Une nouvelle philosophie pour le 21ème siècle. La troisième recherche
par Bernard Dugué
mardi 20 janvier 2015
Les trente dernières années de l’Occident laissent présager la fin d’une époque. Les signaux du crépuscule volent dans le ciel des idées, telles des chouettes de Minerve égarées dans le chaos de l’information globale. Quelle est cette époque qui s’achève ? Le long 20ème siècle, de 1914 à 2015, ou alors la Modernité vieille de quatre siècles avec sa science et ses savoirs ? L’œil averti décèle une crise dans la plupart des sciences. En pareil cas, on pense raisonnablement que les savoirs pourraient basculer, comme ils le firent autour de 1600, non sans de sérieuses résistances de la part des savants du clergé peu enclins à accepter la nouvelle science des Copernic et autres Galilée. En 2015, les scientifiques n’ont pas trop de raison de résister face à une connaissance nouvelle car leur position est d’une solidité à toute épreuve. Avec leurs laboratoires, leurs revues spécialisées, leurs congrès, l’appui des médias et des financiers, ils ont constitué un empire. Et ils peuvent se prévaloir de résultats. En ironisant, on peut dire de la science moderne qu’elle est une religion qui a réussit car elle a produit des « miracles » en nombre, avec les machines et les computers. La science sait parfaitement utiliser la nature. Mais elle ne la comprend pas et d’ailleurs ne cherche pas à la comprendre car elle se passe très bien de la gnose savante, excepté quelques scientifiques dispersés sur les chemins de la connaissance, scrutant les théories physiques et les notions de l’évolution. La philosophie devrait avoir quelques cartes à jouer mais dans quel état se trouve-t-elle ?
La philosophie est devenue incertaine et multiple. Incertaine parce qu’elle se cherche et multiple parce qu’elle se perd dans les chapelles et les déclinaisons personnalisés, spécialisées ou institutionnelles. Quelques exemples. Dans le monde anglo-saxon les philosophies analytiques on cherché à élucider comment les signes s’accordent à l’expérience avec un langage dont on cherche la logique et dont les raisonnements doivent être clarifiés. Il y a eu en Europe les philosophies post-modernes, déconstruction, Derrida, Deleuze, Foucault, Vattimo, Habermas… pour comprendre la situation de l’homme dans la société. Sans oublier quelques déclinaisons philosophiques autour de la phénoménologie et d’autres tentatives de philosopher, comme la non-philosophie, la post-métaphysique de Badiou et récemment la « jeune école » avec les questionnements de Quentin Meillassoux sur le réel, lequel Meillassoux a été l’élève de Badiou qui dans les années 1970 se disputait avec Lyotard et Deleuze. Ces détails n’ont pas d’autre utilité que de signaler une certaine consanguinité de la philosophie française, notamment à travers cet incubateur de la pensée que constitue l’Ecole normale supérieure dont sont issus pratiquement tous les professeurs d’université qui règnent sur l’empire de la philosophie en signant trustant les postes et en formant les futurs agrégés. La philosophie universitaire française s’est enlisée entre les arguties scolastiques de la rue d’Ulm et les académismes convenus alors que les facéties médiatiques de culture mainstream achèvent la philosophie en cette époque de déclin et de fin de civilisation.
Une nouvelle philosophie est possible mais elle ne peut pas se faire dans le cadre institutionnel qui canalise les travaux de recherches en fonction des systèmes d’évaluation et des plans de carrière. Sans oublier les maîtres et disciples, les chapelles, avec le mirage autoréférentiel inclinant la recherche philosophique à se jauger face à d’autres pensées au lieu d’être en relation avec le monde réel, celui de l’expérience humaine et de cette science moderne qui possède actuellement une richesse colossale pour qui veut s’en emparer et tenter de penser le cosmos, la nature, la vie et la société. La nouvelle philosophie ne peut être qu’une libre pensée dont l’évaluation ne connaît pas les règles contraignantes des institutions. L’esprit vole en suivant les intuitions. La nouvelle philosophie tente d’organiser les savoirs, d’établir les grands principes gouvernant l’univers, de soulever le voile des phénomènes pour accéder aux ressorts profonds, à la mémoire des expériences matérielles, vivantes, humaines, ainsi qu’aux processus cognitifs permettant aux intentions du monde de s’orienter et d’être guidées par l’horizon d’un but qui n’est pas prédéterminé mais qui émerge au cours d’un processus avec des événements aléatoires qui sont éjectés ou insérés dans une logique systémique. Il existe un ordre des monades qui participe non pas à un réglage préétabli mais à un réglage émergent au cours du temps.
La « nouvelle philosophie » renoue avec l’ancienne ontologie, antique ou moderne. Elle tente d’expliquer la Nature, autrement dit la matière, le cosmos, la vie, l’évolution, le cerveau humain et la conscience. Ce n’est plus une philosophie qui part à la remorque des avancées scientifiques et se contente de jouer les chouettes de Minerve épistémologiques. La nouvelle philosophie emprunte le vol de l’aigle pour voir plus loin dans le passé, plus profond dans la Nature et surtout éclairer l’horizon des connaissances. Après quatre siècles de réussites scientifiques, la philosophie est en mesure d’élaborer des conceptions ontologiques susceptibles d’éclairer la science. La philosophie nouvelle doit aussi éclairer l’existence et lui donner un sens. Expliquer le pourquoi du déchirement contemporain des sociétés et le « en-vue-de-quoi » permettant de donner un horizon, une signification et un sens à notre existence sur terre et dans le monde civilisé, ou du moins ce qui en reste.
La connaissance de la nature et l’univers peut devenir une sorte de jeu initiatique tout aussi excitant sinon plus qu’une partie de poker à Las Vegas. Mais pour accéder à ce jeu, il faut de la curiosité ainsi qu’un bagage scientifique et philosophique conséquent. Ce qui n’a rien de rédhibitoire puisque les savoirs sont accessibles. Il suffit de quelques efforts. L’enjeu de la nouvelle philosophie concerne le désir de connaître les choses, de comprendre leur devenir. Cette philosophie est en vérité une troisième recherche qui se place au sommet de l’architectonique et tente d’ordonner en une gnose spéculative les résultats de la recherche fondamentale qui se décline également en recherche appliquée.
La troisième recherche peut ouvrir des voies, des pistes, et servir de levier pour des découvertes inédites. Hélas, le monde bourgeois s’en remet à une culture matérialiste et techniciste en croyant que la science moderne va trouver les remèdes aux maux contemporains. Dans 20 ans, on crèvera du cancer ou d’Alzheimer comme maintenant. C’est étrange cette attitude du bourgeois qui comme le croyant, se sacrifie face au pouvoir des dominations intellectuelles ou religieuses. Les journalistes et les dignitaires religieux peuvent continuer leur chemin en asservissant les consciences. Vous croyez être Charlie ou contre Charlie, mais vous êtes sans aucun doute cons !
Cela dit, je reste confiant dans l’avenir de la philosophie et ne désespère pas de trouver des compagnons de route, des partenaires, des journalistes, des éditeurs, des mécènes, pour aller dans le chemin de la connaissance et de la civilisation. Qu’ils se manifestent ! Mais quoi qu’il en soit, je resterai debout et tant que j’aurai assez d’énergie, je continuerai à explorer la nouvelle philosophie. Vous pouvez contribuer à cette aventure. N’oubliez pas que vous n’avez qu’une vie et qu’au moment de la mort, vous verrez défiler votre vérité, ce que vous avez fait, vos lâchetés et votre courage.