux cette mission, il est indispensable de faire confiance aux instituteurs, c’est eux les mieux placés pour savoir avec quelle méthode ils seront les plus aptes à donner ou à transmettre le goût de la lecture aux enfants, et non pas seulement à les faire ânonner un texte, en fonction de leur sensibilité et des différentes périodes de l’apprentissage.



Ne fonçons pas tête baissée dans un faux débat aux intérêts purement politiques de quelques-uns, c’est là notre intérêt et celui de nos enfants...

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