Une super mamie
par Philippe Bilger
lundi 5 février 2007
Je n’ai pas envie de parler des contorsions éthiques d’Alain Minc. Le mal qu’il se donne pour démontrer l’application de la morale, tout simplement, ne serait pas la meilleure solution pour clarifier l’ensemble de ses activités contradictoires ! Il a ajouté une personnalité à la liste de tous ceux qu’il conseille déjà. Je serais inquiet sur le plan de la rectitude si j’étais Nicolas Sarkozy, puisqu’il s’agit de lui. Elle ne se divise pas. Mais chacun ses choix et ses affinités.
Je n’ai pas envie de parler, pour l’instant, de ce qui secoue la justice. Il faudra que j’y vienne.
Je n’ai pas envie de parler du malheureux suicide de cet homme gardé à vue à Valence, soupçonné puis disculpé. Mon collègue procureur a suffisamment à faire avec ce drame et la procédure qu’il dirige.
Non, j’ai envie de vous parler d’une remarquable anonyme, une femme de 61 ans qu’évoque Le Parisien. Je sais que les médias n’aiment écrire que sur les trains qui arrivent en retard et très peu sur les êtres qui nous font honneur. Aussi a-t-on un miniscule articulet où on apprend sur un mode à la fois tendre et moqueur, que "la mamie ceinture le braqueur". Hier à Paris, dans le 13e arrondissement, un braqueur est entré dans une pharmacie, un marteau à la main, menaçant de tout casser si on ne lui remettait pas la caisse. La "mamie" l’a ceinturé, là où tant d’autres, dont moi-même, auraient hésité ou se seraient abstenus. Elle l’a maintenu jusqu’à l’arrivée de la police.
Je ne connais pas cette vaillante dame. Je ne la connaîtrai sans doute jamais. Je l’imagine active, déterminée, avec une famille, des enfants sans doute, peut-être des petits-enfants. Une vie parfois difficile, comme pour beaucoup, mais j’en suis sûr, irradiée par l’énergie du bonheur et de la solidarité. Elle ne se lave pas les mains d’autrui ni de ce qui survient dans le hasard malheureux des jours. Elle agit, elle intervient et elle résiste.
Elle n’a peur de rien. C’est quelqu’un qu’il faudrait porter en triomphe civique. Au lieu de décorer des illustres qui n’ont rien risqué, au lieu de venir au soutien du succès par des décorations galvaudées, c’est elle qu’il conviendrait de distinguer. Une Légion d’honneur du quotidien. Je suis bien persuadé qu’à moins d’un miracle municipal, aucune personnalité ne proclamera ce qu’elle a accompli, ne célébrera sa qualité humaine et sa force de caractère. Que surtout la démagogie ne l’atteigne pas. Qu’on ne vienne pas lui murmurer des mots et des éloges hypocrites. Qu’on la laisse plutôt seule avec son modeste héroïsme qu’accompagnée d’insincère et d’inauthentique.
Cette super mamie, je suis très heureux de pouvoir continuer à l’imaginer. Dans notre for intérieur, on lui remet tous la Légion d’honneur. Je suis comblé de pouvoir terminer ce billet sur elle. Grâce à elle, on respire.