Une personne âgée sur le trottoir, c’est une bibliothèque qu’on assassine

par Jean-Paul Foscarvel
mercredi 30 novembre 2011

Ne pas aider les personnes âgées, au moment où la pénibilité de la vie est la plus grande, c’est vider de son sens toute sa vie.

Laisser sans soin, sans logement, sans nourriture, une personne âgée, c’est une insulte à l’humanité. Ne rien dire, c’est accepter non seulement qu’autrui soit détruit, mais que soi-même, qui inexorablement un jour en sera, tombe.

C’est accepter que demain, le sens de sa propre vie soit niée.

Car quel est le sens de la construction de soi, si l’on sait qu’au bout du chemin, on trouvera certes la mort, mais que ce parcourt sera devenu un calvaire, du fait non seulement de soi, un corps qui peine, mais aussi de la société qui rejette loin ses vieux ?

Une société de la performance à tout prix, et qui finit, comme dans « l’âge de cristal », par détruire ceux qui sont trop usés pour créer du profit. Comment concevoir l’avenir serein dans une telle société ? Car l’avenir, c’est du temps qui passe, et un jour, le vieillissement qui intervient.

Comparé aux chênes, aux séquoias, la vie humaine est courte, bien courte. Mais ceux qui prennent les décisions de supprimer les aides, d’augmenter sans cesse l’âge d’un repos non seulement mérité, mais indispensable à la survie, soit sont encore jeunes, soit possèdent des fortunes qui leur évitera de subir le sort commun, soit sont des sots.

Une civilisation qui oublie les anciens n’en est plus une.

Non seulement cette civilisation, devenue congloméra d’humains, nie la solidarité avec autrui, mais plus grave, elle invite chacun à se voiler la face, à ne pas se projeter dans le futur, et nier ce qui constitue le plus profond de soi, la solidarité avec le devenir de soi.

Ce conglomérat d’humain finit par rejeter la solidarité à soi-même. Et les moyens de propagande nous invitent à vivre au jour le jour sans questionnement, avec une vitalité à corps perdu qui puise dans la consommation à tout prix.

Non seulement le fort n’aide pas le faible, mais essaye par tous les moyens de l’affaiblir, et pire encore, l’homme fort n’est pas non plus solidaire de son futur lorsqu’il sera devenu faible. L’égoïsme est non seulement spatial, mais temporel. Que peut-on attendre d’un tel être ?

Il n’est pas étonnant que nous soyons l’époque de toutes les addictions. Devant l’avenir obscur qui attend chacun d’entre nous, comment ne pas sombrer dans l’oubli à tout prix du temps, et la quête sans fin de ce qui nous provoque le plaisir ? Tout en sachant que cette quête finira dans le néant.

Ce conglomérat d’individus qui nie l’aide donnée à autrui, qui laisse les anciens sur le bord de la route, sans soin ni compassion, se complait dans l’activité fébrile qui l’occupe, afin de ne pas voir la cruauté de son propre sort. C’est comme si chacun s’était jeté, ou était jeté, de la fenêtre d’une immense tour, et s’occupait à parcourir les journaux tout en pensant « pour l’instant tout va bien ».

Certes, la vie est sans issue. Mais comment ne pas voir l’écart majeur entre la fin chez soi, entouré des siens, avec encore des moyens dignes pour les dernières étapes de la vie, et ce qui nous attend. Un monde sans pitié qui retirera tout aux vieux, et soit les laissera gémir dans la rue, soit les entassera dans des mouroirs insalubres au personnel agressif.

Et se n’est pas en privatisant la solidarité que le problème sera résolu. Ce n’est pas par un impôt temporel (journée dite de solidarité) ou fiscal, voire en imposant une assurance privée, que ce sera résolu. Ni en remplaçant la répartition par la capitalisation. Au contraire.

En privatisant les hôpitaux, la sécurité sociale, les fonds de pension, en dé-remboursant les médicaments, en augmentant l’âge de la retraite et diminuant les pension, le gouvernement amplifie le phénomène. Il rend systématiquement les personnes âgées plus fragiles et plus pauvres, alors que dans le même temps il fait des opérations de marketing, tout en culpabilisant les salariés qui sont eux-mêmes les futures victimes.

C’est un choix global de société, le retour à la civilisation et la solidarité, via une juste répartition des impôts, via l’accès à des soins qui devraient être gratuits, via la resocialisation des hôpitaux et structures d’accueil, via surtout une retraite choisie à la foi dans la durée de travail (notamment pour les travaux les plus pénibles) et le mode de départ (celui-ci peut être progressif). Via surtout l’arrêt de la propagande sourde comme quoi les pensions de retraite sont un obstacle au développement du pays, créent de la dette, diminuent la compétitivité du pays.

L’économie d’un pays ne peut pas être sauvée en faisant travailler les personnes âgées jusqu’à leur départ définitif de la vie. Elle peut au contraire être sauvée en faisant travailler les jeunes, en pleine possession de leurs moyens physiques et intellectuels, jeunes par ailleurs formés, et sereins sur un avenir à long terme qui ne finira pas par un désastre annoncé.

Car sinon comment croire en une société qui garantit l’effondrement social comme ultime perspective de l’être ?


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